Les dépassements d'honoraires ne sont plus "sous contrôle" : le directeur de la Cnam veut revoir les règles du secteur 2
La question des dépassements d'honoraires a été largement évoquée, vendredi et samedi derniers, aux Universités de la CSMF à Avignon. Peut-on sauver l'Optam ? Faut-il revoir les conditions d'accès au secteur 2 ? Le débat est ouvert.
Rendu le 2 octobre, le rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'Assurance maladie sur les "dépassements d'honoraires des médecins" était sur toutes les lèvres le week-end dernier à Avignon, où les adhérents de la CSMF étaient réunis en congrès. "Merci de me mettre en position d'être harcelé par toute la presse depuis hier matin", a plaisanté le Dr Franck Devulder, président de la confédération, en introduisant un débat auquel participait le président du Hcaam, Yann-Gaël Amghar.
Au centre des débats : le devenir de l'Optam et, plus largement, du secteur 2. "L'Optam, c'est un dispositif auquel on croit fortement à l'Assurance maladie, qu'on a construit avec les syndicats dans les différentes conventions, qu'on a fait évoluer… parce que le rapport du Hcaam le montre aussi, un secteur 2 sans régulation et massivement ouvert à l'immense majorité des médecins spécialistes pose question", a lancé le directeur de la Cnam, Thomas Fatôme, qui s'est prêté au jeu des questions-réponses, vendredi 3 octobre. Alors que de nombreux médecins, dénonçant les taux de dépassement trop contraints des avenants liés à la nouvelle convention, menacent de quitter l'Optam, le représentant de l'Assurance maladie a campé sur ses positions : "Il n'est pas question de modifier ce cadre à court terme."
"Le dispositif donne le sentiment de resserrer beaucoup les mailles du filet, parce que vous passez d'une situation où vous aviez un objectif régional à un objectif qui devient celui de votre pratique ; et en intégrant une augmentation tarifaire qui fait que vos taux de dépassement baissent", a-t-il de nouveau expliqué. Et de rappeler qu'en revoyant la période de référence, la Cnam "a accédé à une demande fortement portée par les syndicats médicaux". Si Thomas Fatôme dit "comprendre" que ces nouveaux taux puissent être "mal perçus", "personne ne perd à signer ces contrats, pas un euro", a-t-il martelé. Et "pour les contrats qui aboutissent à des niveaux de dépassements extrêmement faibles (1 ou 2%) et des niveaux d'activité à tarif opposable extrêmement élevés, on a ouvert une soupape qui permet d'aller à 5% et 95%", a indiqué le directeur de la Cnam.
Optam : 60% de signataires en juin dernier
Suspendue en juin par le "décalage" des revalorisations tarifaires, la campagne de signature des avenants n'était pas si mal engagée, a soutenu Thomas Fatôme. "On avait à peu près 60% des médecins qui avaient signé le contrat Optam, avec une tendance de signature très dynamique dans les dernières semaines alors même qu'on n'avait pas enclenché la phase 'si vous signez pas, vous allez en sortir'." Alors que les caisses s'apprêtent à relancer la procédure, le directeur de la Cnam met en garde : "J'invite chacun à mesurer ce que ça veut dire de sortir de l'Optam." Outre le bénéfice de la prime Optam, pour l'Optam-CO, "ce sont des tarifs très significativement majorés dans la convention que vous allez perdre". "Vous allez me dire vous pouvez augmenter vos dépassements mais ça se voit un peu, et, dans le contexte général, j'invite chacun à la modération et à la prudence…"
"Ce qui coince dans les avenants, c'est qu'il est difficile de comprendre que l'on ne tienne pas compte des taux d'engagement précédents et que finalement, cette modification de la période de référence ait effacé le contrat d'avant", a soulevé Franck Devulder. "Le système actuel a favorisé les médecins qui n'avaient pas respecté leur taux", a pointé à son tour Florence Doury-Panchout, spécialiste en MPR à Blois. Les plus vertueux se retrouvent coincés, alors que l'inflation est passée par là, a-t-elle dénoncé dans une table-ronde au titre accrocheur ("Qui veut la peau de la médecine libérale ?"), samedi 4 octobre. Ces confrères "vont sortir d'un système qui avait la vertu de réguler les dépassements pour retourner dans un système où ils vont non seulement faire des dépassements plus importants, mais où le reste à charge sera plus élevé".
"A un moment donné, il faudra se remettre autour de la table sur le secteur 2", lance Thomas Fatôme
Cette "charge financière qu'on laisse aux patients" impose de tout remettre à plat, a soutenu le directeur de la Cnam, qui se dit attentif aux propositions que fera le Hcaam et au rapport que doit rendre la mission parlementaire lancée par François Bayrou. Le système n'est plus "sous contrôle", a-t-il alerté : les taux de dépassement, qui "avaient reflué avec le contrat d'accès aux soins* et l'Optam, sont repartis de façon extrêmement dynamique" depuis le Covid : +5 %.
"A un moment donné, il faudra se remettre autour de la table sur le secteur 2, sur les dépassements… On est tous parfaitement au clair sur l'histoire, sur l'évolution des tarifs, de pourquoi ça a été créé, etc. Mais c'est un peu comme les ALD : quand vous avez 10 % de la population c'est gérable, quand c'est 25 % c'est plus difficile. Quand aujourd'hui l'immense majorité des médecins spécialistes s'installent en secteur 2, ça pose question", a lancé le patron de la caisse. "Le système, aujourd'hui, ne repose ni sur des logiques d'expérience ou de carrière, ni sur des logiques d'expertise, il n'y a rien de tout ça", a-t-il pointé.
Autrefois très sélectives, "les conditions d'accès au secteur 2 ont radicalement changé" au fil des années, a relevé Franck Devulder. Aujourd'hui, les jeunes spécialistes doivent exercer deux ans en tant qu'assistant des hôpitaux, pas nécessairement dans un établissement universitaire, et l'année de docteur junior est comptabilisée comme tel. "Mes collègues universitaires ont du mal à recruter, alors que nous on se battait comme des chiens pour le poste. On n'est pas responsables de cette modification qui a ouvert les vannes en grand", s'est défendu le gastro-entérologue.
"Les jeunes n'ont pas le choix !, a fait valoir un généraliste dans la salle, samedi. C'est un système technocratique : s'ils ne prennent pas le secteur 2 le jour de l'installation, ils n'y auront plus jamais le droit. Moi qui ne suis pas favorable au secteur 2, je suis amené à leur dire : surtout ne manquez pas l'occasion, ne faites pas un seul jour en secteur 1 sinon c'est fini. Si déjà on était dans un système un peu plus libéral et qu'ils pouvaient y accéder plus tard, peut-être qu'ils ne s'y précipiteraient pas."
"Il faut se poser la question de pourquoi il y autant de médecins en secteur 2, a soulevé la Dre Anne-Marie Ladevez-Cayla, médecin généraliste à La Montagne (44), lors de la table-ronde "Qui veut la peau de la médecine libérale". C'est peut-être que les tarifs qui sont proposés par la Sécurité sociale ne peuvent pas permettre de faire fonctionner le cabinet."
Sanctionner les médecins qui abusent
"La CSMF a proposé au directeur de la Cnam dès la fin des négos que nous ouvrions un dispositif de NAO [négociations annuelles obligatoires, NDLR] qu'on voit chez les salariés : on écrit ensemble un socle conventionnel et, une fois par an, on se retrouve autour d'une table pour parler de considérations financières. Il ne veut pas. Le secteur 2, ce ne serait pas ma tasse de thé s'il y avait une dynamique et une confiance", a regretté le président du syndicat.
Plutôt que de jeter le discrédit sur l'ensemble de la profession, ce dernier appelle à sanctionner le petit pourcentage de médecins qui abusent**, en ville comme à l'hôpital. "Ils ne contrôlent pas de façon suffisamment sévère le 10e percentile qui est signalé dans le rapport du Hcaam, qui abuse par le niveau des pratiques tarifaires : je trouve ça scandaleux", s'est emporté Franck Devulder. Si les dépassements d'honoraires ne concernent qu'une "minorité" de médecins à l'AP-HP (366), a-t-il relevé, ils représentent pour une dizaine d'entre eux entre 500 000 et 750 000 euros de revenus, en plus de leur salaire de praticien hospitalier.
Les complémentaires santé, au lieu de financer les courses au grand large, feraient bien de rembourser correctement leurs patients”
"La difficulté du tact et mesure, c'est qu'on n'a jamais réussi à le quantifier au Conseil de l'Ordre, on a travaillé dessus et on n'y arrive pas", a souligné le Dr René-Pierre Labarrière, vice-président du Cnom en charge de la section exercice professionnel, lors de la table-ronde du samedi. "Plutôt que 'qui veut la peau de la médecine libérale', on devrait se poser la question : 'à qui profite le crime', a lancé le représentant ordinal. Les complémentaires santé, au lieu de financer les courses au grand large, feraient bien de rembourser correctement leurs patients, ce qui permettrait aux médecins d'avoir des honoraires décents." Franck Devulder rappelle à ce titre que la CSMF soutient la création d'un "espace de liberté tarifaire solvabilisé par les complémentaires" pour les médecins qui "s'engagent".
Pour Pierre-Jean Lancry, ancien président du Hcaam, les médecins libéraux doivent balayer devant leur porte. "Si vous ne faites pas en sorte que ce soit accepté par la population, vous allez avoir des PPL Garot, des votes qui vont mettre à mal la médecine libérale", a-t-il mis en garde. "On entend une petite voix chez certains parlementaires : la solution, c'est : pas de secteur 2 sans Optam", s'est alarmé Franck Devulder, appelant les partenaires conventionnels à s'emparer du sujet, avant que la loi ne passe par là.
*Ancêtre de l'Optam
**10% des chirurgiens facturent 3 fois le tarif conventionnel, a relevé le rapport du HCAAM.
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