
"Les plus vertueux sont pénalisés" : les médecins de secteur 2 dénoncent le "piège" des nouveaux contrats Optam
De nombreux médecins adhérents à l'Optam se retrouvent avec des objectifs de maîtrise de leurs dépassements d'honoraires beaucoup "plus contraignants", du fait des revalorisations tarifaires issues de la nouvelle convention. Les syndicats demandent à la Cnam de revoir sa copie, sous peine de voir de nombreux praticiens sortir du dispositif.

"Je pense que beaucoup de médecins vont sortir de l'Optam*, car là, ça touche directement au portefeuille", présage le Dr Richard Talbot, trésorier de la FMF.
En découvrant ces dernières semaines l'avenant de leur contrat Optam issu de la nouvelle convention, de nombreux médecins de secteur 2** adhérents à ce dispositif de maîtrise des dépassements d'honoraires "sont tombés de haut" en constatant des objectifs bien plus contraignants qu'auparavant. C'est le cas du Dr Vincent Dedes, ophtalmologiste à Lille et président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof): "Avant, je pouvais faire environ 58% d'actes avec un dépassement et facturer un dépassement moyen de 39%. Là, avec le nouvel avenant, je passe à 60% d'actes à tarif opposable et 22% de taux de dépassement – c'est quasiment divisé par deux", témoigne-t-il. "Des médecins qui dépassaient de 20-25% peuvent se retrouver avec des taux de 4%, ça n'a plus aucun intérêt", lance le Dr Patrick Gasser, président d'AvenirSpé.
Pire, selon les représentants syndicaux, parmi les 18 000 adhérents - soit 52.7% de l'ensemble des médecins éligibles*** - ce sont les "plus vertueux" qui se retrouvent aujourd'hui "pénalisés". "Les médecins qui ont été très attentifs au reste à charge de leurs patients, qui ont réduit fortement leurs dépassements ou ont fait beaucoup d'actes au tarif opposable, se retrouvent extrêmement contraints", déplore Vincent Dedes. A l'inverse, "ceux qui n'avaient pas joué le jeu", ou les jeunes installés, ont des taux qui peuvent leur paraître "acceptables", souligne Patrick Gasser. La nouvelle convention visait en effet à rendre le dispositif de l'Optam plus attractif, pour convaincre davantage de praticiens d'y adhérer, explique le syndicaliste.
Mais comment en est-on arrivé à "l'effet inverse" ? Pour Richard Talbot, c'est le "piège du dépassement recalculé". Le "taux de dépassement constaté recalculé" est défini dans la convention "comme le rapport du total des dépassements annuels aux honoraires remboursables annuels calculé pour les deux années de la période de référence sur la base des tarifs de remboursement des médecins de secteur 1 appliqués à l’activité du médecin".

À chaque revalorisation du tarif opposable, mécaniquement, le taux de dépassement baisse... L'Optam repose en effet "sur la stabilité du montant de l’acte et non sur la stabilité du montant du dépassement", décrypte Richard Talbot. Avec la nouvelle convention, qui porte des revalorisations substantielles, "cet effet pervers" se manifeste d'autant.
Je crois que personne n'y comprend rien, y compris la Sécu… Autrement, ils auraient vu que ça allait clasher à un moment ou à un autre
S'ajoute à cela le mécanisme du "partage de gain". "Ces nouveaux taux d’engagement sont fixés de manière à ce que le gain lié aux revalorisations des tarifs de remboursement de la présente convention soit partagé entre les médecins et l’Assurance maladie", précise ainsi le texte de la convention. "Ça diminue encore votre taux de dépassement", traduit Patrick Gasser. Les médecins ayant respecté scrupuleusement les objectifs de leur précédent contrat sont toutefois censés être favorisés, comme le montre le tableau ci-dessous.

Par ailleurs, interprète Richard Talbot, "si le tarif opposable augmente, la Sécu considère qu'il est plus facile de faire plus d'actes au tarif opposable donc on lui demande d'augmenter ce taux", souligne le représentant de la FMF.
Vous n'y comprenez rien ? Vous n'êtes pas seuls. "Je crois que personne n'y comprend rien, y compris la Sécu… Autrement, ils auraient vu que ça allait clasher à un moment ou à un autre", lance Richard Talbot. "Je pense que le calcul est tellement compliqué que personne ne s'est rendu compte que ça aurait un mauvais impact et que ça irait à l'encontre du but recherché : avoir un Optam plus favorable, abonde Vincent Dedes. Ce mécanisme est tellement complexe qu'on ne le maîtrise plus."
Face à l'incompréhension et au mécontentement général, l'Assurance maladie a accordé un délai supplémentaire aux médecins adhérents : ils ont jusqu'au 27 juin, au lieu du 31 mai, pour se positionner [voire encadré]. "On leur a demandé de repousser cette deadline pour pouvoir plus analyser en finesse où sont les plus grosses problématiques et est-ce qu'on peut les régler", indique Patrick Gasser. Si aucune solution n'est trouvée, l'Optam "tombera à l'eau", prévient le président d'AvenirSpé.
"Ce qui est proposé aux médecins spécialistes, c'est strictement ce qui a été prévu par la convention, ce qui a été négocié avec les syndicats", a répliqué le directeur de la Cnam lors de son audition devant les députés de la commission des Affaires sociales, mercredi 14 mai. "Ce qui est dans la convention, ça n'est pas au désavantage des médecins, mais c'est un partage des gains, a insisté Thomas Fatôme. C'est-à-dire que si nous augmentons nos tarifs et que les médecins qui sont à l'Optam augmentent leurs tarifs du même niveau, pour l'assuré il n'y a pas de baisse de reste à charge et ça objectivement, ça n'est pas ce qui est dans le contrat, ça n'est pas ce qui est signé", a défendu le patron de l'Assurance maladie, s'engageant à faire un "effort de pédagogie" pour expliquer ce mécanisme "complexe" aux médecins concernés.
"On a signé la convention parce qu'on voulait être dans le tour de table de la construction de la CCAM", justifie le président d'AvenirSpé. L'Optam était censé être un "contrat à durée déterminée", insiste-t-il, renvoyant au texte de la convention. Ces contrats "prendront fin à l'entrée en vigueur de la nouvelle CCAM, pour être remplacés par un nouveau dispositif qui devra être bâti et intégré dans l’avenant CCAM avec les partenaires conventionnels", est-il précisé dans le texte.
La revalorisation tarifaire des actes CCAM repoussée à 2027, voire 2028
"Il était prévu que cette nouvelle CCAM soit finalisée à l'été 2025, mais aujourd'hui on s'aperçoit que nous n'aurons pas le rendu du Haut Conseil de la nomenclature avant l'été 2026, au mieux", déplore Patrick Gasser. Ce qui renvoie la revalorisation tarifaire à 2027, voire 2028, puisque l'élection présidentielle risque d'aboutir à une "année blanche" sur le plan conventionnel. "On a au minimum un an et demi de retard et au maximum trois ans, ça n'est pas acceptable !", tonne le représentant syndical, qui évoque une "perte de confiance franche" du côté des spécialistes. "Je vous avais dit que c'était une convention pour la médecine générale, ça se confirme…"
Rester dans l'Optam ou en sortir, telle est la question. "Ce qu'on va dire à nos collègues, c'est de faire le calcul eux-mêmes, d'estimer ce qu'ils perdraient en sortant de l'Optam, par rapport à ce qu'ils pourront facturer en restant dans l'Optam, ce sera une décision individuelle", lance Patrick Gasser, qui ne se fait pas d'illusions : beaucoup de médecins risquent de prendre la sortie pour regagner leur liberté tarifaire, à l'instar de la Dre Anne Boutemy, pédiatre dans l'Eure (lire son témoignage ci-dessous).
"Nous, ce qu'on aimerait, c'est que les gens qui respectaient leur engagement restent avec leurs anciens taux", confie Vincent Dedes. Si les médecins "se font contraindre encore plus, ils ne vont pas signer", met en garde le président du Snof. "Si demain pour une raison X ou Y le tarif des actes change, peut-être que je vais être obligé d'ajuster mes honoraires, mais ça va réduire ma marge de manœuvre."
"Il faut bien que chaque médecin mesure que si jamais il en sort, il va perdre ces aides", prévient le directeur général de la Cnam
"Derrière l'Optam, il y a des aides significatives de l'Assurance maladie, il faut bien que chaque médecin mesure que si jamais il en sort, il va perdre ces aides", a mis en garde Thomas Fatôme. Les signataires de l'Optam bénéficient en effet des tarifs de remboursement du secteur à honoraires opposables (la consultation sera par exemple remboursée 31,5 euros, contre 23 euros pour un secteur 2 non Optam). Pour les médecins de secteur 2, l'Optam est également le "seul moyen" d'accéder à plusieurs aides conventionnelles réservées aux médecins de secteur 1, énumère Richard Talbot : aide à l'emploi d'un assistant médical, contrats d'installation, avantage supplémentaire maternité/paternité/adoption.
Les adhérents bénéficient en outre d'une "rémunération spécifique" s'ils respectent leurs engagements, calculée sur la base de leurs cotisations sociales. Mais cette prime n'est pas "si intéressante", rétorquent les syndicalistes. "Ma prime était de l'ordre de 8 à 10 000 euros, confie Vincent Dedes. Par rapport à un chiffre d'affaires d'ophtalmo, ça ne va pas me changer grand-chose." Le vrai bénéficiaire est le patient, pointe-t-il. Si un tiers des ophtalmologistes ont choisi d'adhérer à l'Optam - un autre tiers est en secteur 1, l'autre en secteur 2 non Optam - c'est pour permettre à leurs patients de bénéficier d'une prise en charge des dépassements d'honoraires par leur complémentaire, insiste-t-il. "Dans des spécialités techniques comme la nôtre où on a quand même beaucoup d'activité chirurgicale, quand les gens ne sont pas remboursés c'est quand même très compliqué." Le spécialiste se voit mal devoir expliquer à ses patients pourquoi "du jour au lendemain", alors que ses tarifs n'ont pas changé, ils seront beaucoup moins bien remboursés. La balle est désormais dans le camp de la Cnam.
*Option pratique tarifaire maîtrisée
** Et quelques médecins qui ont fait le choix de s'installer en secteur 1, à l'époque de la mise en place du secteur 2
***D'après les chiffres fournis par la Cnam, les adhérents Optam représentaient fin 2024 : 65,6% des cardiologues, 67,2% des généralistes, 59,6% des pédiatres, 55,4% des radiologues, 33,8% des dermatologues, 59,3% des chirurgiens…
La réponse de la Cnam :
"Il est important de souligner qu’aucun médecin ne se voit proposer un contrat plus défavorable que précédemment", insiste la Cnam, sollicitée par Egora. "Si les taux de dépassement peuvent baisser pour certains, il s’agit d’une conséquence 'mécanique' des revalorisations importantes" de la nouvelle convention, "qui changent de facto la 'base' de calcul", explique-t-elle. Et de rappeler que l'Optam a fait l’objet de "discussions nourries et approfondies" avec les représentants des médecins spécialistes libéraux, avec un "groupe de travail dédié", "et ce tout au long de la négociation, pour aboutir à un cadre partagé, intégrant pleinement leurs demandes". La caisse nationale reconnaît néanmoins "la difficulté parfois pour les médecins adhérents de bien appréhender les évolutions en 'taux' pour leur situation personnelle et les tarifs pouvant être concrètement appliqués par chaque professionnel." Le report de la date butoir au 27 juin doit permettre d'"apporter les éclairages nécessaires". Dans les prochains jours, un nouveau courrier incluant une FAQ sera envoyé aux adhérents, indique la Cnam, qui reste "convaincue que la refonte de l'Optam, telle que définie dans la convention médicale, à la demande des syndicats médicaux, permet de dynamiser ce dispositif de pratique tarifaire maîtrisée, de limiter les restes à charge des patients et de répondre dans le même temps aux attentes exprimées par les médecins spécialistes libéraux".
La sélection de la rédaction
Le report des revalorisations tarifaires du 1er juillet est-il une rupture du pacte conventionnel?
Olivier Perrin
Oui
Soyons déterminés et courageux : engageons un mouvement massif et coordonné de déconventionnement. Les syndicats signataires de l... Lire plus