Moins de médecins, moins de moyens, mais toujours plus de besoins : le cri d'alerte des professionnels de la PMI
La PMI, qui vient de fêter ses 80 ans, survivra-t-elle à la prochaine décennie ? Mercredi 5 novembre, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant le ministère de la Santé pour exprimer leurs inquiétudes sur le devenir de ce service public dédié aux enfants et aux familles qui n'arrive plus à "remplir toutes ses missions".
"C'était important pour moi de venir défendre cette institution que je chérie et qui est en voie d'extinction. Avec l'augmentation de la mortalité infantile et l'aggravation de l'état psychique des enfants, je pense qu'on est de plus de plus important", défend la Dre Delphine Peyré. Médecin de PMI dans le Val-de-Marne. La praticienne a répondu à l'appel au rassemblement lancé par la plateforme "Assurer l'avenir de la PMI". Car si le département dans lequel elle exerce est "relativement privilégié", presque partout ailleurs "c'est la dégringolade", a alerté le président du Syndicat national des médecins de PMI (SNMPMI), le Dr Pierre Suesser.
"Les consignes sont de ne s'occuper que des populations les plus précaires et d'envoyer les autres vers le médecin [traitant], témoigne une puéricultrice de Gironde, dont le texte a été lu au cours de ce rassemblement. En sachant que des territoires sont des déserts médicaux et que les médecins n'ont ni le temps, ni la formation d'accompagner à l'allaitement, la diversification, au sommeil… Le médecin ne peut plus que vacciner les enfants sans sécu en oubliant toutes les autres missions de la PMI, et ce par manque de moyens." "Notre métier, à la base avec une formation paramédicale, tend à devenir social", résume une soignante de l'Orne.
Les parents sont triés, les professionnels voient leurs valeurs bafouées
"Où a disparu l'universalité de la PMI?", interpelle une autre puéricultrice, exerçant "dans une grande ville du Sud". "On nous demande de limiter les visites à domicile trop chronophages. D'orienter vers le libéral. D'abandonner les bilans dans les écoles maternelles dites 'favorisées'. Les enfants n'ont plus la même chance. Les parents sont triés. Les professionnels voient leurs valeurs bafouées, malmenées."
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le nombre de consultations en PMI chez les moins de 6 ans a chuté de 49% entre 1995 et 2019 et le nombre de visites à domicile effectuées par des sages-femmes auprès de femmes enceintes, de 36%, pointe la plateforme.
En cause, notamment, une "crise d'attractivité" de la PMI. Dans de nombreux départements, des postes de médecins restent vacants. Comme dans le Gers, qui compte 2.6 ETP de médecins, alors que 6 postes sont prévus : les départs se sont succédés, les remplaçants se sont raréfiés. A Béziers, première ville d'Occitanie en nombre d'enfants de moins de 11 ans vivant dans la pauvreté, un seul médecin est en activité sur les cinq postes que compte le secteur. A l'échelle du département de l'Hérault, ce sont 15 des 41 postes qui sont vacants, "sans compter les arrêts maladie et les congés maternité qui ne sont pas remplacés", rapporte une salariée. Des chiffres qui concordent avec les données de la Drees : en 2023, les services départementaux de PMI n'embauchaient plus que 1967 médecins pour 1373 ETP, contre 2905 pour 2250 ETP en 2010, soit une baisse de 32% et de 39%, respectivement.
2000 euros de plus pour travailler en centre de santé
"Les personnes intéressées ne souhaitent pas travailler en PMI à temps plein, relève un salarié du Val-de-Marne. Ils préfèrent avoir un temps partiel en complément d'une activité libérale." Mais selon les médecins, c'est surtout la rémunération (2300 euros brut en début de carrière) qui pose problème, car elle ne peut rivaliser avec celles d'autres postes salariés. "Nous recevons des appels de jeunes médecins qui sont vraiment intéressés par la prévention et seraient prêts à diversifier leur mode d'exercice, mais le salaire n'est pas acceptable", soulève une praticienne de Saône-et-Loire, pointant une "différence salariale énorme" entre les postes de PMI et ceux ouverts dans les centres de santé départementaux. "Nous avons eu une interne qui désirait venir travailler en PMI, relate-t-elle. Mais le salaire proposé était de presque 2000 euros de plus en centre de santé." "Dans un même département, le Conseil général paye ses médecins de soins quasiment deux fois plus que ses médecins de prévention", déplore Pierre Suesser. Le mouvement revendique la création d'un cadre statutaire commun aux médecins salariés de la fonction publique (PMI-santé sexuelle, santé scolaire, centres de santé, ministères-ARS) avec un alignement de la grille sur celle des praticiens hospitaliers.
Plus de budget pour réparer la fenêtre
La crise de la PMI est également budgétaire. Les crédits n'étant pas fléchés, ces services départementaux pâtissent des difficultés financières des collectivités. Ici et là, des recrutements sont "gelés", des postes supprimés. Comme dans le Maine-et-Loire, où psychologues et psychomotriciennes – vacataires- ont fait les frais des coupes budgétaires. Dans le Loiret, alors que le nombre de bébés confiés à la protection de l'enfance a été multiplié par 7 en 7 ans, "nous avons d'ores et déjà perdu 4 postes de puéricultrices depuis un an. Nous allons en perdre encore deux d'ici un an", redoute une salariée. "Le carreau de notre salle de consultation est fissuré depuis des mois, raconte une puéricultrice du sud de la France. Trop dangereux pour accueillir des enfants dans cet espace. Nous devons partager des locaux exigus à quatre puéricultrices et donc, ne plus pouvoir proposer autant de créneaux de consultation. Il n'y a plus de budget pour réparer la fenêtre."
Résultats : les délais de rendez-vous s'allongent et ne permettent plus de respecter les recommandations de suivis et le calendrier vaccinal. Dans plusieurs départements, les enfants ne peuvent être vus avant leur 2 mois et le suivi s'arrête à 2 ans, alors que la PMI est compétente jusqu'à l'âge de 6 ans, montrent les témoignages rassemblés. Les actions de prévention collectives autour de la parentalité (grossesse, développement psychomoteur, prévention des écrans…) sont laissées de côté.
Même dans les départements les plus "chanceux", la dégradation commence à se faire sentir. "Je suis dans un département très bien doté, quasiment tous les postes de médecins et de psychologues sont pourvus, témoigne une pédiatre francilienne, présente à la manifestation. Mais du fait de la démographie médicale, on nous demande de moins intervenir dans les crèches. Ce travail de repérage qu'on pouvait faire en crèche avec les psychologues et psychomotriciennes est en train de se déliter. On nous dit de renvoyer vers les médecins traitants, mais s'ils ne voient pas ce qu'on observe en crèche, ils peuvent balayer d'un revers de la main une hypothèse d'autisme ou de troubles du neurodéveloppement. L'observation que l'on peut faire en crèche, c'est un travail infiniment précieux", plaide-t-elle.
"Inertie" des pouvoirs publics
Alors qu'un rapport alertait déjà, en 2019, sur un risque "d'extinction de la PMI dans la majorité des départements d'ici une décennie" et que la feuille de route issue des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, en mai 2024, prévoyait de "réaffirmer le rôle et renforcer les moyens des PMI", syndicats et associations dénoncent l'inaction des pouvoirs publics. "Aucune des mesures de la feuille de route ministérielle en faveur de la PMI n'a été mise en œuvre depuis lors", alertent les professionnels dans un "appel d'urgence" adressé à la ministre Stéphanie Rist.
Plusieurs décrets d'application de la loi Taquet de 2022 n'ont toujours pas été publiés, pointe le président du SNMPMI. Ils visent à fixer des objectifs minimaux de couverture populationnelle pour les PMI : 20% d'enfants bénéficiant de consultations, 90% du bilan de santé en école maternelle, 15% des femmes bénéficiant d'un suivi pré et post-natal… Les normes minimales d'effectifs doivent être revues en conséquence, avec une puéricultrice pour 120 naissances, un médecin pour 350 naissances et une sage-femme pour 530 naissances. "Cette inertie vis-à-vis d'acteurs majeurs de prévention en santé infantile, familiale et juvénile est incompréhensible, au moment où l'on assiste à une remontée inédite de la mortalité périnatale et infantile en France, ainsi qu'à l'accroissement des inégalités en santé dès le plus jeune."
Reçus par des membres du cabinet de Stéphanie Rist mercredi matin, les représentants des professionnels n'ont eu que "peu d'engagements précis", rapporte le syndicaliste. "Sauf sur la mise en place -probablement en décembre- d'un comité stratégique sur la PMI, qui associerait tous les acteurs concernés dont le ministère, les Départements de France, la Cnam, pour travailler ensemble sur les politiques de PMI. Pour nous, il doit avoir une assise réglementaire." De même, le secteur ne peut se contenter de rallonge budgétaire ponctuelle, insiste le représentant. "Tout ce qui n'est pas pérenne, à moyen et long terme, fait que les départements ont beaucoup de mal à s'en saisir pour recruter des personnels. Les politiques de prévention, ça ne se mène pas sur 1, 2 ou 3 ans." Une nouvelle entrevue est prévue d'ici à la fin de l'année.
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