Envoyer les médecins en secteur 2 dans les déserts "quelques jours par mois" : la "seule réponse efficace" selon Revel

Alors que le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale continue de se creuser, Nicolas Revel plaide pour la mise en place d'une stratégie pour redresser le système de santé. Pour "sortir de l'impasse", le directeur général de l'AP-HP propose notamment d'obliger les médecins installés en secteur 2 à réaliser "quelques jours" par mois des consultations avancées dans les zones les plus en difficulté. 

26/05/2025 Par Chloé Subileau
Politique de santé

Article mis à jour le 28/05/2025 à 11h, avec des ajouts sur la proposition visant à obliger les médecins en secteur 2 à consulter dans les déserts médicaux. 

Alors que le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale devrait atteindre les 15 milliards d'euros en 2025, et qu'un mur démographie et épidémiologique se profile "à l'horizon des 25 prochaines années", Nicolas Revel estime que nous "ne serons pas en capacité de le franchir". Le système de santé français, qui fait face aux défis majeurs de l'offre de soins et de la soutenabilité économique, "n'est aujourd'hui pas prêt", insiste le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) dans une note intitulée "La santé des Français : sortir de l’impasse", publiée ce lundi par le think tank Terra Nova. Il appelle ainsi "à la mise en place d'une stratégie qui s'éloigne des solutions comptables ou des facilités de court terme".   

Pour le directeur général de l'AP-HP, le premier objectif est "d'attirer et fidéliser des professionnels en nombre suffisant". Mais pour cela, trois erreurs doivent être évitées, souligne-t-il, à commencer par la volonté d'"ouvrir les vannes de la formation initiale sans réflexion fine sur ce que sera la réalité des besoins dans les décennies à venir".

Il pointe deux autres erreurs qui seraient "d'augmenter le nombre de professionnels de santé en s’exonérant de la question difficile du choix de leur discipline, de leur cadre d’exercice et de leur territoire d’implantation", et "de considérer que former plus de professionnels suffirait". "C’est évidemment nécessaire mais loin d’être suffisant", indique Nicolas Revel, qui déplore notamment les nombreux changements de métiers et réorientations "vers des modes d'exercice plus confortables ou plus éloignés du cœur des besoins".  

 

Obliger les médecins en secteur 2 à se rendre dans les déserts

Et "si laisser faire n’est plus envisageable, si la nécessité d’une régulation ne peut plus être niée, sa modalité reste à construire et je ne crois pas que la solution soit dans l’idée apparemment simple mais à mes yeux simpliste et surtout inefficace, d’une limitation des possibilités d’installation dans des zones jugées surdotées", soutient également l'ancien directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie, qui appelle cependant à "mettre en place un système obligatoire de consultations avancées dans les zones sous-denses". Cette proposition, qui se rapproche de celle avancée fin avril par François Bayrou pour lutter contre les déserts médicaux, est, pour Nicolas Revel, "la seule réponse efficace". 

Pour le patron des hôpitaux parisiens, "tout médecin installé en secteur 2 devrait consacrer quelques jours dans le mois à des consultations dans un site choisi par l’Agence régionale de santé, évidemment équipé en fonction de sa spécialité, à tarif opposable et avec une garantie minimale de revenus". Ce système, "qui devrait être rendu obligatoire" pour tous les médecins "s'installant en secteur 2", "serait bien plus efficace et apporterait une réponse bien plus rapide et concrète aux trop nombreux patients pour lesquels les difficultés sont devenues encore plus prégnantes s’agissant de l’accès aux spécialistes qu’en médecine générale", insiste Nicolas Revel, qui indique également compter sur la participation des "grands centres hospitaliers", "qui concentrent de par leur vocation même beaucoup de médecins dans de nombreuses spécialités".

Le directeur de l'AP-HP revient, par ailleurs, dans cette note sur la forte augmentation du déficit de la branche maladie. Si elle "a toujours été plus ou moins en déficit depuis 40 ans, de tels chiffres [13,8 milliards d'euros en 2024, NDLR] n'avaient jamais été atteints", assure-t-il, estimant que le déficit actuel "n'est plus conjoncturel mais bien structurel en ce qu'il n'est plus lié à des circonstances exceptionnelles".

 

Pour Nicolas Revel, la situation doit nécessairement être améliorée, mais en évitant "deux solutions de facilité" : "laisser filer les déficits reviendrait à accepter que les dépenses de santé des patients d'aujourd'hui, en majorité très âgés, soient supportées, à travers la dette, par leurs petits-enfants" ; "ajuster les recettes en relevant les taux de cotisations ou de la CGS pourrait certes s'envisager de manière ponctuelle mais deviendrait parfaitement impossible s'il fallait y recourir chaque année pendant 25 ans".  

Le patron des hôpitaux parisiens appelle, en outre, à sortir des logiques de régulation comptable. Pour ce dernier, la régulation de la dépense demeure "une nécessité", "mais les instruments qui ont été principalement utilisés pour y parvenir avant le Covid sont devenus largement inopérants", écrit-il, dans sa note. "Une seule solution demeure et va s’imposer à nous : travailler sur le premier paramètre de la dépense, c’est-à-dire la demande de soins pour la resserrer sur sa partie réellement nécessaire ou non évitable", poursuit-il.  

 

Créer du sens, de la confiance et du collectif

Nicolas Revel s'interroge,, en outre, sur la nécessité d'améliorer la qualité des soins. Pour atteindre cet objectif, trois conditions doivent être respectées : la première est d'avancer dans la voie de la mesure, de l'évaluation et de la transparence en matière de pratiques et de résultats cliniques ; la deuxième, d'assumer que cette exigence de qualité et de sécurité des soins implique d'avancer dans l'ajustement de notre carte sanitaire ; et la troisième est d'inscrire ces enjeux de qualité et de sécurité des soins, de pertinence et de juste prescription dans un rationnel économique incitatif, "tel n'est pas le cas aujourd'hui", résume le directeur général de l'AP-HP. Cela commence notamment "par disposer tout simplement de l’information sur le coût de ce que l’on prescrit, ce que ne savent actuellement ni les patients ni aucun professionnel, en ville ou en établissement", ajoute Nicolas Revel.

Enfin, le patron des hôpitaux parisiens appelle à mettre l'accent sur la prévention (primaire, secondaire et tertiaire). Et rappelle que, selon lui, le "cœur de la bataille" réside dans la transformation "du suivi des pathologies chroniques". "25 millions de personnes sont aujourd’hui en France atteintes d’une ou plusieurs maladies chroniques ; leurs dépenses de santé représentent les deux tiers de la dépense totale et près des trois quarts de sa progression annuelle. Nous sommes là au cœur du moteur de la dépense de santé", affirme Nicolas Revel, pour qui une organisation structurée de ces patients doit être mise en place.

Pour le directeur général de l'AP-HP, un changement "de paradigme" est donc nécessaire. "Nous devons […] placer au cœur de la stratégie de santé ces enjeux de qualité des soins, de pertinence et surtout de prévention", ajoute-t-il ce lundi. Mais "pour réussir une telle transformation stratégique, il ne suffira pas de la décider, il faudra embarquer l’ensemble des acteurs sur la base d’un contrat politique et économique, d’une durée d’au moins 5 années, qui concilie une formulation claire des objectifs, un portage assumé au plus haut niveau et surtout une vraie constance dans les moyens mis en œuvre", détaille Nicolas Revel. "C’est ainsi que nous parviendrons à créer du sens, de la confiance et du collectif, trois impératifs sans lesquels rien ne sera possible."

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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 6 mois
Ce n'est pas faux ce qu'il dit, autant que je puisse m'en rendre compte, mais mon impression c'est qu'il tourne autour du pot. ""Une seule solution demeure et va s’imposer à nous : travailler sur le premier paramètre de la dépense, c’est-à-dire la demande de soins pour la resserrer sur sa partie réellement nécessaire ou non évitable", C'est bien le cœur de la question, mais quel politicien aura le courage de dire à la population que la fête est finie ? Surtout que dire ce qui est "réellement nécessaire et non évitable", c'est finalement très subjectif. Par exemple, beaucoup de médecins, animés de sentiments nobles, veulent offrir à leurs patients un cocon doux, quelques jours/semaines/mois d'hospitalisation, ou le patient est rassuré , déchargé de toute contrainte matérielle, la "maison de repos" l'antan. Est-ce que cela est réellement nécessaire ? La plupart vont dire : oui, bien sûr. Éventuellement en arguant du fait qu'in fine, ça coutera moins cher que de faire passer le patient x fois aux urgences. Et certains trouvent parfaitement indécente toute allusion au fait que la santé (ou plutôt, le soin) a un cout. Ce qu'on ne voit pas des hauteurs de l'administration, c'est que le "cout de la santé" est la somme de ces petites décisions individuelles, prises souvent de bonne foi, parfois pour faire enfin sortir le patient du cabinet, et parfois par crainte médico-légale. Comment expliquer au patient qu'on lui refuse un morceau de ce bon gâteau, qui a la douceur de la gratuité, parce qu'on estime que ce n'est pas vraiment nécessaire ? Ce ne sera probablement pas M. Revel qui va s'y coltiner, ni ses successeurs. Comme toujours, ils vont laisser faire le sale boulot par les petites mains. Au mieux, pour les plus courageux, ils vont se cacher derrière la décision médicale.
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Débatteur Passionné
Autre spécialité médicale
il y a 6 mois
Cela devient un choix de société. Dans une société ouverte sur le monde économique, en termes exclusivement statistiques, il faut voir ce que "rapporte" le citoyen lambda (courbe de Gauss) à la communauté et ce qu'il lui coûte. Le "coûte que coûte" explique les 3 et plus milliards de la dette publique qui va encore augmenter comme les intérêts de la dette alors que le niveau de pression fiscale est déjà au taquet et le peuple néanmoins mécontent. D'aucuns sont tentés, mais le système soviétique n'a pas produit qu'on sache de système de santé enviable pas plus du reste que celui des "médecins aux pieds nus" envoyés de force dans les campagne chinoises au temps du Grand timonier. Le recours salvateur au secteur 3 comme une visite chez Samsonite ne seraient pas toléré par la population à l'intérieur des frontières. Oui, c'est devenu un choix de société, en médecine comme ailleurs. Nous ne feront pas l'économie d'en être.
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3 k points
Débatteur Passionné
Biologie médicale
il y a 6 mois
Au milieu de ce discours verbeux qui ne donne aucune piste pratique de solution je relève: "par disposer tout simplement de l’information sur le coût de ce que l’on prescrit, ce que ne savent actuellement ni les patients ni aucun professionnel, en ville ou en établissement", ajoute Nicolas Revel: il suggère la fin du tiers payant qui est effectivement très questionnable en ambulatoire ? La solution ne serait elle pas que les médecins disposent du budget des prescriptions et donc seront intéressés à limiter les dépenses (j'ai du dire à mon médecin traitant de ne pas me prescrire tous les ans un bilan lipidique alors que le précédent était normal) et que les patients soient crédités en début d'année d'une somme à définir variable selon l'age et ils sont remboursés uniquement quand cette somme est dépassée. Par contre si ils ne consomment pas le crédit ils le gardent, Là encore les patients seront intéressés à faire des économies et la plupart en feront..
 
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