Mesure de la pression artérielle : comment intégrer les innovations technologiques et la variabilité des mesures à la pratique clinique ?
À la mesure ambulatoire de la pression artérielle s’ajoutent désormais de nouveaux concepts ou dispositifs.
Dans ses recommandations 2024, l’European Society of Cardiology (ESC) a positionné le recours à la mesure ambulatoire de la pression artérielle (PA) ou à l’automesure à domicile comme des outils diagnostiques à privilégier sur la mesure au cabinet médical, et l’automesure comme un outil de suivi. L’European Society of Hypertension (ESH), loin d’en nier l’utilité, rappelle toutefois que ces méthodes, malgré leur intérêt, n’ont pas un rationnel scientifique suffisant sur certains aspects : "La mesure au cabinet médical reste la mesure clé sur laquelle les risques liés à l’HTA, le bénéfice des traitements antihypertenseurs et les seuils et objectifs thérapeutiques ont été étudiés et établis au travers des études cliniques", a martelé le Pr Giuseppe Mancia (Milan).
Par ailleurs, la reproductibilité de l’écart entre la pression artérielle mesurée en consultation et celle mesurée en dehors du cabinet médical est inconstante. "Les équivalences proposées dans les recommandations sont moins précises lorsque l’on s’intéresse aux extrémités des plages de PA", a-t-il souligné. Aussi, deux patients ayant la même valeur de PA au cabinet peuvent avoir des pressions ambulatoires très différentes, et inversement. Aussi, si les moyennes sont utiles dans le cadre des études cliniques ou pour statuer en matière de recommandations, des mesures répétées, tant ambulatoires qu’en consultation, sont indispensables pour le suivi individuel.
L’hypertension artérielle nocturne, encore difficile à cerner
D’ici à la fin de l’année, l’ESH publiera un article de position sur la mesure de la pression artérielle nocturne, afin de faire le point sur l’hypertension nocturne (valeurs supérieures à 120/70 mmHg mesurées par Mapa), qui est reconnue comme étant associée à un risque cardiovasculaire, cérébrovasculaire et rénal. Le plus souvent, elle concerne les non-dippers (ceux dont la baisse de la PA nocturne ne dépasse pas les 10 % des valeurs diurnes) et est souvent un des phénotypes associés à l’HTA masquée non contrôlée.
La méthode de mesure la plus appropriée y sera notamment débattue, car de nouveaux dispositifs permettent aujourd’hui d’avoir des mesures automatisées à domicile durant la nuit. Eux non plus ne seront pas exempts des limites de corrélation entre méthodes de mesure : la latence d’endormissement, la survenue de réveils, le différentiel de mesure observé entre les bras droit et gauche selon la position de sommeil sont autant d’éléments qui peuvent influencer les mesures sans qu’ils ne soient faciles à identifier sur le tracé. Les changements de position au cours du sommeil et la position du brassard peuvent induire des différences de pression hydrostatique qui modifieraient la qualification de l’HTA nocturne chez certains patients (1). Les algorithmes utilisés pourraient intégrer ces notions pour améliorer la fiabilité des mesures.
Vigilance avec les dispositifs connectés
Quant aux dispositifs connectés sans brassard (cuffless), de plus en plus nombreux, ils ne sont, pour l’heure, pas recommandés en routine par les sociétés savantes européennes ou américaines. "Les montres et les capteurs connectés à nos téléphones sont de plus en plus précis, mesurent de plus en plus de paramètres, mais cela ne veut pas dire qu’ils apportent davantage d’informations au clinicien", a mis en garde le Pr George Stergiou (Athènes). Pour être utilisés en pratique clinique, ils doivent remplir un certain nombre de prérequis : évaluation clinique et en vie réelle, pertinence clinique des données mesurées, validation indépendante, exploitation simple et rapide des données par les praticiens, qui sont souvent débordés. Une étude clinique a confirmé, par exemple, le différentiel qui existe entre certains paramètres tensionnels mesurés par un tensiomètre sans brassard présent sur le marché versus un brassard de Mapa conventionnel (2).
Quelle place clinique attendre pour la variabilité tensionnelle ?
Finalement, la variabilité de la pression artérielle (VPA) à court, moyen ou long terme apparaît de plus en plus clairement comme un facteur prédictif des événements cardiovasculaires, indépendamment de la PA moyenne : le suivi de plus de 36 000 patients sur une durée médiane de quatorze ans (3) confirme qu’une variabilité persistante importante accroît le risque de maladie cardiovasculaire, d’insuffisance rénale chronique, de démence et de mortalité globale par rapport à ceux chez lesquels la variabilité restait faible. Par ailleurs, ceux dont la variabilité restait élevée au cours du temps étaient exposés à ces mêmes sur-risques, par rapport aux autres.
L’écart type pondéré de la PA sur vingt-quatre heures obtenu à partir de la Mapa (après exclusion des valeurs nocturnes) semble le paramètre le plus pertinent pour qualifier la VPA sur 24 heures. "Ceux dont la variabilité est supérieure à 10 % devraient être reclassifiés comme étant à haut risque", a suggéré le Dr Gianfranco Parati (Milan).
Dès lors, comment la prendre en charge ? Outre les interventions sur le mode de vie, les médicaments à longue durée d’action seraient les plus efficaces pour "lisser" le profil tensionnel, a fortiori en bithérapie. Le suivi sur vingt ans de la cohorte de l’étude Ascot (4) a confirmé que la VPA systolique est un facteur prédictif important, même si la PAS est par ailleurs contrôlée : dans cette étude, le bénéfice du traitement à base d’amlodipine, de longue durée d’action, était supérieur à celui à base d’aténolol en termes de réduction des événements cardiovasculaires. Aussi, pour l’orateur, "la VPA devrait être intégrée dans les recommandations".
1. Pilz N, et al. Hypertens Res 2025;48(3):1144-54.
2. Bhatt BJ, et al. European Heart Journal - Digital Health 2025;ztaf044.
3. Cheng X, et al. Eur Heart J 2025:ehaf256.
4. Gupta A, et al. Eur Heart J 2024;45:1159-69.
Au sommaire :
- Objectifs thérapeutiques de l'HTA: les sociétés européennes d'hypertension et de cardiologie en désaccord
- HTA résistante : lutter contre l’inertie thérapeutique
- HTA résistante : la perspective de nouveaux traitements
- Femmes enceintes hypertendues : un risque de démence accru
- Prévenir l’HTA avant la naissance ?
Références :
34ème Congrès européen sur l’hypertension et la protection cardiovasculaires (ESH 2025, Milan, 20 - 26 mai). D’après la session plénière "ESC guidelines : Hot Issues" et l’atelier thématique "What is new in out-of-office BP measurement".
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