Voie unique, régionalisation de l'internat... Cette proposition de loi qui veut (encore) réformer les études de médecine
Créer une voie unique d'entrée en filières santé, territorialiser l'internat, homogénéiser le statut de maître de stage… Ce sont quelques-unes des dispositions de la proposition de loi relative aux formations en santé, adoptée le 20 octobre en première lecture au Sénat. Portée par la sénatrice LR Corinne Imbert, ce texte doit renforcer l'attractivité et faciliter l’accès à ces études pour les étudiants. Interview.
Egora : Votre proposition de loi, adoptée en première lecture au Sénat, prévoit un retour à une voie unique d'accès aux filières santé sous la forme d'une licence. Qu'est-ce qui différencie cette nouvelle voie de l'ancienne Paces ? Est-ce un retour à l'ancien système ?
Corinne Imbert : Ce n'est pas ce qui écrit, que ce soit un retour à la Paces. Avant, il y avait un concours, un numerus clausus, même après un numerus apertus. Ce que l'on propose, c'est une licence accès santé et axée santé. C'est d'abord une voie unique, pour s'y retrouver [contrairement au système actuel, NDLR], et on continue la marche en avant. Il n'est pas question de revenir en arrière.
Ce que l'on souhaite, c'est une majorité d'enseignements en santé, parce que les étudiants qui s'inscrivent veulent d'abord faire une profession de santé ; pour un certain nombre médecine, mais pas seulement. Pour qu'il n'y ait pas ce fameux "retour en arrière", on veut qu'il y ait une majorité de matières en santé, et une autre discipline choisie par l'étudiant ou l'étudiante, mais pas dans un catalogue aussi large qu'aujourd'hui. Il faut vraiment que l'on soit sur plutôt de la santé et que ça ne parte pas dans tous les sens concernant la deuxième discipline. Mais on est bien sur le même processus de marche en avant ; à aucun moment il n'a été question de revenir en arrière et de revenir à la Paces.
Le système que vous proposez se rapproche donc plus du système de LAS, mis en place en 2020, mais avec moins de choix concernant les disciplines hors santé ?
Exactement. C'est comme les LAS actuelles, mais avec une majorité d'enseignements en santé ; sur les LAS actuelles, on n'est pas sur une majorité d'enseignements santé, mais sur une mineure santé. Et puis encore une fois [selon la PPL], l'autre discipline est choisie dans un panel moins large qu'il ne l'est aujourd'hui.
Si le retour à une voie unique est largement plébiscité – notamment par les doyens de médecine -, la mise en place d'une première année dans chaque département l'est moins. C’est pourtant ce que vous proposez. Les doyens pointent notamment un manque de moyens financiers, humains et matériels pour mettre en place une telle mesure. Qu'en pensez-vous ?
On est sur une proposition de loi donc il n'y a pas de financements, car on ne peut pas les mettre. J'avais échangé avec Yannick Neuder, l'ancien ministre de la Santé, sur les axes de la proposition de loi, et il y était très très favorable. Puis, il était difficile au Sénat de dire qu'on mettrait une première année dans certains départements et pas dans d'autres.
Donc, c'est un vœu [de le faire], après on verra ce qui est du domaine du possible et du réalisable. Donc oui, effectivement il y a un coût et il ne faut pas à tout prix déployer des premières années dans tous les départements si la qualité de l'enseignement n'est pas assurée. Clairement, il ne faut pas sacrifier, au nom d'une présence territoriale, la qualité de l'enseignement. Il y a donc une volonté pour rendre plus accessibles ces études de santé à la majorité des étudiants qui veulent s'y engager ; il y a cette volonté politique, on verra ce qui est du domaine du possible et du réalisable.
Une autre mesure phare est la territorialisation de l'internat de médecine, avec comme objectif que 2/3 des étudiants soient affectés pour l'internat dans la région dans laquelle ils ont réalisé leur externat. Quel est l'intérêt de cette territorialisation ?
D'abord, on reste sur un concours national. Il n'est pas question de revenir à l'ancien système avec différents concours et différentes régions. Deuxièmement, on veut continuer à favoriser l'excellence, c'est-à-dire que le premier tiers [des étudiants au concours de l'internat] pourra choisir la région où il veut exercer son internat. Il n'y a pas de raison d'aller contre cela.
Par contre, l'état des lieux aujourd'hui c'est que l'on a moins de 50% des étudiants qui restent là où ils ont commencé leurs études en santé, leur externat. On se trouve dans des situations, y compris pour les chefs de service, pour les professeurs… où ils vont former des étudiants, mais qui ne resteront pas dans la région. C'est-à-dire que pour un choix de dépaysement, pour une raison personnelle ou dans leur intérêt professionnel, les étudiants vont se former ailleurs et parfois ils ne restent pas. Ils le disent d'entrée : "Nous on est venus, mais on ne va pas rester là." A la fois, ce n'est pas bon pour les territoires et ce n'est pas bon non plus pour ceux qui les forment, il y a une forme de déception. Quand vous êtes professeur ou chef de service, vous avez envie de former des gens qui demain intègreront votre service, qui s'installeront dans la région...
Et on voit qu'en parallèle, on a un ratio de professionnels de santé qui sont installés – notamment pour les médecins généralistes – pas loin du lieu où ils sont nés ou ont passé leur jeunesse. Donc, on voudrait améliorer cette part d'internes qui continuent, qui poursuivent la formation là où ils ont commencé leur formation initiale et leur externat.
"Ça n'a rien avoir avec la coercition à l'installation"
Cette mesure est pourtant vivement critiquée par l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Ils y voient notamment une forme de "coercition déguisée"…
Ce n'est pas une coercition déguisée. Il ne faut surtout pas me faire ce reproche-là, parce que je fais partie des élus qui luttent contre la coercition à l'installation. On essaye justement de trouver des solutions pour faire barrage à ce qui se passe à l'Assemblée nationale. Il ne faut quand même pas l'oublier. Avec cette territorialisation, ça ne veut pas dire que, parce que vous avez commencé vos études à Poitiers et que vous les finissez à Poitiers, on vous obligera à vous installer et travailler en Poitou-Charentes. Ce n'est pas ma volonté ; il ne faut pas me faire ce reproche-là. Par contre, il est important que l'on ne dépouille pas les CHU des bons élèves.
Concernant le choix du ratio de 1/3 et 2/3, c'est encore une proposition de loi. Elle n'est pas définitivement votée, il va y avoir son passage à l'Assemblée nationale.
De plus, le Gouvernement, qui n'a pas voulu mettre la procédure accélérée sur ce texte, a lancé une concertation [le jour même du vote du texte au Sénat]. Je trouve qu'ils poussent le bouchon un peu loin. Il y a déjà le rapport de la Cour des comptes qui date d'un an et le travail parlementaire qui a été fait, à coup d'auditions, et qui s'est traduit dans une proposition de loi, et eux, ils reculent d'un pas pour lancer une concertation. C'est évidemment dans les pouvoirs du ministre : s'ils veulent lancer une concertation, ils lancent une concertation. Mais on a les mêmes objectifs, on a envie d'atterrir à la même rentrée 2027, et ils sont en train de perdre du temps. Avec les rapports et tout ce qui a été nourrit sur ce sujet-là, j'espère que cette concertation ne va pas durer encore six mois.
Encore une fois, tout le monde constate – je pense qu'il n'y a pas de voix discordante là-dessus – un loupé du Pass/LAS et s'accorde sur le fait qu'il faut généraliser l'expérimentation de l'option santé dans les lycées. Alors, allons-y ! Et puis, réfléchissons à la mise en œuvre. Nous, sénateurs, ce n'est pas nous qui allons faire la maquette, c'est effectivement du ressort des ministères, des facultés, des doyens… Mais, de grâce, quand on fait un constat qui est partagé, arrêtons de perdre du temps.
Donc, j'espère que le texte sera inscrit après les discussions budgétaires à l'Assemblée nationale, pour que derrière il y ait une mise en musique. Après, est-ce que l'on restera sur un ratio de 2/3 [pour la territorialisation] ? Est-ce que l'on reviendra en arrière ? Si on se met sur un 50/50, c'est pratiquement ce qui existe aujourd'hui. Je trouverais cela un peu dommage. Mais, encore une fois, ça n'a rien avoir avec la coercition à l'installation.
L'article 5 de la PPL prévoit de créer quatre statuts homogènes applicables aux maîtres de stage des universités (MSU) en médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique. Quel est le but de cette disposition ?
Il y a une grosse attente là-dessus en maïeutique, en pharmacie et même en dentaire. Alors évidemment, il y a un coût ; je ne l'ignore pas. Mais je pense que c'est partagé aussi par les doyens, il y a une grosse attente côté doyens et côté étudiants aussi.
Qu'est-ce qui pose problème ?
Pour la pharmacie, ce serait une évolution du 3e cycle. La maquette est - je crois - écrite, mais elle n'est pas mise en musique car le statut de MSU n'est pas validé. On la repousse d'année en année. Cette réforme a eu du mal à aboutir. Elle fait consensus aujourd'hui, sauf qu'il manque une chose : c'est une réforme sur la dernière ligne droite des études, et le statut de MSU en pharmacie n'est pas arrêté. C'est une façon de dire que maintenant que tout le monde est d'accord sur une réforme du 3e cycle, notamment en pharmacie, allons-y ! Il faut y mettre effectivement les moyens et organiser les choses.
Est-ce la même situation pour la filière maïeutique ?
Je pense que c'est exactement la même chose. Je n'ai plus en tête le détail. Il y a une attente, et puis on était sur une volonté d'une équité de traitement [entre les filières].
Enfin, vous proposez de mettre en place un statut de médecin accueillant pour les docteurs juniors en quatrième année de médecine générale. Pourquoi ?
Oui, de façon temporaire. On n'a pas le droit de se louper sur l'accueil des docteurs juniors, dont les premiers seront accueillis l'année prochaine au 1er novembre. Quand je dis "on", c'est l'ARS, les facultés, les médecins, les collectivités… Il faut que les docteurs juniors soient accueillis dans les meilleures conditions possibles, évidemment avec un encadrement de qualité. On n'a pas assez de stages universitaires. Pour autant, il y a des professionnels – et notamment dans les zones où l'accès aux soins est plus compliqué, c'est-à-dire où les professionnels de santé, les médecins généralistes sont les moins nombreux, ils sont débordés, c'est compliqué parfois d'aller faire de la formation car c'est à 1h30 ou 2h de chez eux… - qui souhaitent accueillir.
Donc, moyennant bien sûr de l'expérience professionnelle et un engagement de leur part à suivre la formation pour être MSU dans un délai rapide, on pourra sur les premières années accepter qu'un docteur junior soit accueilli chez un médecin accueillant. Mais, dans un environnement proche, il faudra qu'il y ait un maître de stage des universités, qu'il puisse épauler à la fois le médecin accueillant et répondre aux attentes du docteur junior.
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