Des études financées contre une installation dans un désert : l'extension du CESP pose question
Chaque année, quelques centaines d'étudiants en médecine et en odontologie signent un contrat d'engagement de service public (CESP). Ce dispositif, qui vise à lutter contre les déserts médicaux, s'apprête à être ouvert dès la 2e année d'études et étendu aux apprentis pharmaciens et sages-femmes. Une "bonne chose" pour les représentants des carabins, qui appellent toutefois à la "vigilance". Explications.
Chaque année, ils sont quelques centaines de carabins à souscrire un contrat d'engagement de service public (CESP). Ces apprentis médecins perçoivent alors une indemnité mensuelle de 1200 euros bruts. En contrepartie, ils s'engagent à exercer, à l'issue de leurs études, dans une zone en tension. Et ce, pour une durée égale à celle durant laquelle ils ont perçu l'allocation et qui ne peut être inférieure à deux ans.
Créé en 2009 par la loi "hôpital, patients, santé et territoires" de 2009, et réformé en 2019, ce dispositif n'est ouvert qu'aux étudiants de 2e et 3e cycles de médecine et d'odontologie. Mais le Gouvernement voudrait aller plus loin. Conformément aux dispositions de la loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, promulguée fin décembre 2023, l'exécutif doit étendre le CESP aux étudiants en maïeutique et en pharmacie*. Le dispositif devrait également être accessible dès la 2e année d'études – contre la 4e actuellement - dans toutes les filières concernées. Enfin, sa gestion sera transférée du Centre national de gestion (CNG) à l'Agence de services et de paiement.
"On a eu une réunion pour parler de la mise en œuvre" de ces évolutions, confirme Atika Bokhari, présidente de l'Isnar-IMG**. "Ce sont des discussions qui sont en cours depuis un petit moment, mais ce n'était pas encore acté", abonde Mélanie Debarreix, à la tête de l'Isni***.
Selon la représentante des internes, un projet de décret aurait déjà été soumis au Conseil d'Etat, tandis que "d'autres projets d'arrêtés sont en cours d'élaboration". Le Gouvernement semble vouloir aller vite, puisqu'il prévoit de mettre sur pied cet élargissement dès cette année universitaire. "La première promotion impactée serait la campagne CESP 2025-2026", appuie Atika Bokhari.
Près de 4 800 CESP signés
À l'heure où les défis d'accès aux soins sont de plus en plus nombreux, cette extension vise à favoriser le recours au CESP par les futurs soignants. Selon un bilan du CNG, publié en juillet, 7 627 contrats ont été offerts aux étudiants en médecine depuis la première campagne du dispositif en 2010. Mais 4 761 ont été effectivement signés par des carabins (soit une part de 62,4% de contrats signés sur ceux offerts). "Après une diminution du nombre de contrats signés" en études de médecine entre 2019 et 2021, "le nombre de signatures regagne du terrain et atteint son meilleur niveau sur les deux dernières campagnes", avec respectivement 523 et 542 contrats signés, indique le CNG. Les années précédentes, ce chiffre n'avait que rarement dépassé les 400 contrats signés.
S'il connaît un regain d'intérêt, le CESP souffre encore de plusieurs limites. "Pour que ce soit un outil vraiment utile à l'installation et un déterminant, il y a l'argent, mais ce n'est pas tout. Ce n'est pas suffisant", avance Atika Bokhari, pointant le manque d'accompagnement auquel font face les signataires. Ils sont pourtant censés être suivis par un référent de l'ARS de la subdivision dans laquelle ils souhaitent exercer. Or, selon une enquête publiée en 2019 par l'Isnar-IMG, plus de 81,2% des internes ayant souscrit un CESP n'ont jamais eu de référent ; ce chiffre est de 78,2% avant l'internat****.
"Les étudiants qui signent un CESP sont lâchés dans la nature", lance Mélanie Debarreix. "S'ils reçoivent déjà un mail par an de l'ARS, c'est le bout du monde. Alors que ce sont des personnes qui ont envie de s'installer dans une région [en difficulté]. On trouve ça dommage. Il pourrait y avoir un lien social et humain qui pourrait faciliter les installations", développe la présidente de l'Isni. "On aimerait que ce soit un peu mieux fait en termes de suivi", confirme Marion Da Ros Poli, à la tête de l'Anemf*****.
Étendre le dispositif à plus de spécialités
Autre limite : le renouvellement des zones considérées comme sous-denses. Les ARS sont, en effet, censées mettre à jour au moins tous les trois ans la cartographie des territoires les plus en difficulté. Or, certains étudiants souscrivent à un CESP "pour être sûrs d'exercer dans un territoire", mais quelques années plus tard il arrive que ce dernier "qui était cartographié en ZIP ne le soit plus", détaille Atika Bokhari. "L'étudiant ne peut plus s'y installer, déplore-t-elle. Il devrait pouvoir le faire, même si le territoire devient un peu moins sous-dense" au cours de qzs études.
La présidente de l'Isnar-IMG pointe une autre difficulté : selon l'enquête de 2019, seuls 41,6% des étudiants ayant souscrit un CESP ont pu choisir la spécialité qu'ils avaient initialement demandée. Car, si les carabins engagés en CESP bénéficient d'une procédure d'appariement différente de celle des autres étudiants, ils n'ont pas l'assurance d'accéder à la spécialité pour laquelle ils ont souscrit à ce contrat. "C'est quelque chose de très limitant", glisse Atika Bokhari, qui propose de revoir le système d'affectation de ces étudiants. "Ce n'est pas assez cadré, acquiesce Mélanie Debarreix. Mais, pour le moment, je crois qu'il n'est pas prévu de changer la procédure d'affectation de ces postes CESP."
Ces difficultés ne sont pourtant pas sans conséquence, puisqu'un étudiant - déçu par son affectation, par exemple - qui décide de rompre son CESP est contraint de rembourser toutes les sommes qu'il a perçues. "Il est contraint de les rembourser en net, alors qu'il les a perçues en brut […] Personne ne peut [vraiment] se permettre de rompre son contrat", note Atika Bokhari. D'autant qu'une pénalité s'ajoute à ce remboursement.
Du côté de l'Isni, on appelle à ouvrir le dispositif à un plus grand nombre de spécialités. Il est "démocratisé en médecine générale, reconnaît Mélanie Debarreix, mais on se rend bien compte que, dans le contexte actuel, ça ne ferait pas de mal de l'élargir davantage aux autres spécialités." Selon le CNG, 90,3% des internes en médecine allocataires d'un CESP sont inscrits en médecine générale. "Sur les près de 10% restants, la psychiatrie compte 23 allocataires", "suivie de la médecine d'urgence avec 15 étudiants", peut-on lire dans le rapport, publié cet été. "Si on ouvrait un peu plus les vannes, on pense qu'il y aurait beaucoup plus d'étudiants qui seraient enclins à participer à ce projet", pense ainsi Mélanie Debarreix.
Si le dispositif peut être amélioré, son élargissement reste "une bonne chose", selon la présidente de l'Isni. "Mais il faudra rester vigilant les premières années pour voir comment cela se passe", ajoute-t-elle, craignant notamment qu'un engagement dès la 2e année d'études puisse accroître le nombre de ruptures de contrat. "C'est extrêmement compliqué de se projeter" à cet âge-là.
On ne peut pas laisser les étudiants s'engager dans quelque chose qu'ils ne connaissent pas
Une inquiétude partagée par Marion Da Ros Poli. Pour l'externe, "le CESP dès le 1er cycle ne pose pas problème" – de "nombreux étudiants s'engagent en médecine" avec un projet professionnel défini -, mais un travail doit être fait sur la communication, pense la présidente de l'Anemf. "Il y en a beaucoup qui [par exemple] ne savent pas que, lorsqu'on rompt un CESP, il y a des pénalités, assure-t-elle. On ne peut pas laisser les étudiants s'engager dans quelque chose qu'ils ne connaissent pas."
Le CESP – avec le renforcement des carrières universitaires des généralistes et le guichet unique - "est un gros levier à moyen terme pour inciter à l'installation", plaide, de son côté, Atika Bokhari, qui voit d'un bon œil l'extension de ce dispositif. Mais il faut que des moyens soient alloués en faveur de cet élargissement et qu'ils "soient investis correctement", prévient-elle.
*Selon différentes sources syndicales, les étudiants en pharmacie inscrits dans la filière industrie seraient toutefois exclus du dispositif
**Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale
***Intersyndicale nationale des internes
****Le CESP était initialement ouvert aux étudiants en médecine dès la 2e année. Un décret du 17 mai 2020 est venu restreindre l'application du dispositif aux étudiants de 2e et 3e cycles.
*****Association nationale des étudiants en médecine de France
La sélection de la rédaction
Etes-vous prêt à stocker des vaccins au cabinet?