Loi de santé : les mesures auxquelles vous avez échappé

26/03/2019 Par Fanny Napolier
Politique de santé
Cinq jours de débats et plus de 2 000 amendements examinés, ça laisse de l'espace pour discuter de propositions plus ou moins farfelues. Voilà quelques-unes des mesures qui ont été proposées par les députés, puis rejetées après avoir souvent suscité la colère des médecins.

   

  • Coercition ou conventionnement sélectif

"On repoussera de façon systématique tout amendement coercitif. Il faut au contraire soutenir la médecine libérale : mettre en place des mesures coercitives serait contre-productif pour l'accès aux soins, et contre-productif pour l'attractivité de la médecine libérale", avait martelé Thomas Mesnier, rapporteur général de la loi de santé. Un rappel qui n'était pas inutile, tant les amendements coercitifs ont plu sur cette loi de santé. Les tentatives sont venues de tous bords.

Des députés LREM ont proposé une coercition à l'installation des nouveaux diplômés "à titre expérimental" dans les "régions volontaires". Des élus LR ont opté pour le principe du reçu-collé : le premier tiers d'étudiants classés après le numerus clausus se verraient ainsi accorder le droit de poursuivre leurs études de médecine en échange de leur engagement à exercer dans une zone sous-dense durant au moins trois ans. Mais ce sont les députés France Insoumise qui ont fait le plus grand bruit, dénonçant une "forme d'ingratitude corporatiste" et proposant de conditionner le conventionnement à la densité médicale du territoire.

Pour s'être fermement opposée à tout amendement coercitif, Agnès Buzyn a été accusée de défendre des "intérêts corporatistes" par les députés de l'opposition. "Il est acté que la majorité a des pudeurs de gazelle lorsqu’il s’agit de mettre en place une territorialisation sélective", a notamment taclé l'élu communiste Sébastien Jumel.  

  • Médecin opposable

"Cet amendement a pour but de rendre opposable l'accès à un médecin traitant pour tout assuré qui en fait la demande et qui effectue les démarches auprès du directeur de l'organisme gestionnaire, a expliqué le député Bernard Perrut (LR) en défendant son texte en commission des Affaires sociales. Aujourd'hui, le patient peut se tourner vers le conciliateur de sa caisse pour être aidé dans ses démarches mais aucune obligation ne s'impose au médecin de prendre en charge ces personnes."

Face à l'immédiate levée de boucliers des médecins, le député a vite fait machine arrière. "Je respecte trop la liberté des médecins pour leur imposer une obligation", assurait l'élu dès le lendemain. En séance publique, le caractère "opposable" de la mesure a été supprimé. Le texte prévoit que les patients sans médecin traitant puissent saisir le conciliateur de leur CPAM pour qu'un praticien leur soit proposé, sans aucune obligation pour ce dernier. En pratique, cela est déjà possible depuis plusieurs années. Une page du site ameli.fr explique la procédure.  

  • Stage obligatoire en zone sous-dotée

L'idée était d'obliger les étudiants à faire un stage en zone sous-dotée. Selon, les députés LREM, à l'origine de la proposition adoptée en commission des Affaires sociales, "c’est la réalisation de ces stages dans d’autres milieux, et en particulier dans les territoires ruraux ou périurbains où la difficulté d’accès aux soins est présente, qui permettrait aux étudiants de découvrir une autre pratique de la médecine et ainsi les former et les inciter à la pratique dans ces zones. En effet, un jeune médecin n’ira pas s’installer dans une zone ou un milieu qu’il n’a jamais expérimenté en stage." Les élus voulaient conditionner l'accès à l'internat à la réalisation d'un tel stage. Mais la proposition a été retoquée en séance publique. "Cela constitue une prémisse de la coercition à l’installation. On ne vous force pas à vous installer dans un désert médical mais l’on vous force à y faire votre stage", a estimé la députée non-inscrite Marie-France Lorho, à l'origine d'un amendement de suppression. "Telle que rédigée, cette disposition pénaliserait les étudiants auxquels on refuserait l’entrée en troisième cycle faute de leur proposer un stage en zone sous dense", ont ajouté les rapporteurs de la loi de santé, Thomas Mesnier et Stéphanie Rist.  

  • Limiter la période de remplacements

Et si, pour combler les déserts, on obligeait les médecins remplaçants à s'installer ? Plusieurs amendements ont été déposés dans ce sens. Tous rejetés. Dans leur version la plus restrictive, les textes proposaient de limiter à trois ans après la soutenance de leur thèse la période possible de remplacements.

"Pour des raisons financières ou administratives, de trop nombreux médecins font le choix aujourd’hui de ne pas s’installer à leur compte et de n’effectuer que des remplacements. Dans le contexte de départ progressif à la retraite des médecins - notamment en milieu rural - cette situation risque à terme de faire disparaître les médecins sédentaires dans des zones déjà sous-dotées", justifiaient les élus.  

  • Des chiropracteurs dans les CPTS

Alors les négociations concernant les CPTS sont encore en cours, certains élus ont tenté d'y imposer des chiropracteurs et des ostéopathes. C'est notamment le cas de la députée LREM Audrey Dufeu-Schubert. Tout en rappelant que les chiropracteurs et les ostéopathes ne relèvent pas de la catégorie "professions de santé", l'élue propose de "lutter contre la désertification médicale" en offrant aux patients un "choix supplémentaire" : celui d'inclure ces deux professions au sein des CPTS. "Ces deux professions de la santé participent pourtant aux soins des patients et à leur orientation au sein du système de santé, au même titre que les opticiens-lunetiers ou encore les diététiciens qui font, à l’heure actuelle, partie des professionnels de santé pouvant intégrer les CPTS. Aussi, cet amendement (leur) permettra (…)  de participer pleinement à la coordination des soins sur le territoire", souligne la députée LREM. La mesure a été rejetée.  

  • Définir les missions des CPTS dans la loi

En contradiction totale avec le respect des négociations en cours entre les professionnels de santé et l'Assurance maladie, certains ont voulu profiter de la loi de santé pour définir les missions des CPTS. Mesure aussitôt rejetée.

"Figer dans la loi, sans concertation, les missions confiées aux CPTS, pourrait conduire les partenaires conventionnels à se retirer des négociations en cours avec l’Assurance maladie, considérant qu’elles sont désormais sans objet", explique le Gouvernement dans un amendement voté par les députés.  

  • Suppression de la clause de conscience

C'est la proposition récurrente, dès que l'accès à l'IVG fait les gros titres. Plusieurs amendements de dernière minute ont proposé de revenir sur la clause de conscience spécifique à l'IVG.

"Le maintien de cette clause de conscience spécifique peut menacer le droit à l’avortement et mettre des femmes dans des situations critiques, notamment en cas de dépassement de délais", ont notamment argumenté des députés France Insoumise. Ils ajoutent que "même en cas de suppression, les professionnels de santé ne seraient pas contraints à faire des IVG contre leur volonté du fait de l’existence de la clause de conscience générale. D’un point de vue juridique, la clause de conscience spécifique à l’IVG est donc superfétatoire." Des élus socialistes ont déposé un texte allant dans le même sens. Une autre proposition des députés FI a été faite visant à ouvrir aux sages-femmes la pratique des IVG chirurgicales. Cette mesure "s’inscrit dans l’objectif cible pour 2023 de 90 % des demandes d’IVG prises en charge dans des délais de 5 jours définis par la HAS", ont justifié les députés. L'ensemble de ces mesures a été rejeté. "La clause de conscience, elle affiche la couleur. Ce n'est pas génial, je suis d'accord, mais je pense que pour les femmes en situation de détresse, ça apporte beaucoup plus de garanties d'un parcours simple que de la supprimer", a expliqué Agnès Buzyn. En revanche, un groupe d'élus LREM a demandé que le Gouvernement rende un rapport sur l'accès effectif à l'IVG, dans les six mois suivant la promulgation de la loi. "Le manque de données statistiques sur le recours des professionnels de santé à cette clause ne permet pas de mesurer efficacement les difficultés d’accès à cet acte médical auxquelles sont confrontées certaines femmes, ni les conditions dans lesquelles elles sont ou non réorientées vers un autre professionnel", ont justifié les élus. Cet article a été adopté.

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