Agnès Giannotti

Refusant d'être les "boucs émissaires", les généralistes de MG France contre-attaquent : "Il y a un avenir pour notre profession"

A l'heure où les pouvoirs publics et les parlementaires optent pour la contrainte de l'exercice médical et multiplient les délégations de tâches pour résoudre les problèmes d'accès aux soins, comment construit-on la médecine générale de demain ? C'est à cette question que le premier syndicat de généralistes, MG France, tentera de répondre lors de son 10ème congrès, qui se déroulera les 6 et 7 juin au Havre. Un événement auquel Egora est partenaire. En amont de ce rendez-vous, sa présidente, la Dre Agnès Giannotti, a esquissé de premiers éléments de réponse.

04/06/2025 Par Louise Claereboudt
Interview
Agnès Giannotti

Egora : Malgré l'opposition ferme de l'ensemble des syndicats, la proposition de loi Garot a été approuvée par les députés, qui ont souhaité instaurer une régulation de l'installation des médecins et rétablir l'obligation de garde. Allez-vous continuer à vous mobiliser ?

Dre Agnès Giannotti : Rappelons d'abord que la PPL Garot n'a pas terminé son cycle parlementaire. Elle doit encore être inscrite à l'agenda du Sénat. Ensuite, si l'ensemble des parlementaires veulent faire passer cette loi, que voulez-vous qu'on y fasse ? C'est leur prérogative, de faire passer les lois. La question, c'est : est-ce que la loi Garot sera applicable, et comment ? Et surtout, est-ce qu'elle changera quelque chose ?

Le gros problème, pour nous, c'est qu'elle ne réglera rien. C'est juste un effet d'affichage politique pour les prochaines élections. Les parlementaires ont besoin de montrer à leurs électeurs qu'ils agissent pour la santé, et nous choisissent comme boucs émissaires, alors que nous sommes victimes, comme la population, des problèmes d'accès aux soins. C'est pourquoi nous continuons de nous mobiliser. Et nous essayons de sensibiliser les patients pour qu'ils se tournent vers leurs députés qui soutiennent cette loi.  

 

Tentant de trouver une voie de passage, le Premier ministre a dégainé son "pacte de lutte contre les déserts médicaux" avec comme mesure phare l'instauration d'une "mission de solidarité territoriale" obligatoire pour les médecins. Les salariés et libéraux devront donner "jusqu'à deux jours par mois" pour aller exercer "en dehors de leur lieu d'exercice habituel", dans des zones prioritaires… sous peine d'une pénalité financière. Ce principe a été intégré à la proposition de loi Mouiller. Est-il acceptable selon vous ?  

Le Gouvernement veut afficher de la contrainte, ça n'a aucun sens. Des confrères mettent déjà en place des organisations sur le terrain. Nous n'avons pas eu besoin des politiques pour ça. En Seine-et-Marne, par exemple, une généraliste a essayé de monter un projet similaire à ce que propose François Bayrou. Personne ne l'a aidée, on lui a mis dans bâtons dans les roues en lui disant de se débrouiller. Elle a arrêté, alors que les médecins du secteur soutenaient son projet et étaient prêts à se relayer pour assurer une permanence dans une zone où il n'y avait plus de praticien… Ces derniers sont allés jusqu'à se rendre au ministère, mais ils n'ont eu le soutien de personne. Ce sont des organisations compliquées à mettre en place. Il ne suffit pas de dire "y a qu'à, faut qu'on".

Tout le monde veut que ça se fasse par magie. Mais il faut bien un cabinet médical pour recevoir les gens, du personnel d'accueil... Ça ne peut pas être vous qui assurez le suivi de l'examen que vous avez demandé, c'est le médecin qui vous relaie. Ça pose la question de la continuité des soins. Il faut une équipe (infirmière Asalée, assistant médical…) pour assurer ce suivi et ne pas mettre les patients en danger. Ce n'est pas si simple.

Nous sommes favorables sur le principe d'aller dans des cabinets secondaires, mais on ne va pas payer deux fois des charges alors qu'on n'en a pas besoin personnellement pour notre activité. Qui va payer le local ? Payer le personnel ? Qui va être chargé de l'organisation de la structure ? Qui va assurer la continuité ? Ce ne sont pas petites questions ! Il n'y a pas de cadre actuellement, on est que dans l'annonce.

L'Ordre, les doyens des facultés de médecine, l'Isni et l'Anemf ont quant à eux proposé la création d'un statut d'assistant territorial, qui serait ouvert à toutes les spécialités, dont la médecine générale, dans les zones sous-denses, en exercice libéral ou salarié hospitalier. MG France s'est positionné contre ce projet. Pourquoi ? 

Car c'est pour les autres spécialités qu'ils proposent ce statut ! Ils utilisent la quatrième année de médecine générale pour tenter de faire passer des choses pour les autres spécialités… Des doyens d'hôpital qui se passionnent pour la quatrième année de médecine générale ? J'ai des doutes…  

 

Ce statut ouvrirait par ailleurs la voie au secteur 2… 

A MG France, nous sommes très attachés au secteur 1. On parle beaucoup de l'accès territorial aux soins, mais pas beaucoup de l'accès financier aux soins. Il y a aussi des déserts financiers en France… 

 

Quels leviers faudrait-il actionner pour permettre une meilleure réponse aux besoins de soin ?

Il y a à la fois des réponses de court terme, de moyen terme et de long terme. L'erreur que l'on constate en ce moment, c'est que, dans la panique, tout le monde prend des décisions de façon totalement désordonnée. Dans l'immédiat, il faut répondre aux besoins de santé, et pas aux demandes, qui ne sont pas toutes légitimes. Une prescription de pilule à 23 heures, je suis désolée, mais ce n'est pas un besoin. Il faut arrêter de faire de la santé un bien de consommation. Cela nécessite de s'organiser et de réguler les demandes pour répondre de façon prioritaire aux gens qui en ont vraiment besoin.

Les autres, il faut leur répondre aussi, mais pas forcément dans les mêmes délais. Il ne s'agit pas de laisser des gens sur le carreau. Il faut trier les demandes et envoyer les gens à l'endroit et dans les délais qui correspondent à leur besoin, aussi bien sur les soins non programmés – qui constituent 50% de notre activité – que sur les maladies chroniques. Aujourd'hui, dans ce contexte de désorganisation ambiante, prolifèrent les plateformes de téléconsultation et les centres de soins non programmés, qui ne font pas de suivi de patients lourds. Ils font tout le contraire.

Dans cette démarche d'organisation, l'accès direct n'a pas de sens. Si on ouvre l'accès direct aux dermatologues, cela voudrait dire que l'acné pourrait passer avant la suspicion de cancer. De même pour les kinés, par exemple : qu'une entorse passe avant un AVC, ça ne va pas. Il vaut mieux des équipes de soins spécialisés qui offrent une réponse à un médecin généraliste qui est en difficulté avec un patient grave.

Ce qui nous prend du temps au quotidien, c'est le travail administratif – qui a augmenté de 30% – mais aussi la multimorbidité, c’est-à-dire les personnes qui ont une ou plusieurs maladies chroniques en plus de problèmes psychosociaux. Les infirmières Asalée ou IPA nous aident pour ces patients difficiles. Il y a une erreur diagnostique de l'Etat de penser que ce sont les actes courts et faciles qui nous prennent du temps. Une infection urinaire ne nous prend pas de temps. En revanche, une personne diabétique déprimée qui se demande si elle va se faire expulser de son logement va nous prendre beaucoup de temps.  

 

Dans la PPL Mouiller, il est prévu d'autoriser les pharmaciens à prendre en charge des pathologies simples, et à délivrer des médicaments soumis à prescription sans ordonnance.

C'est à cela que je fais référence. Vous faites un diagnostic de sinusite comme ça en officine, vous ? Si c'est le cas, je change de métier. Il y a des propositions qui ne tiennent pas la route. 

"La profession est, à mon avis, en plein essor, même si cela ne se voit pas parce qu'on est peu nombreux sur le terrain"

Sur le plus long terme, quelle est la priorité ? 

Le métier évolue, c'est pour cela qu'il y a eu tout un travail sur le référentiel métier. On en parlera d'ailleurs durant le congrès. Vers quoi on se dirige ? Comment on s'organise ? Entre le spécialiste en médecine générale de premier recours, le spécialiste de second recours, l'hôpital, quelle est la place de chacun ? Probablement que les limites bougeront, car il y a des choses qui sont désinvesties par certaines autres spécialités et pour lesquelles le médecin généraliste traitant peut prendre tout son rôle. Idem avec les autres professions de santé. Il faut une vision, tout le monde en a besoin. Car la tentation dans l'urgence, c'est de tout désorganiser et de tout libéraliser.

Lors de notre congrès, nous allons accueillir de grandes pointures : Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé, Marie Daudé, directrice générale de l'offre de soins, Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie... Nous aurons aussi des exemples internationaux, belges et allemands, dont tout le monde parle et que personne ne connaît. Ce sont des modèles complètement différents – ils n'ont pas que des avantages. Ça nous permettra, en fin de congrès, d'identifier quel est notre modèle à nous. On a des points forts dans le système français. Il faut les garder, les développer, voir ce qui peut bouger et dans quelle direction, pour une vision à long terme. 

Il y aura une grande place aux jeunes, aussi bien sur les estrades que dans la salle, au congrès. La profession est, à mon avis, en plein essor, même si cela ne se voit pas parce qu'on est peu nombreux sur le terrain. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas un avenir qui se dessine, et c'est cet avenir que l'on va dessiner au congrès.  

 

Vous avez récemment appelé les pouvoirs publics à revoir la mise en œuvre de la 4e année de médecine générale qui, selon vous, s'est "transformée en usine à gaz car la logique hospitalo-universitaire a prévalu". Court-on tout droit dans le mur ? 

C'est invraisemblable. Nous avions demandé la [mise en place de la] quatrième année, on ne peut pas dire qu'on est contre. L'idée, c'était qu'elle soit professionnalisante pour que les jeunes apprennent à faire marcher et à comprendre l'organisation d'un cabinet médical libéral pour qu'ils ne craignent pas d'aller s'installer. Qu'ils mettent le pied à l'étrier dans l'activité réelle d'un médecin généraliste de ville. Comme l'hôpital ne veut pas lâcher les étudiants et veut qu'ils restent dans le giron hospitalier, il n'a pas voulu qu'ils évoluent dans la logique libérale. Et, surtout, qu'un médecin généraliste ne gagne pas plus qu'un spécialiste… Ce serait une vision d'horreur !

L'hôpital s'est opposé au mécanisme simple que l'on demandait et qui consistait à ce que l'on fasse une reversion [d'honoraires], comme on le fait avec les collaborateurs et les remplaçants sans que cela ne pose de problème. Résultat : on se retrouve avec une espèce de montage ubuesque avec la part obligatoire touchée par la Cnam et la part complémentaire qui serait touchée par le docteur junior. Cela pose des problèmes pour les patients CMU, en ALD... Si le jeune gagne trop, il faudra qu'il reverse à la Sécurité sociale, qui elle-même devrait repayer les gens à partir de cette enveloppe… C'est invraisemblable. Je ne sais pas du tout comment la Cnam peut se sortir de ce truc !  

 

Ce "montage" que vous dénoncez vous a été présenté lors d'une réunion au ministère, début mai, pour mettre en place le comité de suivi de la réforme. A cette occasion, la rémunération des maîtres de stage qui accueilleront les docteurs juniors a été dévoilée. Etes-vous satisfaite de ce qui a été proposé ? 

Dans le cadre de la 4e année, il doit y avoir un bureau mis à disposition d'un jeune à plein temps. C'est comme si on avait un associé, à qui on laisse également le bénéfice du secrétariat, du ménage, de l'assurance, du téléphone, etc. La mise à disposition d'un bureau (frais de fonctionnement inclus), quelle que soit la personne qui l'occupe, est chiffrée à 2000 à 3000 euros par mois selon les endroits. On nous propose [un forfait de] 1200 euros. Cela veut dire que les médecins qui accueilleraient un étudiant en 4e année de médecine générale devraient mettre de leur poche. Il n'y aura donc pas de terrain de stage… 

Le ministère propose 600 euros d'honoraires pédagogiques. Ce qui fait monter à 1800 euros. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Que les honoraires pédagogiques sont là pour payer les charges du cabinet ? Il y a quelque chose qui ne va pas. Le ministère va également donner une prime pour les MSU qui sont en ZIP, mais en ZIP il n'y a pas beaucoup de médecins par définition puisque ce sont des ZIP… Une autre prime sera versée si les MSU supervisent la PDSA. Mais tout le monde ne fait pas de PDSA. Quand on additionne toutes les primes, on est au maximum à 3000 euros de rémunération. Mais personne n'aura ces 3000 euros. C'est l'échec assuré.  

 

Vous avez obtenu la création d'une consultation longue cotée 60 euros dans la convention médicale. Faut-il aller plus loin ? 

Si on veut affronter l'avenir de ce système de soins, il faut valoriser la prise en charge de la multimorbidité. Ça veut dire un renforcement du forfait pour ces patients, et la consultation longue et la visite longue. C'est vers cela qu'il faut aller. Cela doit aussi être le cas pour les autres professions de santé : il faut qu'un kiné soit mieux payé pour un AVC que pour une entorse… Il faut mieux payer la prise en charge des patients les plus lourds. C'est notre avenir : la population ne va pas bien aujourd'hui, et elle arrive dans nos bureaux.  

Dépenses de santé : faut-il responsabiliser davantage les patients?

Dela Lie

Dela Lie

Oui

Non mais pas de la manière dont le propose le gouvernement. Les petits consommateurs, qui cotisent autant que les autres, ne serai... Lire plus

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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 mois
"si l'ensemble des parlementaires veulent faire passer cette loi, que voulez-vous qu'on y fasse ?" Cette dame n'a visiblement rien compris à la politique, qui n'est qu'un éternel rapport de forces. R
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Médecine générale
il y a 1 mois
je n’écoute plus MG France, ils ont vendu la profession pour un plat de lentilles à la dernière convention. Disqualifiés a jamais!
Photo de profil de Henri Baspeyre
13,9 k points
Débatteur Passionné
Chirurgie générale
il y a 1 mois
de manière générale,les médecins ont le dos large
 
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