4e année

3700 généralistes diplômés en moins en 2026 : enquête sur les conséquences d'une année blanche

Si les textes législatifs encadrant la quatrième année d’internat de médecine générale se font encore attendre, la réforme pourrait déjà avoir de lourdes conséquences sur l’accès aux soins. Avec 3 700 jeunes médecins généralistes diplômés en moins à la rentrée 2026, c’est tout un écosystème qui risque de trinquer pendant plusieurs années. Enquête.  

26/05/2025 Par Pauline Bluteau
Enquête 4ème année de MG Internat
4e année

Pour Maxence, interne en deuxième semestre à Dijon, l’allongement de l’internat de médecine générale, "ce n’est pas rien" "En fait, les questions que je me pose sans cesse, c’est 'Pourquoi ? Pourquoi une année de plus ? Qu’est-ce qu’elle va vraiment m’apporter ?'", résume l’interne de 28 ans. Et pour cause : un peu plus de deux ans après avoir acté la réforme, le flou persiste. Les quelque 3 700 internes en deuxième année de médecine générale - premiers concernés par la réforme - peuvent difficilement se projeter dans leur futur exercice.  

S’ils devaient tous être diplômés fin 2026, avec une année supplémentaire en tant que docteur junior, ils ne pourront exercer que fin 2027. Résultat : pendant un an, ce sont 3 700 nouveaux médecins sur lesquels les patients, mais pas seulement, ne pourront pas non plus compter.  

Jusqu’à présent, après trois ans d’internat, la majorité des jeunes médecins généralistes commençaient leur carrière en tant que remplaçant. 81% des jeunes installés déclarent, en effet, avoir été exclusivement remplaçant avant d’ouvrir leur cabinet. Ce statut, les nouveaux diplômés l’utilisent pendant environ 3,8 ans, selon l’Assurance maladie. Mais la quatrième année d’internat pourrait changer la donne. "Une année de docteur junior en plus, c’est une année de remplacement en moins. Le pool de remplaçants va donc franchement diminuer [pendant un an] et ne sera pas complètement compensé", prévient le Dr Raphaël Dachicourt, président du syndicat des jeunes généralistes remplaçants et installés Reagjir. 

 

Des conséquences inévitables  

Car difficile de savoir si les actuels remplaçants pourront faire face à toutes les demandes, sans réel renfort supplémentaire en 2026-2027. Dans l’idéal, ce sont les docteurs juniors qui absorberont quand même la demande de remplacements. Une théorie impossible à tenir selon les principaux concernés. "Aujourd’hui, un médecin généraliste consacre environ 43 heures par semaine à ses patients, hors tâches administratives, avance Bastien Bailleul, président de l'Isnar-IMG. Un docteur junior, lui, est toujours en formation et il n’aura que trois jours d’exercice, c’est donc forcément moins de consultations qu’un médecin thésé. Donc oui, l’année blanche aura un impact."  

D’autant que contrairement au remplaçant, le docteur junior doit être encadré : son maître de stage doit être présent au cabinet pour le superviser si besoin. Les conséquences sont donc inévitables pour les médecins eux-mêmes et leurs patients. "Les plus impactés seront les médecins présents dans les zones les moins dotées car ils ont déjà du mal à trouver des remplaçants, estime Raphaël Dachicourt. C’est ambitieux de penser qu’on n’aura pas besoin de remplaçants.

Avec une manne de remplaçants bien moins importante pendant un an, deux choix s’offrent en effet aux médecins : fermer leur cabinet en cas d’arrêt maladie, de congés ou tenter de maintenir une offre de soins pour les patients, vaille que vaille. "Il y aura des difficultés, c’est certain car un médecin qui ferme son cabinet faute de remplaçant ampute l’offre de soins", affirme le président de Reagjir. Du côté de l'Isni, Killian L’helgouarc’h évoque lui aussi des "conséquences sûres et immédiates" sur l’offre de soins : "C’est un réel enjeu sur le territoire et j’espère que les médecins, comme les patients, y sont sensibilisés parce que 3 700 médecins généralistes en moins, ça va se voir !

Pour Maïssa Boukerrou, présidente du SRP-IMG, qui représente les internes de médecine générale d'Île-de-France, rien de nouveau sous le soleil. "Ces problématiques d’accès aux soins, on les voit déjà tous les jours, explique-t-elle, désabusée. Certes, la région forme beaucoup d’internes, mais beaucoup fuient après leur internat. On n’est pas assez nombreux pour absorber toute la demande de la population. La réforme ne va faire qu’aggraver la situation, y compris en Île-de-France où il est tout aussi difficile pour les patients de trouver un médecin généraliste ou un remplaçant.

 

Le risque, c'est que ce soient les hôpitaux qui cannibalisent les internes 


Du côté de la profession, l’optimisme tente encore de perdurer. "En théorie, cette quatrième année est un espoir pour nos territoires car les stages doivent se faire en libéral", plaide le Dr Luc Duquesnel, à la tête des Généralistes-CSMF. Une théorie confirmée par le ministre chargé de la Santé, Yannick Neuder, qui a rappelé mi-mai dans Le Quotidien du médecin, qu'il était "hors de question d’envoyer les futurs docteurs juniors de médecine générale à l’hôpital".  

Mais la pratique est relativement incertaine. "Pour que cette réforme soit une réussite, on attend les décrets", dont la publication est attendue avant la mi-juillet, indique Gilles Noël, vice-président de l’Association des maires ruraux de France. "Ce peut-être tout bon ou tout mauvais selon les territoires. On peut imaginer que les universités refusent de placer des docteurs juniors dans les territoires où il n’y a pas de maîtres de stage universitaire [MSU] et le risque, c’est que ce soient les hôpitaux qui cannibalisent les internes", ajoute-t-il. 

Actuellement, le Collège national des généralistes enseignants comptabilise un MSU pour 50 internes en médecine générale. Or, les premiers arbitrages avancés par le Gouvernement concernant la rémunération des MSU ne semblent pas convaincants, et pourraient refroidir certains d'entre eux. Face à cette pénurie de recrutement, l’optimisme s’étiole donc. "On ne forme pas des médecins généralistes pour qu’ils aillent exercer à l’hôpital", rétorque le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML. "On peut difficilement mesurer l’ampleur du problème, mais c’est très inquiétant : avec cette année supplémentaire potentiellement à l’hôpital, on aura à la fois moins de remplaçants et moins d’installations", déplore, de son côté, la Dre Sophie Bauer, présidente du SML.  

 

Une année pas aussi professionnalisante qu'escomptée 

Une réalité pour les actuels internes comme Maxence qui envisage déjà de s’installer dans le sud de la Saône-et-Loire, dans une zone semi-rurale. "Une année de plus en médecine polyvalente à l’hôpital, ça ne va rien m’apporter parce que ce n’est pas l’activité qui m’intéresse. Pendant un an, j’aurais pu commencer à établir mon réseau, étendre ma pratique, faire du lien avec les patients et les autres professionnels de santé mais ce ne sera pas le cas , détaille-t-il. [Cela] va probablement retarder mon installation parce que j’aurai besoin de temps pour monter mon projet." 

Or, tout l’enjeu est pourtant là : faire de cette quatrième année une année professionnalisante et pertinente sur le plan pédagogique. C’est ce que rappelle le Dr Yohan Saynac, vice-président de MG France : "Si on ne crée pas de bonnes conditions pour accueillir les docteurs juniors dans les cabinets, ils iront à l’hôpital et ce serait désastreux, ce serait un échec parce qu’on ne répondrait pas à l’objectif initial de la réforme. Revenir en ville après avoir passé un an à l’hôpital, il va falloir s’accrocher.

D’autant que le nombre de médecins en activité ayant un statut libéral exclusif continue encore de diminuer d’après l’Atlas démographique 2025 de l'Ordre : en dix ans, -4,7% d’installations contre +18,8 % de salariés et +17,4% d’activité mixte. Ajouter à cela les habitudes bien ancrées. Les études le confirment aussi : une fois diplômés, les jeunes médecins s’installent davantage là où ils ont effectué leurs études, leur dernier stage ou là où ils ont remplacé (41% des remplaçants s’installent dans un territoire où ils ont déjà remplacé).  

Une dernière année pas aussi professionnalisante qu’escomptée, et potentiellement loin des territoires ruraux, ne devrait donc pas non plus favoriser un exercice dans les déserts médicaux. "Le Gouvernement nous assure que cette année doit bel et bien se dérouler en ville, mais dans la réalité, ça reste difficile à mettre en place. On a déjà des craintes vis-à-vis de l’installation, même en terminant notre internat par un stage en ville, la réforme va forcément casser des vocations. C’est dommage pour la santé publique", constate la présidente du SRP-IMG.  

A l’heure actuelle, la réforme pourrait donc avoir bien plus de répercussions qu’imaginé. Et surtout, l’année blanche de 2026-2027 pourrait perdurer. En cause : le manque d’attractivité de la médecine générale depuis que la réforme a été actée. Comme l'indiquait l’Isnar-IMG il y près de deux ans, "tous les postes de médecine générale hors CESP ont été pourvus jusqu’en 2023". Pour choisir cette spécialité, il ne fallait pas être classé parmi les 300 derniers mais depuis 2023, seuls les 13 derniers du classement aux ECN n’ont plus cette possibilité. Et de 3 645 places ouvertes en médecine générale à la rentrée 2023, les capacités d’accueil ne dépassent pas 2 963 en 2024 (hors CESP). "L’attractivité s’effondre alors que les patients ont besoin de médecins généralistes au quotidien", s’agace Maïssa Boukerrou. 

Les internes de médecine générale font donc des études plus longues, et sont aussi moins nombreux… Une situation qui devrait accentuer les conséquences sur le manque de remplaçants et d’installations. D’après la Drees, pour beaucoup de praticiens, le choix de l’installation peut aussi dépendre du nombre de remplaçants disponibles sur place. Au-delà de détériorer potentiellement leurs conditions d’exercice pendant un an minimum, certains médecins pourraient aussi davantage hésiter à s’installer pendant cette période : toute la chaîne se retrouverait alors bloquée. Pour le SML, la seule solution face à cette débandade serait de créer un statut de retraité-remplaçant et d’inciter les retraités actifs à ne pas s’arrêter, "ce qui n’est pas gagné avec la loi Garot", nuance Sophie Bauer. 

 

J’en ai marre qu’on nous dise quoi faire, on essaie de faire au mieux mais c’est très difficile dans ces conditions 

 

En effet, les discussions sur les déserts médicaux avec l’examen à l’Assemblée nationale et au Sénat des propositions de loi Garot et Mouiller n’arrangent rien à l’attractivité. La régulation de l’installation des généralistes, notamment dans les zones sous-denses, ne fait qu’accentuer la colère. Dans un contexte peu favorable, Bastien Bailleul craint que la spécialité pâtisse encore : "On spécule beaucoup mais ce qui est sûr, ce sont nos craintes. Il faut faire la part des choses entre la réforme de la quatrième année et la problématique d’accès aux soins. L’objectif n’est pas non plus de vendre les docteurs juniors dans les territoires pour répondre à cet enjeu." 

Les internes, qui se sont mobilisés fin avril, continuent de tirer la sonnette d’alarme comme Alexandre, interne en quatrième semestre dans le Grand Ouest : "J’ai beau gardé la tête haute, tout ça a un impact sur ma santé mentale. J’en ai marre qu’on nous dise quoi faire, on essaie de faire au mieux mais c’est très difficile dans ces conditions." 

Il faut dire que les débats législatifs brouillent les messages : si la réforme de l'internat de médecine générale n'est pas censée, à elle seule, répondre aux problématiques d'accès aux soins, elle est perçue comme un levier supplémentaire pour lutter contre les déserts médicaux. De quoi alimenter les incompréhensions et les incertitudes, mais aussi renforcer les conséquences indirectes que pourraient avoir les propositions de lois Garot et Mouiller sur l'attractivité de la médecine générale.  

C'est ce que confirme Jérôme Marty : "Si la loi Garot passe, ce sera une année blanche définitive." Avec notamment le départ des médecins à l’étranger (23 % des internes y pensent une fois diplômés tout comme 27,5% des actuels remplaçants) ou l’abandon de leur exercice (30% des actuels médecins libéraux déplaqueraient et 11% prendraient leur retraite de manière anticipée) selon un récent sondage réalisé par Médecins pour demain. 

Des "inquiétudes", "peu de confiance" et beaucoup de "points d’interrogation" : l’optimisme semble chaque semaine perdre un peu plus de terrain. Du côté du Gouvernement toutefois, le report de la mise en place de la quatrième année reste inenvisageable : une position rappelée par le ministre chargé de la Santé à nos confrères du Quotidien du médecin, le 19 mai. "Je ne veux pas ajouter de l’incertitude pour toute une promotion d’étudiants qui a suffisamment attendu de savoir comment allait se passer la fin de leurs études", a assuré Yannick Neuder. 

Mais pour l'heure, cette année blanche reste floue. "Nous n’avons aucune projection précise" face au manque de médecins confirme Raphaël Dachicourt. "On aura juste les remontées de terrain en temps voulu et… advienne que pourra. Il y a beaucoup d’incertitudes mais ce qui est sûr, c’est qu’il y aura des périodes difficiles." Un avis partagé par Yohan Saynac : "Pour se préparer, il faut du temps et la possibilité de se projeter. On peut encore sauver les meubles, faire quelque chose de bien pour cette quatrième année mais ce ne sera pas facile." 

Se projeter, Maxence n’y compte plus. Selon l'interne, cette année supplémentaire rattaché à l’université pourrait lui faire perdre deux années d’installation - une année de docteur junior et une année de remplacements. "J’aurais pu poser ma plaque mais force est de constater qu’on ne fait rien pour arranger les choses", souffle-t-il.  

 

*Le prénom a été modifié. 

Dépenses de santé : faut-il responsabiliser davantage les patients?

Dela Lie

Dela Lie

Oui

Non mais pas de la manière dont le propose le gouvernement. Les petits consommateurs, qui cotisent autant que les autres, ne serai... Lire plus

Photo de profil de Laurent Seguin
1,4 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 2 mois
C’est de plus en plus grandiose. Si je prenais un Docteur Junior (faudra qu’on m’explique comment un Doctorat peut être ainsi qualifié), ce que je ne ferai pas en l’état actuel de la proposition, il a
Photo de profil de Patrick  P.
659 points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 2 mois
. "En théorie, cette quatrième année est un espoir pour nos territoires car les stages doivent se faire en libéral", plaide le Dr Luc Duquesnel, à la tête des Généralistes-CSMF. Une théorie confirmée
Photo de profil de Chambon Dominique
3,4 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 2 mois
Gouverner, c’est prévoir, choisir, décider et expliquer. Surtout quand les défis sont complexes et de long terme. Au préalable, il faut être élu et, pour cela, se livrer à un tout autre exercice
 
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Internat
[PODCAST] Quatrième année de MG, loi Garot... Les combats des internes en médecine
04/07/2025
0
Santé publique
Expérimentation des rendez-vous de prévention : "Nous sommes convaincus de l'intérêt des CPTS"
31/01/2024
6
"Qui va emmener mes enfants à l’école ?" : quand la lutte contre les déserts médicaux ignore les femmes...
05/06/2025
33
Portrait Urgences
"J'étais prête à tout perdre" : Caroline Brémaud, l'urgentiste qui dérangeait
07/05/2025
10
MSU
"On est payés en moyenne avec 9 mois" de retard : exaspérés, ces maîtres de stage en médecine générale...
27/05/2025
10
La Revue du Praticien
Diabétologie
HbA1c : attention aux pièges !
06/12/2024
2