Crédit : P.F.
"La reconnaissance de la médecine générale, c’est un travail de tous les jours"
Le Pr Paul Frappé, qui préside depuis 2019 le Collège de la médecine générale, va passer la main mi-décembre à un successeur dont le nom n’a pas encore été dévoilé offi ciellement. L’occasion de revenir, en exclusivité pour Egora, sur ses six années d’activisme au service de la spécialité. Premier bilan : beaucoup de satisfaction mais aussi quelques regrets.
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Egora : Vous avez été élu, à 39 ans, le 14 mars 2019, à la présidence du Collège de la médecine générale (CMG)à la suite du Pr Pierre-Louis Druais, son fondateur. Quand et comment se profile la fin de votre mandat ?
Pr Paul Frappé : Nous avons une assemblée générale le 18 décembre prochain, au cours de laquelle tout le bureau sera renouvelé. Nous préparons cette échéance depuis un moment, et même si je ne peux pas vous donner la composition du prochain bureau, celle-ci est déjà bien avancée : ce ne sont pas des postes sur lesquels on peut arriver à l’improviste, il faut être connu des structures membres du CMG…
Selon les bruits de couloir, celui qui va vous remplacer est également un homme. Cela sera donc le troisième président de suite…
Effectivement, on ne peut que constater que la spécialité n’est pas encore assez mûre pour avoir réussi à faire monter des femmes sur des postes comme celui-ci. Cela s’explique notamment par le fait que le poste de président du CMG est un poste à double détente : il faut d’abord être investi au sein de sa propre structure, pour ensuite s’investir dans le CMG. Il y a donc une étape de maturation supplémentaire. C’est peut-être un regret de ne pas y être parvenu pour cette fois, mais c’est un problème dont tout le monde est bien conscient. Peut-être la fois suivante sera-t-elle la bonne?
On n’a que des amis au CMG, on n’est pas là pour se distinguer des autres, c’est un vrai régal !
Regardons dans le rétroviseur. Mars 2019 : quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous embarquer dans cette aventure ?
Je connais le CMG depuis son processus de création, je faisais déjà partie de la structure qui s’appelait «Vers un collège» et qui visait à faire travailler ensemble des entités qui n’en avaient pas l’habitude. J’étais au milieu de tout cela, et je me souviens d’avoir trouvé dans ce travail une interface idéale. Je dois ici saluer Pierre-Louis Drouais, notre premier président, qui a mis en place notre gouvernance assez unique, avec ce côté transversal extraordinaire permettant de faire dialoguer les syndicats, la recherche, la formation, etc. On n’a que des amis au CMG, on n’est pas là pour se distinguer des autres, c’est un vrai régal!
Quels sont les grands moments de votre mandat qui vous reviennent en mémoire au moment de passer le relais ?
Mon tout premier souvenir, c’est notre congrès annuel, au moment de la passation. Sentir que la salle réagissait, voir tous les visages de la médecine générale adhérer à un même discours, c’était un sentiment assez puissant. On ne peut pas rester insensible à ce type d’expérience. L’autre point marquant, c’est évidemment le Covid : nous avons essayé d’apporter notre pierre à l’édifice, notamment en mettant en place le site Coronaclic, qui a eu plus d'un million de visites, et qui permettait de faire le tri dans la masse des informations provenant de tous types d’institutions, pas toujours horodatées, qui submergeaient alors les généralistes.
Je me souviens aussi de nos discussions en interne lors de l’épisode Raoult [fervent défenseur de l’efficacité de l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19 NDLR]. C’est peut-être un autre de mes regrets : j’ai voulu porter plainte dès le début, car il n’y avait pas besoin d’être Prix Nobel pour voir que son discours ne tenait pas debout malgré toutes les médailles dont il se prévalait... Je me vois encore passer des coups de fil, demander aux uns et aux autres s’il fallait qu’on lance quelque chose et, finalement, on ne l’a pas fait. Certains m’ont dit que oui, bien sûr, ses études étaient pipées, mais qu’on pouvait aussi découvrir plus tard que cela fonctionnait… Mais maintenant que tout le monde sait que l’infectiologue disait des bêtises, cela n’a plus trop de sens. Autre moment important : nous avons également été reconnus comme CNP [Conseil national professionnel, NDLR] au début de mon mandat. Cela impliquait des enjeux autour du développement professionnel continu (DPC) et de la certification : créer des référentiels; définir les orientations nationales…
La reconnaissance en tant que CNP nous a également permis de sortir complètement de l’industrie pour le financement de notre congrès : nous avons montré qu’on pouvait désormais le tenir sans dépendre de fonds qui peuvent poser des conflits d’intérêts. Et puis, de manière plus générale, au travers de différents projets comme la plateforme EBM France [qui propose des ressources scientifiques adaptées aux généralistes, NDLR], le site Archimede [qui permet notamment d’effectuer sa déclaration publique d’intérêts, NDLR], nous avons pu monter en charge, nous professionnaliser, gagner en visibilité, en médiatisation…
L’un des faits marquants pour la profession depuis 2019 est la dégradation de la démographie médicale. Comment vous positionnez-vous sur ce sujet ?
Le constat est devenu saillant, je pense qu’il ne l’était pas autant en 2019. Les points de vue des différents acteurs se sont malheureusement polarisés. Il y a une forme de crispation et le CMG essaie de jouer son rôle, à sa mesure. Nous tentons d’avoir une parole véritablement collégiale, de nous appuyer sur notre transversalité pour éviter d’avoir une structure qui prendrait le contrepied quand nous nous exprimons. Nous tentons de dépassionner le débat, de discuter avec d’autres collèges. Je pense que les collèges sont de bonnes interfaces pour cela, il est plus facile d’avancer entre CNP que lors de discussions entre syndicats de généralistes, d’infirmiers et de pharmaciens, par exemple. Les CNP sont moins marqués par les enjeux d’élection.
Et de manière plus concrète, comment avez-vous agi sur ce sujet ?
Nous avons notamment fait avec l’Ordre une grande enquête sur l’activité des médecins généralistes, dont l’un des grands enseignements était que les diplômés en médecine générale sont nombreux mais qu’ils n’exercent pas tous la médecine générale. Ce qu’ils font n’est pas inutile, mais pour l’instant, le politique n’évalue notre démographie que par le nombre d’actes faits en ville, le nombre d’installés, le nombre de diplômés, sans avoir de regard sur la quotité de temps travaillé. Il manque un tableau précis sur les activités de chacun. Notre enquête a mobilisé 19 000 répondants, qui ont décrit leur activité en détail. Cela a permis, parmi de nombreux autres enseignements, de casser certains stéréotypes sur l’impact du genre, par exemple : celui-ci n’a pas tellement d’influence sur le temps de travail des généralistes. Il en a, en revanche, sur le type d’offre, les actes techniques de type IVG ou frottis étant plus pratiqués par les femmes, tandis que les infiltrations, par exemple, sont plus pratiquées par les hommes. C’est donc un éclairage important, et nous pensons qu’il faudrait que cette enquête soit régulière pour pouvoir mieux éclairer la démographie et les prises de décision.
On n’est plus au temps où la médecine générale devait se battre pour être considérée comme une spécialité à part entière, mais la reconnaissance a-t-elle été un sujet de votre mandat ? Et est-elle encore d’actualité ?
C’est un travail de tous les jours. Même avec les gens les mieux intentionnés du monde, on se rend compte que des malentendus persistent autour de notre spécialité. Certains s’imaginent que nous devrions tout savoir sur n’importe quel sujet, de la santé au travail à l’endométriose en passant par les violences, et j’en passe ! Je pense que nous devons encore travailler sur ce que nous pouvons ne pas savoir, sur ce qu’on ne devrait pas enseigner… C’est parfois déconcertant pour d’autres spécialités, où quand un patient arrive au cabinet, il veut une réponse : chez nous, la réponse consiste parfois à temporiser, à ne pas faire tout de suite…
La médecine générale reste, au début comme à la fi n de votre mandat, l’une des spécialités qui sont choisies en dernier après le concours de l’internat… Comment l’expliquez-vous ?
La médecine générale part parmi les dernières spécialités, car c’est là qu’il y a le plus de postes. S’il y avait autant de postes chez nous qu’en chirurgie plastique, nous ne serions pas dans les spécialités les moins bien classées. Mais pour moi, l’enjeu n’est pas dans la compétition. Nous ne sommes pas là pour attirer les gens, pour leur faire miroiter quoi que ce soit : ceux qui vont vers la médecine générale sont ceux qui sont faits pour ce type d’exercice. Nous valorisons le suivi au long cours, le rôle du médecin traitant, qui est d’ailleurs remis en question ces derniers temps. C’est à cela que nous voulons participer. J’espère que nous parvenons à mettre en valeur ce rôle auprès des jeunes que cela peut attirer, au-delà de l’affichage social que permettent certaines spécialités. Tant mieux si c’est valorisant pour ces spécialités, mais je préfère ne pas être bling-bling.
Six ans après votre prise de fonction, les discussions continuent à être « râpeuses » avec certaines autres professions de santé. Comment cela peut-il s’améliorer ?
Je pense que les choses vont dans le bon sens. C’est vrai qu’il faut qu’on secoue nos corporatismes. Mais je regrette que cela se fasse trop souvent d’une manière très polarisante, avec des discours qui ne sont pas logiques, qui ne font pas nation. On ne peut pas faire évoluer les situations dans l’opposition permanente entre les uns et les autres. C’est pourquoi, à notre niveau, nous tentons de discuter avec les autres CNP pour pouvoir avancer. Mais nous ne voulons pas aller vers un gloubi-boulga où toutes les professions pourraient toucher à tout. Cela reviendrait à une négation de chacun des métiers, à une perte d’attractivité mais aussi à une certaine déresponsabilisation.
Je me suis fait vacciner par le pharmacien de mon quartier, et c’est très bien, mais le pharmacien n’a que la responsabilité du geste, et il ne peut vacciner que les patients qui sont d’accord… Je ne suis pas sûr qu’on y gagne tellement en termes de couverture. Par ailleurs, les paramédicaux ont l’autorisation de vacciner, mais les généralistes, eux, n’ont toujours pas l’autorisation d’avoir un frigo pour stocker les vaccins. S’ils prescrivent le vaccin, le patient doit aller le chercher chez le pharmacien et revenir chez eux, ce qui est une aberration! On nous oppose que nous ne savons pas gérer un frigo, mais nous pouvons apprendre, et même si ce n’était pas le cas, on pourrait avoir des partenariats avec des pharmaciens…
Les autres professions opposent souvent aux généralistes le fait qu’ils veulent garder tous les actes, mais ces derniers ne sont pas assez nombreux pour s’occuper de tous les patients…
Je pense qu’il n’y a pas de problème à avoir des changements d’actes, si cela engage la responsabilité, si on en rend compte auprès de l’ensemble de la patientèle. Mais au lieu de réfléchir touche par touche, avec la vaccination d’un côté, les tests pour les angines de l’autre, les cystites qui viennent se rajouter. On devrait réfléchir de manière plus globale en transférant tout un pan d’activité vers tel métier. Cela serait plus lisible, plutôt que de permettre à chacun de s’approprier tel ou tel acte. Aujourd’hui, personne ne s’y retrouve, et les pharmaciens sont, par exemple, en souffrance par rapport à certaines nouvelles missions.
En médecine générale, la réponse consiste parfois à temporiser, à ne pas faire tout de suite…
Autre exemple, pour la prescription des infirmières en pratique avancée, je pense que nous allons arriver à quelque chose de contre-productif. On a pris les choses par le petit bout de la lorgnette, en pensant simplifier les parcours pour les patients qui peuvent ainsi faire renouveler leur traitement, mais on peut craindre que presque aucun patient ne puisse faire renouveler la totalité de son ordonnance par une IPA. Il manquera toujours quelque chose, et il faudra donc retourner chez le généraliste. Et pour terminer sur ce sujet, je note que les réflexes corporatistes sur ces sujets ne sont pas le propre des médecins : on le voit aussi quand les infirmières ne veulent pas que les aides-soignantes réalisent tel ou tel acte ou quand les pharmaciens ne veulent pas que les médecins généralistes aient un frigo…
L’une des autres grandes évolutions intervenues durant votre mandat est le développement des maisons de santé. Pensez-vous que le mouvement soit appelé à continuer ?
C’est quelque chose qui est maintenant bien entré dans les mœurs, il s’agit désormais de dépasser une interprofessionnalité qui consiste juste à coexister dans la même structure, pour aller vers une interprofessionnalité plus efficace. C’est agréable d’exercer ensemble, mais je pense qu’il y a des modèles qui permettent d’aller beaucoup plus loin. Les maisons de santé ont, au départ, été portées par des personnalités qui étaient prêtes à y mettre beaucoup d’énergie, il faut désormais que cela devienne une évidence, quelque chose qui va de soi et qui n’entraîne pas une surcharge administrative ou un investissement excessif. Sur ce sujet, j’attends beaucoup des outils numériques, qui doivent enfin être adaptés à cette pratique collective. Beaucoup de logiciels des différents professionnels rencontrent encore des difficultés à communiquer entre eux. IL reste du chemin à parcourir. Les logiciels gardent une tendance à être des solutions d’archivage, et Mon espace santé n’est pas encore, comme il devrait l’être, le véritable hangar de données où chaque logiciel vient prendre les données dont il a besoin. Aujourd’hui, pour déposer une pièce depuis son logiciel sur le DMP, il y a souvent besoin d’une dizaine de clics, c’est beaucoup trop…
Vous avez évoqué quelques regrets sur le mandat écoulé. Y en a-t-il un qui vous semble plus saillant que les autres ?
Nous avons eu quelques sujets de cuisine interne, quelques erreurs de communication qu’il a fallu rattraper pour maintenir la collégialité… Mais le plus grand regret, c’est peut-être, par manque de disponibilité, de ne pas avoir pu mettre en place certaines choses pour lesquelles j’étais entré au CMG. J’aurais aimé pouvoir développer davantage EBM France, par exemple. Il est d’ailleurs question que je puisse poursuivre avec une mission sur ce sujet après mon mandat. Le CMG reste un petit groupe, j’espère que nous allons gagner en ressources humaines pour avoir davantage de puissance et être à la hauteur des attentes de ceux qui nous interpellent.
Un conseil à prodiguer à votre successeur ?
Je pense que la collégialité est essentielle. Ce n’est pas facile, car on a souvent envie de défendre ses convictions, et il est parfois lourd de devoir faire le tour des membres pour trouver le dénominateur commun. Mais c’est vraiment là que se trouve la force du CMG.
Post-Collège, des projets ?
Je vais un peu augmenter ma part de soin, qui a toujours été existante mais que j’ai dû réduire pendant ces années où je devais monter à Paris toutes les semaines. Je vais également garder du temps pour le CMG : j’ai toujours envie de me sentir utile, c’est une place unique, très riche en expériences… Je souhaite donc continuer à servir, tout en étant un peu moins sur le devant de la scène. Je serai, en tout cas, content de mettre un peu moins souvent le réveil à 4h45!
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