Le pharmacien est-il le nouveau médecin ?
Vaccinations, bilan de médication, expérimentation de prise en charge des "petits maux" et bientôt délivrance généralisée d’antibiotiques pour les angines et les cystites: les pharmaciens gagnent de plus en plus de terrain sur les médecins. Pour les décharger ou pour les remplacer ?
Article initialement paru dans le magazine Egora
Alors que l’Assurance maladie mène, dans la douleur, les pourparlers avec les syndicats de médecins en vue d’une nouvelle convention médicale, elle discute en parallèle avec les représentants des pharmaciens un nouvel avenant à la leur. C’est Aurélien Rousseau, l’ancien ministre de la Santé, qui avait voulu que les deux négociations se tiennent concomitamment, car "la qualité de la prescription" était au menu des médecins tandis que celle de "la délivrance" figurait dans celui des pharmaciens. Des réunions de travail communes auraient même dû avoir lieu.
Comme pour les médecins, le cœur de la négociation des pharmaciens est économique : la profession, dont la rémunération se fait désormais majoritairement à l’honoraire et non plus à la boîte, comme autrefois, réclame des revalorisations. Les deux parties, Cnam et syndicats, veulent aussi aller plus loin dans les "nouvelles missions" des pharmaciens. Boostée par la crise du Covid, la vaccination en officine est désormais entrée dans les mœurs et pratiquée par la quasi-totalité des pharmacies. D’après les données de la Cnam, entre janvier et octobre 2023, ce sont plus de 20 000 pharmacies qui ont vacciné contre la grippe et 19000 contre le Covid. "Nous avons réalisé 5,5 millions d’actes de vaccination contre la grippe et 4,5 millions contre le Covid l’année dernière", se félicitait en janvier Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), ajoutant que la double vaccination avait "bien fonctionné". De même, la réalisation de tests antigéniques était encore proposée sous l’écrasante majorité des croix vertes.
Des Trod plus nombreux dans les pharmacies
C’est dans ce contexte que les officines se sont progressivement investies dans la pratique des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) des angines pour les patients de plus de 10 ans. Ceux-ci ont décollé à partir de l’été 2022 : 11 461 pharmacies participantes en 2023 (soit 205 330 tests réalisés entre janvier et octobre), contre 6 192 pharmacies volontaires en 2022. Si aujourd’hui, en cas de résultat positif au Trod, le pharmacien doit orienter le patient vers un médecin, il pourra, dès cet été, délivrer immédiatement un antibiotique, comme prévu dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Les pharmaciens, dont certains avaient déjà expérimenté le protocole, sont dans les starting-blocks.
En revanche, la profession semble moins intéressée de grignoter d’autres pans des soins primaires. Ainsi, les bilans de prévention, qui auraient dû être lancés officiellement par le ministère en janvier, seront censés pouvoir être faits indifféremment par un médecin, un pharmacien ou un infirmier. "Nous n’y viendrons sans doute pas avant la fin d’année, car nos priorités sont la généralisation de la vaccination et le démarrage de la prise en charge des angines et des cystites", indiquait Philippe Besset lors de ses vœux en janvier.
Enfin, une toute petite partie de la profession commence aussi à mettre en place des "entretiens pharmaceutiques". En 2023, 3 770 officines proposaient des entretiens d’accompagnement aux femmes enceintes (soit 28 000 entretiens réalisés sur un an), 1 076 des entretiens aux patients sous antivitamine-K, anticoagulants oraux ou traitements pour l’asthme et 914 aux malades du cancer traités par chimiothérapie orale. Quant aux "bilan de médication" initiés par la convention des pharmaciens de 2022, ils font des débuts timides dans 938 officines, qui en réalisent un par mois en moyenne seulement. En revanche, l’expérimentation de la "dispensation adaptée" visant à permettre aux pharmaciens de délivrer les médicaments en fonction des besoins des patients a été arrêtée en 2022.
Un réseau officinal fragilisé
Autant de nouvelles missions qui ne sont pas vues d’un bon œil par les syndicats de médecins libéraux. "Quand on donne des actes jusque-là réservés aux médecins, la question préalable est de nous consulter, regrette le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML. Nous apprenons les choses par la presse, c’est une méthode détestable. Je crois aussi que l’immense majorité des pharmaciens sur le terrain ne veut pas de ces nouvelles missions."
Il est vrai que si la démographie médicale est en berne, le réseau officinal est également en train de se fragiliser : le nombre de pharmacies est passé sous la barre des 20 000 l’an dernier, soit 10% de moins qu’il y a dix ans. "Parce qu’on manque de médecins généralistes, les pouvoirs publics essayent par tous les moyens de s’en passer, mais les pharmaciens sont aussi débordés, souligne le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France. Ils sont, bien sûr, très compétents, mais ils n’ont pas de formation au diagnostic. Or la médecine, ce n’est pas juste des symptômes à traiter au coup par coup." Et là où le bât blesse, c’est quand il n’y a pas de retours d’information au médecin traitant. "Je n’ai jamais reçu de bilan de médication d’un pharmacien, témoigne le Dr Nogrette, également généraliste dans la Haute-Vienne. Je ne sais pas lesquels de mes patients ont été vaccinés à l’officine."
Dans ce contexte, le risque c’est un parcours de soins rendu plus compliqué. "Normalement, d’ici l’été, il devrait y avoir des services d’accès aux soins (SAS) sur tout le territoire, rappelle le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. À ce moment-là, tout patient qui aura une demande de soins non programmés, y compris pour un mal de gorge ou des brûlures à la miction, devrait pouvoir avoir une réponse médicale. Dans les 5% du territoire où il n’y a pas de permanence des soins, le sujet peut être travaillé entre les médecins et les pharmaciens. Mais il n’y a pas de raison de le faire partout, car sinon on risque de crisper les relations entre les deux professions."
La suite au prochain PLFSS
Les pharmaciens ont-ils des velléités de remplacer les médecins ? Rien n’est moins sûr. "Dans un territoire de santé, ce qui est important c’est la complémentarité entre tous les professionnels de santé – médecins, infirmières, pharmaciens – qui doivent être centrés sur le patient, résume Morgan Remoleur, pharmacien titulaire de la Grande Pharmacie de Bayonne. Nous sommes complémentaires, nous ne nous remplaçons pas. Ma vision des choses, c’est que le médecin est le professionnel du diagnostic et le pharmacien est celui du traitement, c’est d’ailleurs à ce titre qu’il peut faire la vaccination. À l’officine, nous pouvons faire de l’anamnèse, mais pas du diagnostic."
Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la Santé, a reçu les représentants des syndicats de pharmaciens d’officine à la mi-avril alors que leurs négociations conventionnelles patinaient. Selon ces derniers, le ministre se serait montré ouvert aux nouvelles missions du pharmacien et leur a promis d’y réfléchir pour le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l’automne.
Enfin, alors que l’Uspo a appelé la profession à la grève, le 30 mai, et que la FSPF menace de rejoindre le mouvement, la Cnam doit dévoiler de nouvelles propositions lors d’une séance plénière de négociations, ce mardi 14 mai.
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