Bruxelles

Plus de 2000 chirurgiens prêts à s'exiler à Bruxelles : "C'est l'enfer pour nous, on a une charge morale indiscutable"

Malgré la disparition dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 de plusieurs articles controversés, les spécialistes du bloc opératoire ont décidé de maintenir leur exil à Bruxelles début janvier. Pour Le Bloc, à l'initiative du mouvement, de nombreuses menaces pèsent toujours sur l'exercice libéral. 

18/12/2025 Par Louise Claereboudt
Spécialistes
Bruxelles

"Personne n'a envie de partir en Belgique, mais comment [est-ce qu']on arrive à se faire entendre dans ce pays ?", s'est emporté le Dr Didier Legeais, président du Syndicat national des chirurgiens urologues français (SNCUF), ce jeudi, face à une dizaine de journalistes. Deux jours après l'adoption par les députés du budget de la Sécurité sociale pour 2026, le syndicat Le Bloc organisait une énième conférence de presse pour faire le point sur "l'opération Bruxelles", qui se déroulera du 11 au 14 janvier 2026. Plus que jamais, les spécialistes du bloc se sont montrés déterminés à aller jusqu'au bout de leur action pour défendre la médecine libérale et le dialogue conventionnel. 

Malgré la disparition dans la LFSS 2026 de la surtaxe des dépassements d'honoraires et de l'article sur les rentes économiques, "il reste en effet un certain nombre d'arguments [au sens de mesures, NDLR] qui nous posent problème, nous heurtent, nous choquent et qui nous agressent inutilement", a dénoncé Didier Legeais. Ce dernier a pointé l'article 54, qui "définit un certain nombre de pathologies qu'on va devoir prendre [en charge] au tarif opposable". Cela concerne les "prestations d'accompagnement préventif à destination des assurés souffrant d'une pathologie à risque d'évolution vers une ALD". "70% de l'activité des urologues, c'est de la cancérologie. Il est hors de question qu'on prenne ça en charge au tarif opposable tant qu'il ne sera pas revalorisé !"

2000 anesthésistes et chirurgiens partants

Pour le syndicaliste, cet article "signe" en outre "la mort de la convention médicale". Car ce sera "la loi de santé [qui fixera] le tarif des actes pour un certain nombre de pathologies". L'article 78 (anciennement 26 quater) suscite les mêmes craintes. "Il dit qu'en cas de création d'un nouvel acte, s'il n'y a pas d'accord conventionnel, c'est le directeur général de la Cnam qui décide[ra] du prix [de cet acte]", s'est insurgé Didier Legeais. Pour le Dr Loïc Kerdiles, président du Syndicat des anesthésistes libéraux (AAL), ces mesures amènent tout droit vers une "ubérisation de la santé". "On n'est pas contre la régulation tarifaire, mais là c'est à la main du directeur de la Caisse. C'est inacceptable d'avoir une responsabilité maximale avec une autonomie réduite."

"On va être enfermés dans une nasse sans possibilité d'en sortir", a-t-il mis en garde, déplorant au passage le déremboursement des prescriptions des médecins en secteur 3. Et de prédire une "baisse d'attractivité du secteur libéral". "On va vivre le mercato de la médecine."

Enfin, les spécialistes du bloc opératoire ont dénoncé l'article 85 (anciennement article 31) de la LFSS qui introduit des sanctions pour les médecins qui manqueraient à leur obligation de consulter et d'alimenter le dossier médical partagé (DMP). Une mesure qui "cristallise la colère de tous les médecins", a assuré Didier Legeais. "Il est hors de question qu'on paie, qu'on nous sanctionne, sur un système qui ne marche pas", a-t-il lâché, estimant que la mesure permettrait à l'Etat de "récupérer 1 milliard d'euros" (120 000 libéraux multiplié par 10 000 euros – montant de la sanction maximale par médecin). "Tout ça, ce sont atteintes à notre exercice", a-t-il déploré.

"L'ambiance politique autour de nos activités n'est pas tenable", a estimé Loïc Kerdiles. "Nous ne tiendrons pas une année de plus avec un couperet décidé par le directeur de la Caisse de retirer 300 millions d'euros à une spécialité", a-t-il déclaré face à la presse, en référence à la baisse des tarifs unilatérale imposée début novembre aux radiologues.

En toile de fond, les spécialistes de bloc s'inquiètent de la possible récupération des recommandations du rapport parlementaire Monet-Rousset sur les dépassements d'honoraires, notamment au travers les PPL Garot et Mouiller, dont le parcours législatif n'est pas terminé. "La solution facile et un peu populiste, c'est de dire qu'on arrête les dépassements d'honoraires au lieu de rentrer dans le dossier et de s'intéresser à ce qui se passe", a regretté le Dr Philippe Cuq, président du Bloc. "Au bloc opératoire, on a des actes payés par la Sécurité sociale moins de 100 euros. Nous sommes en exercice en secteur 2 parce qu'on ne peut pas exercer en secteur 1 !"

"On diminuera les activités à partir du 5 janvier"

Face à ces "menaces" et à "l'agressivité" envers les libéraux, les spécialistes de bloc ont décidé de maintenir la pression. "On diminuera les activités à partir du 5 janvier", a prévenu Philippe Cuq. Le 11 janvier, au lendemain de la manifestation nationale annoncée par l'intersyndicale, 2000 chirurgiens, anesthésistes, urologues ou encore gynécologues inscrits partiront en bus direction Bruxelles. "On a encore 30 à 40 inscrits par jour", a précisé le président du Bloc. "Les 2000 [inscrits], ce n'est que la partie immergée de l'iceberg. La grande partie des plateaux techniques vont s'arrêter à partir du 10 janvier", a souligné Loïc Kerdiles. "Il va y avoir des difficultés réelles d'accès aux soins dans cette période, mais nous ne sommes pas responsables, on nous y pousse."

"Il n'y a pas un bloc opératoire en France qui ne sera pas impacté par le mouvement", a abondé Philippe Cuq. "Notre mouvement ce n'est pas du pipeau, c'est une démonstration […] C'est aussi recréer ce que l'accès aux soins serait si on n'avait pas l'activité libérale sur les territoires." Le médecin promet un mouvement "massif" même si des réquisitions sont attendues. Celles-ci devront être faites "en bonne et due forme" (nominative, individuelle, datée, etc.). "On va être très vigilants sur ça, on a étudié ça avec des avocats", a indiqué le chirurgien. Et de rappeler que lors de précédents mouvements syndicaux, "une préfecture avait balancé 15 fiches de réquisition à l'accueil d'un établissement sans personnalisation, ça ne marche pas".

Ces réquisitions seront évidemment acceptées, a poursuivi Didier Legeais : "Nous ne voulons pas de morts !" "C'est contre-nature ce que l'on fait là, a reconnu Philippe Cuq. Notre [rôle], c'est quand même de prendre en charge nos patients, de les opérer, de les soigner. C'est l'enfer pour nous, on a une charge morale indiscutable, mais on le fait pour la suite."

Pas question de chômer donc à Bruxelles. L'idée est de mettre à profit ce temps pour dégager des pistes de réflexion. "On reviendra de Bruxelles avec un petit dossier qui comportera 10 propositions pour faire face aux 10 propositions de la mission parlementaire Rousset-Monet […] en particulier pour le bloc opératoire", a annoncé Philippe Cuq. "Quand j'entends les gens qui mélangent le secteur 2 des radiothérapeutes en consultation privée à l'hôpital public, et notre secteur 2, ça n'a rien à voir !", a-t-il insisté, faisant valoir "[leur] spécificité" au travers notamment de l'Optam ACO. Le Bloc appelle donc à rouvrir les négociations "pour essayer de trouver des solutions".

Ces négociations devront permettre de "réaborder le chapitre Optam et du secteur 2", a indiqué Philippe Cuq, qui avait porté la consigne de sortir de l'Optam ACO du fait du report des revalorisations tarifaires du 1er juillet dernier au 1er janvier 2026 suite au déclenchement du comité d'alerte. Un scénario qui pourrait bien se produire de nouveau en 2026 en raison d'un "Ondam de ville insincère", a jugé le syndicaliste. Ce dernier se montre par ailleurs pessimiste au sujet de la négociation de la CCAM technique "avec 24 milliards d'euros de déficit pour la Sécurité sociale".

Face à un système "à bout de souffle", les spécialistes de bloc appellent également les pouvoirs publics à mettre davantage à contribution les complémentaires santé. "Elles n'ont pas rempli leur rôle", a taclé le président du Bloc, notant que le jour du vote de la LFSS, ces dernières ont annoncé qu'elles augmenteront leurs tarifs plus de 4% en 2026. "Nous on veut bien s'engager sur un plafond [de dépassements] mais il faut que les complémentaires s'engagent sur un plancher", a tonné Philippe Cuq, pour qui la "seule arme", "c'est le contrat responsable".  

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il y a 10 minutes
- Monsieur le Ministre, ils sont partis à Bruxelles. - Ah bon ? - Et ils reviennent quand ? - Dans quelques jours, Monsieur le Ministre. - Ah bon. - Que fait-on, Monsieur le Ministre ? - Rien. - Bien, Monsieur le Ministre.
 
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