Dépassements d'honoraires : "Ce n'est pas normal que les patients soient soumis à la bonne volonté des médecins"
Alors que les dépassements d'honoraires ont atteint 4,5 milliards d'euros l'an dernier, le député Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine) plaide pour un encadrement renforcé des pratiques tarifaires des médecins spécialistes. Optam obligatoire pour toute nouvelle installation, renforcement des contrôles, déremboursement des prescriptions des praticiens en secteur 3… L'élu de l'Allier détaille ses solutions pour "réduire la facture" qui pèse "sur le dos des patients".
Egora : En mai dernier, l'ancien Premier ministre François Bayrou vous a confié une mission sur les dépassements d'honoraires. C'est un sujet sur lequel vous vous étiez déjà mobilisé ?
Yannick Monnet : Cette mission trouve son origine dans la proposition de loi qu'on avait portée avec Fabien Roussel sur la prise en charge des soins liés au cancer du sein [adoptée en février 2025, NDLR]. On visait une prise en charge intégrale de ces soins, intégrant la question des dépassements d'honoraires dans le cadre, par exemple, de la reconstruction mammaire. Au moment des discussions en commission, on avait senti que ce point bloquait. On avait donc convenu qu'on écartait la question des dépassements d'honoraires, mais on demandait en contrepartie le lancement d'une mission pour traiter ce sujet spécifiquement. Une fois nommé ministre de la Santé, Yannick Neuder, a œuvré en ce sens. J'ai donc été missionné avec un député de la majorité, Jean-François Rousset.
Qu'avez-vous appris en vous plongeant dans le sujet des dépassements ?
D'abord, je ne pensais pas que les dépassements d'honoraires représentaient autant : 4,5 milliards d'euros en 2024, ce n'est pas rien. Ce sont 4,5 milliards d'euros à la seule charge des patients. Je ne connaissais pas non plus la complexité des modes de financement de la santé et je ne m'étais pas penché précisément sur la question des secteurs [d'activité] et de l'Optam. La mission nous a permis de nous plonger dans ces sujets.
Lorsque je m'étais intéressé à la question des soins liés au cancer du sein, j'avais été frappé par le reste à charge important pour les patientes. Des femmes renoncent parfois à la reconstruction mammaire parce que ça coûte trop cher, notamment à cause des dépassements d'honoraires. Je ne trouve pas normal qu'il y ait des renoncements aux soins pour des raisons financières.
Alors on aurait pu dire "on n'a qu'à interdire [ces dépassements]", mais en réalisant cette mission j'ai compris la complexité du sujet. Ces 4,5 milliards d'euros qui reposent sur les patients, ce sont aussi 4,5 milliards de revenus pour les médecins. On ne peut pas les supprimer, à moins de doter la Sécurité sociale de recettes suffisantes, mais on n'en prend pas le chemin aujourd'hui…
Je ne dis pas que les médecins matraquent, mais parfois je me demande où est le serment qui a été prêté
À partir de ces constats, vous avez formulé 10 propositions pour "sortir" des dépassements d'honoraires. En quoi consistent-elles ?
Nous avons d'abord essayé d'agir sur le volet tarifaire, en préconisant de revoir plus régulièrement la nomenclature – car certains actes ne sont en effet pas rémunérés à leur juste valeur. Nous appelons ensuite à bloquer les dépassements d'honoraires. Aujourd'hui, tous les spécialistes s'installent en secteur 2, dont une grande partie hors Optam. Ce n'est pas possible, ou alors il n'y a plus de santé publique. Les riches pourront payer des médecins et les pauvres n'auront plus le choix…
Je trouve par ailleurs la notion de "tact et mesure" aberrante. Elle n'a aucun fondement juridique et ne veut rien dire. Il y a autant de définitions qu'il y a de médecins. Cela signifie qu'on [laisse exister] des situations où on négocie [le tarif d'un acte ou d'une opération] en fonction des revenus des patients. Mais ce n'est pas ça la prise en charge médicale ! Ce n'est pas normal que les patients soient soumis à la bonne volonté des médecins en matière de tarification.
Souvent d'ailleurs les patients ne négocient pas, car il s'agit de leur vie. Je ne dis pas que les médecins matraquent, mais parfois je me demande où est le serment qui a été prêté. Il faut que ce soit encadré. Le problème des dépassements, c'est qu'il n'y a pas de contrôle.
Il existe pourtant des procédures pour sanctionner les dépassements excessifs. Mais dans votre rapport vous indiquez qu'elles ne sont "pas effectives"…
Il n'y a quasiment aucune sanction. Comment peut-on d'ailleurs sanctionner un médecin si la règle est le tact et la mesure ? Ça ne veut rien dire. Cette notion, c'est pour se donner bonne conscience.
Pour réduire ces dépassements, vous suggérez de rendre l'Optam obligatoire "pour toute nouvelle inscription en secteur 2". L'Optam doit donc devenir la règle ? Les syndicats de médecins appellent pourtant à en sortir…
Ce mouvement de contestation existe à raison puisque l'Optam, qui était censé réguler les choses, ne régule plus rien. Il est indispensable de le renégocier. Mais, pour moi, il n'est pas concevable que l'on se serve de la Sécurité sociale sans contractualiser avec elle. La Sécurité sociale est un système de solidarité financé par le travail des salariés. S'il n'y avait pas de Sécurité sociale, ce serait par ailleurs beaucoup plus compliqué pour les médecins de vivre de leur travail. Dès lors, il me paraît tout à fait normal que la Sécurité sociale ait des exigences. L'Optam, pour moi, représente cette exigence.
Nous aurions pu dire, dans notre rapport, 'on bascule tout le monde dans l'Optam et ceux qui ne veulent pas arrêtent la médecine', mais ce n'est pas ce que nous disons. Nous ne faisons pas disparaître le secteur 2 hors Optam, même si c'est la visée. Nous disons : tout nouveau spécialiste, s'il veut s'installer en secteur 2, donc pratiquer des dépassements d'honoraires, doit contractualiser avec la Sécurité sociale pour qu'on encadre ses dépassements. Si on fait de l'open bar, c'est le secteur 3…
À ce sujet, vous avez proposé, dans le cadre du PLFSS, de dérembourser les prescriptions des médecins en secteur 3…
Aujourd'hui, on ne peut plus envisager la médecine comme un espace de liberté totale. Compte tenu du nombre de renoncements aux soins, du nombre de gens qui peinent à se soigner, du manque de médecins et de l'absence de répartition équilibrée sur le territoire, il faut qu'on protège la population.
Pour moi, le secteur 3 est un totem qui considère que les médecins ont une liberté tarifaire et une liberté de prescription. On nous a dit que c'était quelque chose d'absolument non négociable, très bien. Mais qu'on ne sollicite pas la Sécurité sociale pour financer. J'ai conscience que ça peut pénaliser des patients, mais je pense qu'ils le sont déjà parce que leur médecin est en secteur 3.
Dans son PLFSS, le Gouvernement avait intégré une surcotisation des dépassements. La mesure a depuis été supprimée. Vous y étiez fermement opposé. Pourquoi ?
J'ai porté un amendement de suppression de cette mesure. Parce que, pour moi, cette surcotisation aurait été indubitablement reportée sur les patients. C'est une manière déguisée de faire supporter une ressource supplémentaire par les patients et ça, ce n'est pas acceptable. Les Français paient déjà la Sécurité sociale à travers les cotisations patronales et salariales.
La ministre de la Santé a annoncé l'ouverture prochaine de discussions sous la responsabilité de la Cnam autour du secteur 2. La réforme de ce secteur doit-elle se faire dans le cadre de la concertation ou de la loi ?
Cela dépend. Nous avons eu un engagement du Premier ministre que notre rapport ne sera pas mis au fond d'un tiroir. On doit travailler à mettre en œuvre les propositions de notre rapport et cela doit se faire évidemment dans la concertation. Il y a des choses qui relèvent de la loi, d'autres du réglementaire. La révision de la nomenclature tarifaire, par exemple, doit se travailler avec les professionnels et les parties prenantes.
En revanche, la loi peut imposer un certain nombre de choses. On a réussi à faire passer l'idée [de dérembourser les] prescriptions des médecins en secteur 3*. Il faut absolument qu'on isole le secteur 3 pour se concentrer sur le secteur 2. Il faut qu'on arrive impérativement à réduire cette facture de 4,5 milliards d'euros sur le dos des patients.
*En commission, les députés ont réintroduit dans le PLFSS le déremboursement, à compter du 1er janvier 2027, des prescriptions des médecins de secteur 3. Mais la mesure peut encore être supprimée au cours des discussions à venir en séance publique, puis en deuxième lecture au Sénat.
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