"On m'a dit qu'aucun retour en arrière n'était possible" : des internes privés de leur premier vœu par un bug ?
Mi-septembre, les néo-internes ont découvert leur affectation. Une poignée d'entre eux assurent avoir subi un "bug informatique", qui aurait décalé leurs vœux. Ils se retrouvent avec une spécialité et une subdivision différentes de celles qu'ils auraient pu atteindre au vu de leur classement. Le Centre national de gestion (CNG), en charge de la nouvelle plateforme d'appariement, réfute toute erreur.
Dans moins d'un mois, Laura* fera ses premiers pas comme interne. Le 13 septembre, la future blouse blanche a été affectée en santé publique dans une subdivision du sud-est de la France. Un résultat assez déconcertant pour celle qui s'était imaginée devenir urgentiste. "J'avais largement le classement pour", souffle-t-elle. La jeune femme de 24 ans en est persuadée : l'ordre de ses vœux a été mal pris en compte par la plateforme d'affectation. "Celle-ci a fermé le jeudi à 0h et, avant qu'il ne soit plus possible de modifier mes vœux, j'ai longuement hésité", se souvient-elle. Elle finit par mettre urgences à Caen en premier vœu, classant ceux de santé publique plus loin. Mais elle n'obtiendra pas ce premier choix : "J'ai trouvé ça bizarre […] car, pendant les phases de simulation, j'ai réussi à avoir urgences dans plein de villes, dont Caen."
Cette année a été marquée par la mise en œuvre d'une nouvelle procédure d'appariement pour les étudiants en sixième année de médecine comprenant non plus un, mais treize classements. Issue de la réforme du deuxième cycle des études médicales (R2C), et gérée par le Centre national de gestion (CNG), celle-ci devait permettre à chaque carabin d'obtenir la meilleure affectation selon ses résultats et ses vœux - chaque étudiant devait en saisir au minimum 40. Cette procédure prévoyait plusieurs phases de simulation avant la publication définitive des résultats le 10 septembre, finalement décalée au vendredi 13 septembre en raison de dysfonctionnements.
"Il y a eu [un] premier bug, on a eu trois jours de plus pour changer nos vœux", se rappelle Laura, qui en dénonce un second. L'étudiante assure que la plateforme d'affectation n'a pas tenu compte de la dernière modification de ses vœux. Sur le site, "quand on changeait un vœu, un message apparaissait pour nous dire que notre liste avait été actualisée", relate Laura. Le jeudi 12 septembre en soirée, lorsqu'elle modifie un dernière fois ses vœux et place la spécialité urgences à Rouen en haut de sa liste, l'apprentie médecin assure avoir "vu ce message" s'afficher. Pour elle, aucun doute : son changement est enregistré et son classement proche des 5200 dans la spécialité urgences lui permet d'atteindre son premier son vœu.
Mon vœu est "passé à la trappe"
Le lendemain pourtant, la jeune femme est affectée en santé publique. "Au début, je me suis dit que c'était peut-être de ma faute. Puis, j'ai vu des messages d'autres étudiants [sur les réseaux sociaux, NDLR], je me suis dit que ce n'était pas normal", rembobine Laura : "On est tombés sur notre deuxième choix alors qu'on pouvait avoir le premier." Comme elle, entre dix et vingt carabins - selon plusieurs sources - affirment avoir subi ce second "bug".
Mathilde*, 24 ans, a ainsi été affectée en maladies infectieuses en Martinique-Guadeloupe. "J'avais rétrogradé ce vœu, en plaçant celui de biologie médicale à Besançon devant", raconte l'étudiante. Mais ce dernier est "passé à la trappe", soupire-t-elle, assurant pourtant avoir "bien atteint biologie médicale à Besançon" lors des phases de simulation. Le jour de la publication des résultats, "ça a été la surprise et la déception", glisse-t-elle. "J'ai tout de suite essayé de contacter le CNG et leur réponse a été assez claire : ils m'ont dit que l'affectation était définitive et qu'aucun retour en arrière n'était possible."
Laura a, de son côté, multiplié les appels auprès du CNG : "J'ai pris l'annuaire et j'ai fait tous les numéros un par an. Personne ne me répondait." Elle finira par avoir une réponse similaire à celle reçue par Mathilde, "une semaine après les résultats". En parallèle, l''étudiante s'est tournée vers l'Association nationale des étudiants en médecine (Anemf) – "ils ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire" – et des référents de son université. En vain.
Pour l'Anemf, l'une des difficultés est de savoir si ces étudiants ont bien été victimes d'une erreur informatique ou ont été simplement "lésés par les changements de vœux d'autres étudiants", qui ont simplement pris les postes qu'ils espéraient obtenir, souligne Lucas Poittevin, président de l'association.
"Aucune trace de ce bug"
Après plusieurs alertes, le représentant syndical explique avoir contacté le CNG "dès le jour de parution des résultats". L'organisme lui aurait assuré "qu'il n'y a eu aucun bug sur leur serveur ce jour-là". "Le CNG contacté affirme n'avoir aucune trace de ce bug alors que l'informatique trace toujours tout, confirme le Pr Benoît Veber, président de la Conférence nationale des doyens de médecine. Du côté du logiciel, l'affectation s'est déroulée normalement et chaque étudiant a eu son meilleur choix possible en fonction de l'expression de ses vœux et de son classement."
Contacté par Egora, le CNG reconnaît des erreurs lors de la phase d'affectation définitive. Des bugs sont apparus sur la plateforme entre le vendredi 6 et le lundi 9 septembre, amenant à la fermeture de l'application ce jour-là, indique l'organisme. Le site a été "mis en maintenance pour le restaurer à son état initial lors du dernier tour à blanc", ajoute-t-il. Tous les vœux émis ou modifiés par les étudiants entre le vendredi soir et le lundi après-midi ont alors été annulés. "Les étudiants ont été informés en temps réel", et une nouvelle saisie des vœux a eu lieu entre le mardi 10 et le jeudi 12 septembre.
"Cette information a été faite par plusieurs canaux", dont le compte Even des étudiants, par message individuel, par voies syndicales et sur le site du CNG, souligne l'instruction, qui affirme ne pas avoir relevé de bug lors de cette ultime saisie des vœux. Selon elle, "quelques étudiants n'ont pas tenu compte de la remise à zéro de leurs saisies effectuées" entre le vendredi 6 et le lundi 9 septembre. Ces derniers "n’ont pas ressaisi leurs modifications entre les 10 et 12 septembre comme préconisé", écrit le CNG : "Il s’agit de quelques situations isolées car aucun bug informatique n’est intervenu lors de la phase réinitialisée déroulée entre le 10 septembre 10h et le 12 septembre avant minuit."
Un droit au remord exceptionnel
Malgré cette position, Laura espère qu'une solution lui sera proposée. "Je veux que le CNG reconnaisse ce problème […], que l'on ait la possibilité de changer d'affectation. On pourrait avoir une solution pour changer de ville ou de spécialité, dans la même subdivision", envisage l'étudiante, qui a malgré tout fait sa pré-rentrée.
A quelques semaines du début de l'internat, Mathilde est encore perdue. "Je suis dans un entre-deux. Je réfléchis à partir en Martinique-Guadeloupe ou peut-être à changer totalement de voie. Je suis un peu fatiguée de toutes ces années de travail", sans pouvoir atteindre son objectif, souffle la jeune femme. D'autant que le poste qu'elle convoitait à Besançon n'a, selon elle, "pas été pourvu".
La néo-interne envisage désormais de faire un droit au remord auprès de l'ARS pour changer de subdivision. Une démarche à laquelle réfléchit aussi Léon*, 25 ans. Affecté en médecine générale à Rennes alors qu'il était certain d'aller à Amiens – vœu qu'il a "remonté" avant la fin de la procédure -, le futur praticien espère que sa situation évoluera au prochain semestre. "Je ne pense pas que le CNG fera quelque chose. C'est à l'ARS [désormais] de prendre en compte" notre situation, avance-t-il, reconnaissant qu'un changement de subdivision est "assez peu accepté". L'étudiant insiste : "Ce qui est vraiment important, c'est que ce système d'appariement soit revu, car il n'était pas au point cette année."
*Le prénom a été modifié.
**Cette procédure doit être justifiée par un motif impérieux (arrêté du 12 avril 2017 portant organisation du troisième cycle des études de médecine, JORF n°0089 du 14 avril 2017)
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