Trois mois après la mise en place de la réforme du premier cycle des études de santé, mettant fin à la Paces et au système du numerus clausus, étudiants, syndicats et associations représentatives pointent du doigt sa mise en place chaotique. Problèmes de communication, d’informations, de programmes, de sélection, découragement des étudiants, incertitudes, Covid… Le Pr Nicolas Lerolle, doyen de la faculté de médecine d’Angers et membre du comité de pilotage de la réforme ainsi que Loona Mathieu, vice-présidente de l’Anemf en charge de l’Enseignement supérieur font le point pour Egora. Un rapport de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) paru le 19 novembre dernier dresse un panorama sans concession de la mise en place de la réforme du premier cycle des études de santé (R1C). Gâchis humain, sélection, cafouillis dans les programmes, manque d’information, défaut d’organisation ou de communication… Les grands objectifs vantés de la “réforme de la Paces” (diversification des profils, fin de la concurrence par la suppression du numerus clausus, amélioration de la réussite notamment) sont loin d’être atteints. Ils engendrent, inévitablement, chez les étudiants déjà confrontés au confinement et aux cours en distanciel, du stress, de l’incertitude voire du découragement. Désormais, terminé le modèle unique. Les étudiants peuvent accéder aux différentes filières santé (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kiné) via deux voies d’accès : les Pass (Parcours d'Accès Spécifique Santé) et les Las (Licence avec accès santé). La filière Pass correspond à l’ancienne Paces, avec la possibilité de redoubler en moins et une option mineure obligatoire en plus parmi toutes les matières proposées à l’université (droit, lettres, économie, biologie…). La Las, quant à elle, innove complètement. Les étudiants sont inscrits dans une filière majeure de leur choix (là encore, droit, lettres, économie par exemple) et suivent un module de cours “santé” en parallèle. A l’issue de l’année de leurs choix (première, deuxième ou troisième), ils pourront demander une passerelle pour intégrer les études de santé, à condition d’avoir validé l’ensemble de leurs crédits ECTS (European Credits Transfer System).
Trois mois après la rentrée, où en est réellement la mise en place de la R1C? "Je crains que le rapport de l’Anemf ne décrive assez bien la perception des étudiants, et je pense aussi que la réalité est malheureusement celle-là dans pas mal d’endroits”, admet le Pr Nicolas Lerolle, doyen de la faculté de médecine d’Angers et membre du comité de pilotage de la réforme, mandaté par les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. A l’heure actuelle, deux problèmes majeurs ont été identifiés. Un premier problème de forme, concernant le quotidien des étudiants, et un second de fond, concernant le contenu pédagogique. Pour ce qui relève du premier point, Nicolas Lerolle cite surtout des carences visant les aspects “techniques”. Comprendre, des informations concernant la communication de la date des examens, des oraux, des modalités d’évaluation "insuffisamment définies ou précisées aux étudiants”. Pour le second, le doyen explique que les universités ont eu “du mal à profiter” de la réforme pour changer en profondeur les contenus en se basant sur les besoins des Pass ou des Las. “Certains ont repris le contenu qui existait déjà dans la Paces et l’ont un peu modifié, mais pas de façon majeure”, poursuit le doyen.
Les Las : un système à part Parmi le choix pléthorique des voies d’accès aux études de santé cette année (Pass, Las, Paces), il ressort du rapport de l’Anemf que ce sont les étudiants en Las qui sont les plus en difficulté. “Quand les étudiants vont voir l’UFR Santé s’ils ont une question, on leur répond que ce n’est pas leur problème. Et lorsqu’ils vont voir l’UFR* de composante à laquelle ils sont rattachés, on leur répond qu’on ne sait pas”, déplore Loona Mathieu, vice-présidente chargée de l'Enseignement supérieur à l’Anemf. Dépendants, en effet, de deux UFR (Santé et celle de leur matière majeure), ces étudiants n’appartiennent finalement à personne. Conséquence : ils peuvent vite se sentir dépassés par les incertitudes touchant leur formation et ne savent bien souvent pas vers qui se tourner pour trouver une réponse. La clé, pour l’Anemf, se trouve dans l’articulation, inexistante aujourd’hui, entre les différentes composantes de l’université qui se sont bien souvent vues imposer la réforme sans vraiment y participer. “Préparer des études sur la santé en même temps qu’une autre licence, c’est compliqué. Il faut les bases pour continuer sa licence mais il faut aussi avoir les bases pour pouvoir entrer en études de santé, c’est donc une charge de travail très conséquente. Compte-tenu de ce manque de coordination, on remarque que bien souvent, les étudiants ont une méthode de travail pour la licence, une méthode de travail pour la santé qui n’est pas la même. Or, il faut réfléchir à une cohérence globale du projet. Par exemple, pour les LAS Staps, articuler les enseignements physiques adaptés et de faire le lien avec la santé”, détaille Loona Mathieu. Autre dérive issue de ce manque d’articulation : les problèmes d’emploi du temps avec des cours qui se superposent, engendrant une inégalité des chances pour les candidats lorsqu'ils ne peuvent assister à leurs cours de santé.
Un chantier à deux vitesses Pour résorber le problème “urgent” des Las, le Pr Lerolle préconise de mettre en place des référents, pouvant répondre directement aux interrogations des étudiants ou porter leurs questions auprès des personnes compétentes. Mais face à leur détresse et surtout, l’échéance des examens du premier semestre, le doyen mise sur deux temporalités d’actions : immédiate, et sur le long terme. “Il faut réaliser un panorama, voir à quel endroit il y a le plus de problèmes, à quel endroit il faut aller très vite récupérer les points qui sont en déficit et voir aussi à quel endroit il y a des choses qui ne fonctionnent pas si mal. En ce qui concerne les éléments de base, vitaux, qui tiennent du parcours de l’année, il faut s’y mettre tout de suite”, affirme Nicolas Lerolle. Ce dernier assure également que le comité de suivi de la réforme, auquel il appartient, est en discussion active avec les cabinets des deux ministères pour “définir le plan qui va permettre de faire une cartographie des insuffisances de la réforme”. Sûrement un peu tard, quand on sait que les partiels ont lieu mi-décembre... Mais le doyen explique qu’il est difficile d’aller plus vite sur les autres points de blocage. “La transformation pédagogique réelle est sur une logique de long terme. Ce n’est pas sur quelques semaines qu’on peut tout transformer. Il faut travailler avec les associations étudiantes, les facultés et donc c’est quelque chose qui va prendre du temps. Même si le Covid est un “retardateur” de plus, il n’excuse pas tout”, convient-il. Heureusement pour les étudiants, les tutorats pallient bien souvent les insuffisances constatées. Mais l’Anemf déplore le manque d’anticipation, donnant l’impression que les universités ont appliqué les changements seulement une fois qu’ils y étaient contraints, un peu sans réfléchir. “Il n’y a pas eu de réflexion globale sur la réforme. Il faut absolument anticiper les problèmes à venir pour éviter que cette situation ne se reproduise", martèle Loona Mathieu.
Promotion “crash test” Les années passées, le taux d’abandon en Paces était de 10 à 20% de l’effectif, la plupart des candidats ayant été essorés par le stress, la concurrence, la charge de travail et le niveau attendu. Peut-on craindre une explosion de ce pourcentage à cause de l’effet cumulé du Covid, de la réforme, des programmes mal ficelés et de l’isolement des étudiants confinés ? La question se pose. “Toutes les hypothèses sont ouvertes, admet Nicolas Lerolle, il est encore trop tôt pour le dire, les premiers examens nous donneront une idée”. Mais il ne le cache pas : des abandons, il y en aura. “Ils existaient déjà en Paces et la Pass et la Las ne sont pas moins difficile. Il y a aussi eu des problèmes de recrutement via Parcoursup, évoqués à la rentrée. Et puis, ce qui est aussi possible c’est que certains se rendent compte que leur matière majeure leur plaît plus que ce qu’ils n’avaient envisagé et corrigent leur parcours”, envisage-t-il Sur les réseaux sociaux, les étudiants, eux, crient à l’injustice et se qualifient de "promotion crash test”. Même s’il comprend le terme, le doyen d’Angers botte en touche. “Il y aura à la fin de cette année des étudiants qui seront sélectionnés pour aller dans les différentes filières. Oui, il y a une incertitude, les choses ne sont pas comme elles devraient être en termes de communication. Mais ce n’est pas une promotion qui va aboutir à un échec de recrutement. Ce n’est pas une promotion sacrifiée dans le sens où elle n’aura rien à la fin. C’est certes une situation inconfortable, le mot est faible, mais la transformation est en cours et les étudiants seront sélectionnés avec le maximum d’équité à la fin”, promet-il.
Encore faut-il l’être. Et sur ce point, difficile pour les étudiants d’y voir clair, puisqu'ils ne savent pas encore tous comment ils vont être évalués. Grande nouveauté de la réforme, le passage obligatoire par des oraux. “On appelle cela des minis entretiens multiples”, corrige le Pr Lerolle. Le texte réglementaire prévoit deux entretiens minimums pour 20 minutes d’échange au total. Dans la faculté angevine par exemple, il s’agit d’analyser des compétences différentes de celles constatées à l’écrit. Ainsi, le candidat peut par exemple avoir un texte de presse à lire, synthétiser et exposer en réalisant une analyse de document ou se retrouver dans un “jeu de rôle” pour que le jury évalue sa capacité à se sortir d’une situation. Toutes les facultés sont libres de proposer la formule qu’elles souhaitent. Aucune évaluation ou directive nationale n’a été donnée. Fausse disparition du numerus clausus Passera, passera pas ? Comment savoir ? Un dernier ingrédient est à ajouter à cette situation déjà bien confuse… Les étudiants ne connaissent pas encore le nombre de places qui seront attribuées au passage en deuxième année via les Las et les Pass. Le numerus clausus ayant été supprimé avec la réforme, on parle désormais de “capacité” de formation pour la deuxième année des filières concernées. Ce chiffre est décidé en concertation entre les universités et les Agences régionales de santé (ARS) et ne dépend plus des ministères de tutelle.
Mais le numerus clausus n’est pas terminé pour tout le monde. Cette année, d'irréductibles Paces résistent. Il s’agit des primants de l’an dernier, autorisés à redoubler exceptionnellement sous l’étiquette de l’ancienne réforme. Eux, auront un numerus clausus spécifique. Alors, pour pouvoir indiquer la capacité de formation ouverte cette année aux Pass et aux Las, les facultés sont suspendues au Journal officiel, via lequel le ministère de la Santé et celui de l’Enseignement supérieur donneront le tout dernier numerus clausus. Une fois ce dernier connu, les universités pourront alors déterminer le nombre de places possibles pour les voies d’accès “officielles”. “On ne peut pas donner un chiffre maintenant et se rendre compte que les universités ne peuvent pas prendre tous les étudiants ou au contraire, peuvent en prendre plus. Chaque université en fonction de sa capacité d'accueil, fera son choix”, précise Nicolas Lerolle. Sauf que les facultés vont probablement se voir contraintes de monter en capacité de formation pour absorber toutes les transformations prévues par la R1C. “L’esprit de la réforme est d'arriver à recruter tous les étudiants lors de leur première chance, puisque le redoublement n’est pas possible. Or, on sait que pour l'essentiel, les étudiants étaient pris après redoublement dans le cas de la Paces. Donc, pour arriver à les prendre du premier coup, soit il faudra le faire en deux fois, soit prendre un peu plus d’étudiants que d’habitude cette année”, explique encore le doyen d’Angers. Il convient toutefois de ne pas prendre trop d’étudiants d’un coup, pour ne pas détériorer la formation des futurs carabins ou professionnels de santé. “Il n’a jamais été envisageable de supprimer drastiquement la sélection. Ce n’est tout simplement pas possible si on veut maintenir une formation correcte, et encore moins d’un coup comme ça. Il faudrait ouvrir des terrains de stage, cela demande du temps et des moyens financiers pour embaucher plus de personnel”, appuie Loona Matthieu, reconnaissant que le “message délivré a porté à confusion”.
Alors dans les faits, même si le numerus clausus a été supprimé, c’est un peu comme s’il résistait encore et toujours. “Ce n’est pas une suppression", confirme Nicolas Lerolle. “Cela dépend de ce que l’on entend par numerus clausus, bien sûr. Dans les faits, la détermination par arrêté ministériel du nombre d’étudiants pris en deuxième année a été supprimée. En revanche, il reste cette fameuse capacité d’accueil. Il est vrai que le message a été ambigu de faire croire que c’était une voix qui n’était plus sélective”, regrette le doyen. “C’est plutôt la détermination du nombre d’admis qui sera plus local, adapté aux besoins locaux contrairement à aujourd’hui où c’est pris au niveau national”, renchérit Loona Mathieu. Comprenant la sensibilité du sujet pour les étudiants, le doyen de la faculté d’Angers ajoute : "Il n’a jamais été question de retirer la sélection à l'entrée des études de santé. Ceci pour une raison simple : pour l’instant, beaucoup d’universités ne sont pas loin ou déjà au maximum de leur capacité de formation. Ce n’est pas sélectif pour être sélectif ou parce que le métier de médecin se doit de l’être. Mais les terrains de stages ne sont pas extensifs à l’infini. Il faut aussi prendre en compte la taille des amphis et le dimensionnement des effectifs de personnels universitaires qui sont contraints actuellement, avec une réforme du premier, deuxième, troisième cycle. La R1C prévoit des sous-groupes, un accompagnement individuel… Il ne faudrait pas planter le système des études de médecine parce qu’on augmente considérablement la charge sur notre scolarité”, précise-t-il. Malgré ce message ambigu, qui a pu causer de fausses attentes, le Pr Lerolle rappelle que tout n’est pas à jeter dans ce modèle et que le principe de sélection doit aussi pouvoir répondre aux attentes de ceux qui ne poursuivront pas en filière santé. La réforme de la R1C prévoit, en effet, un plan B pour les étudiants qui ne seraient pas admis. Puisqu’ils n’ont plus le droit de redoubler, ces derniers pourront toutefois se réorienter parmi les autres branches des universités grâce aux systèmes de mineures et de majeures. Cela permet effectivement d’éviter de devoir tout recommencer à zéro.
Un processus “engagé” A défaut d’avoir réussi le pari d’effacer – pour l’instant – tous les défauts de la Paces, le processus est au moins “engagé”, se satisfait Nicolas Lerolle. “Il n’y a pas de retour en arrière prévu. Il faut quand même reconnaître que la Paces a été irréversiblement supprimée par les textes pour aller complètement vers un autre système. Et puis le fond de la réforme va dans le bon sens”, rappelle-t-il. “De notre côté, nous voyons énormément d’avantages dans cette réforme à laquelle nous étions favorables”, ajoute Loona Mathieu. "Actuellement, on ressent malgré tout un échec. Il y a des bonnes choses, un travail à poursuivre. Mais c’est vrai qu’un des objectifs qui nous tenait à cœur était la diminution des risques psychosociaux. Quand on voit les témoignages actuels, ce n’est pas réussi, beaucoup sont détruits. Il faut l'améliorer à court terme pour éviter les risques graves cette année et que la réforme réponde à cet objectif, de proposer un parcours qui permet aux étudiants de s’épanouir dans leurs études. Dernière chose, elle doit aussi permettre de ne pas voir comme un échec, le fait de ne pas être sélectionné dans les études de santé”, estime la représentante de l’Anemf.
Las : Licence avec accès santé
R1C : Réforme du 1er cycle des études de santé
UFR : Unité de formation et de recherche
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