Crédit : Louise Claereboudt
"Un agresseur ne sera jamais un bon médecin" : soignantes et patientes s’unissent contre les violences
Plusieurs dizaines d'étudiantes, de soignantes et de patientes se sont rassemblées, ce mercredi 29 mai dans la soirée, devant le ministère de la Santé pour réclamer des "mesures concrètes" de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du soin. Une délégation a été reçue par le cabinet de Frédéric Valletoux. Une lueur d'espoir.
Crédit : Louise Claereboudt
C'est sous une pluie battante que des dizaines d'étudiantes, de soignantes et de patientes se sont réunies hier soir devant le ministère de la Santé, avenue Duquesne, pour mettre fin à "l'omerta" qui règne dans le milieu médical. Ce rassemblement répond à l'appel du collectif Emma Auclert, qui a relayé l'affaire de l'externe de Limoges (Nicolas W.) pénalement condamné pour agressions sexuelles sur plusieurs camarades, mais autorisé à poursuivre ses études de médecine.
Unies, les participantes – soutenues par plusieurs associations féministes comme Osez le féminisme ! – ont réclamé des "mesures concrètes et immédiates" de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), qui touchent tout particulièrement le milieu du soin. "Stop à l'omerta en médecine", "aujourd'hui ton violeur, demain ton docteur", "ras le viol"… pouvait-on ainsi lire sur des pancartes brandies haut.
Ce rassemblement a eu lieu un mois après le témoignage de la Pre Karine Lacombe dans Paris Match dans lequel la cheffe du service des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP) a accusé son ancien confrère le Dr Patrick Pelloux de "harcèlement sexuel et moral", faisant éclore le mouvement #MeToo à l'hôpital. Mouvement qui s'est ensuite étendu à toute la sphère de la santé, poussant le ministre délégué Frédéric Valletoux à réagir.
"Je n'ai plus jamais refait de soirée médecine après"
La Dre Zoé, 33 ans, généraliste engagée politiquement et dans les luttes féministes, a tenu à être présente ce mercredi soir. Elle représentait le collectif Emma Auclert, dont les membres fondateurs n'ont pu faire le déplacement jusqu'à la capitale. Elle-même a été victime de harcèlement sexuel durant ses stages et d'agression sexuelle lors du weekend d'intégration. Un étudiant s'était introduit dans sa tente et a tenté d'abuser d'elle. "Je n'ai pas de médecins dans ma famille, je ne m'attendais pas à ça. Je n'ai plus jamais refait de soirée médecine après..."
Elle dénonce aujourd'hui une violence "systémique". "La violence n'existe que parce qu'un système lui permet d'exister", estime la praticienne, également enseignante. Rites carabins, chants paillards, fresques pornographiques… Cette culture carabine "participe à la normalisation de la violence sexuelle dès le début des études de médecine", ajoute-t-elle. "Aujourd'hui encore, on a plus de risque d'être condamné pour non-respect de la confraternité quand on dénonce les agissements d'un confrère que quand on est le violeur. C'est une réalité."
La hiérarchie et la "soumission à l'autorité" y sont aussi pour quelque chose. "Pour l'instant, même si la profession se féminise, les postes de pouvoir restent majoritairement masculins", constate la Dre Zoé.
À ses côtés, de nombreuses patientes, et notamment Sonia Bisch, porte-parole du collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques (VOG). "Nous sommes solidaires des professionnelles de santé et des étudiantes qui dénoncent des violences sexistes et sexuelles, indique-t-elle. Parce qu'on sait qu'un agresseur ne sera jamais un bon médecin." Où qu'elles se déroulent, ces VSS "restent impunies". "Il y a une inversion de la culpabilité, on écrase la parole des victimes", dénonce la militante, qui a notamment révélé l'affaire du Pr Daraï, spécialiste de l'endométriose à l'hôpital Tenon (AP-HP), mis en examen pour violences volontaires sur des patientes. "Il est toujours en poste !"
"Aujourd'hui, on a besoin d'être ensemble, de faire bloc", poursuit-elle, se réjouissant de "l'union de tous les #MeToo" qui a lieu. "La parole des patientes, on ne l'entend pas, mais la parole des professionnelles, oui. C'est pour ça qu'on a besoin de professionnelles engagées qui nous croient et avec qui s'allier. Ensemble, on est beaucoup plus fortes", ajoute Sonia Bisch.
"L'Ordre n'a pas été à la hauteur"
Après le ministre Frédéric Valletoux, le président du Conseil national de l'Ordre des médecins a également réagi dans Ouest-France à ce mouvement #MeToo médecine. "C’est absolument impossible qu’on tolère que les patients soient victimes de comportements inadaptés, et scandaleux que les médecins ou les soignants entre eux aient des attitudes de la sorte. Il faut réagir", a-t-il dit, promettant "des mesures pour essayer de se débarrasser de ce fléau" des VSS. Une enquête de l'Ordre auprès des médecins sur ce sujet débutera en juin. Les résultats seront connus en octobre.
"Nous avons bien acté qu’exercer la médecine et manquer à la probité et à la moralité, ce n’est pas compatible", a poursuivi le Dr François Arnault. "L’objectif est qu’un médecin qui manque à la moralité et à la probité ne puisse pas exercer la médecine si les faits pour lesquels il est condamné sont suffisamment graves, s’il a été condamné pour des crimes jugés définitivement."
Le président du Cnom a par ailleurs assuré que les carabins sanctionnés pénalement "pour des crimes jugés définitivement", ne pourront exercer la médecine. "Il a été convenu avec les doyens des facultés de médecine qu’il y aurait une information aux étudiants en deuxième année pour les mettre en garde. La circulaire est applicable dès maintenant", a-t-il déclaré. Une première, puisque l'instance n'avait encore jamais abordé la question des étudiants agresseurs. Dans une lettre ouverte de plusieurs associations étudiantes et féministes – dont le collectif Emma Auclert, l'Isnar-IMG, ou le SNJMG, l'Ordre avait été pressé de réagir.
"Mieux vaut tard que jamais", soupire la Dre Zoé. "L'Ordre des médecins dans les dernières décennies n'a pas été à la hauteur de ce qu'il aurait dû être sur ces sujets. C'est un euphémisme de le dire." Cette prise de parole est ainsi "un très bon signal envoyé" mais "on aimerait que ce soit concret parce qu'il est question d'attendre des condamnations définitives" or "dans l'affaire Nicolas W., cet étudiant a été mis en examen il y a déjà plusieurs années et a pu continuer à être au contact d'étudiantes et de patientes – il a notamment fait un stage en gynécologie."
"Il est aussi question de crime dans la prise de parole du président de l'Ordre, poursuit la porte-parole du collectif Emma Auclert. Nicolas W. a été condamné au tribunal correctionnel. Il s'agit donc d'un délit. La correctionnalisation des viols est fréquente. Les criminels sexuels ne doivent pas être médecins, mais les délinquants sexuels non plus." Se pose aussi la question d'appliquer "des mesures conservatoires pendant l'instruction". "On sait que la justice est très lente. L'application des mesures conservatoires est possible, prévue dans les textes déjà", défend la généraliste.
"L'arbre qui cache la forêt"
L'enseignante a été reçue, ainsi que cinq représentantes d'associations et de collectif, par la direction du cabinet de Frédéric Valletoux aux alentours de 18h30, mercredi. La délégation a tenté d'alerter les tutelles sur le cas de cet externe de Limoges, qui a passé les Ecos mardi et mercredi. "La question qu'on a envie de poser c'est 'Combien y a-t-il de Nicolas W. en France ?'", interroge la Dre Zoé. "En 2022, le cas d'un étudiant de Paris Saclay avait été médiatisé. Il est actuellement mis en examen pour viol par vulnérabilité chimique sur des jeunes femmes en soirée. […] Cet étudiant est désormais interne…"
Une étudiante en médecine de Limoges et membre d'Emma Auclert, qui a préféré garder l'anonymat, indique par téléphone que le collectif a réclamé "une enquête ministérielle" sur la façon dont a été gérée l'affaire Nicolas W. par les doyens et l'université. "Il y a beaucoup de zones d'ombre, une omerta totale", abonde la Dre Zoé. Il faut "des réponses claires sur ce cas précis, mais on veut poser la question institutionnelle et systémique. Ce cas individuel, c'est l'arbre qui cache la forêt", assure la militante. "Est-ce que le fait de déplacer les agresseurs de fac en fac est une pratique courante ? Y a-t-il des méthodes institutionnelles de protection des agresseurs ?", questionne la généraliste, inquiète.
"La directrice de cabinet a admis de gros dysfonctionnements dans l'affaire Nicolas W. par les universités puisque des procédures disciplinaires auraient dû être entamées dès 2020. […] Ils bossent dessus et ne laisseront pas passer ce cas", rapporte l'étudiante anonyme de Limoges. Selon elle, le collectif Emma Auclert devrait être mis en contact avec le ministère de l'Enseignement supérieur pour discuter de l'affaire Nicolas W. "et des mesures disciplinaires en général" qui peuvent être mises en place. "La multiplicité des voies de recours contre les agresseurs (judiciaires, disciplinaires, ordinales), qui pourrait être une chance pour les victimes, se retrouve à être un frein parfois parce que les compétences de chacun sont mal comprises."
Le collectif demandait également la mise en place d'un groupe de travail multidisciplinaire sur la question des violences sexistes et sexuelles. Il a obtenu d'être convié à une réunion de travail avec d'autres associations de soignants et d'étudiants le 7 juin. "On a l'impression qu'il est en train de se passer quelque chose", se félicite l'étudiante membre d'Emma Auclert. "On ne sait pas sur quoi ça va aboutir mais on a peut-être une chance que la prise en compte de ces questions s'améliore". L'espoir est aussi partagé par la Dre Zoé. "Pour ce qui concerne ma spécialité, on commence à s'emparer de ces sujets […] J'ai l'impression que ça avance. Il faut que ça bouge. Il ne faut pas seulement des paroles mais des actes concrets."
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