"Le pass sanitaire doit être abandonné" : ce généraliste explique pourquoi il faut rendre la vaccination contre le Covid obligatoire pour tous

22/09/2021 Par P.M.
Politique de santé

Alors que le Gouvernement a fait le choix de l’extension du pass sanitaire couplée à une vaccination ciblée pour contenir l’épidémie, le groupe Socialiste, écologiste et républicain au Sénat penche pour une autre solution : la vaccination obligatoire généralisée. Il a déposé, fin août, une proposition de loi visant à l’instaurer. Explications avec le Dr Bernard Jomier, généraliste, sénateur de Paris, qui vient d’être nommé rapporteur du texte.   Egora.fr : Comment avez-vous accueilli votre désignation comme rapporteur de la proposition de loi “instaurant la vaccination obligatoire contre le Sars-CoV-2”, le 15 septembre dernier ? Quelles sont vos missions ? Dr Bernard Jomier : Elle ne m’a pas surpris (rires) ! Je suis cosignataire de cette proposition de loi. En tant que rapporteur, je vais procéder à des auditions d’un certain nombre de personnes, venant tant du champ de la santé publique que du champ des libertés et des droits de l’Homme. Il s’agit de les entendre pour savoir ce qu’elles pensent de cette proposition d’obligation générale. Les auditions auront lieu dans les quinze jours, trois semaines à venir. Je ferai ensuite un rapport à la commission des affaires sociales, le 6 octobre, qui se prononcera. Ce premier vote est indicatif puisque, de toute façon, la loi arrivera en séance publique le 13 octobre. Là, mes collègues pourront se prononcer sur le texte.

  Vous inscrivez cette obligation vaccinale généralisée contre le Covid-19 dans un héritage… Ce texte s’insère dans l’histoire de la lutte contre les maladies infectieuses et l’histoire de l’obligation vaccinale. Il n’y a rien de nouveau à ce qu’une obligation soit décidée. C'est-à-dire à ce que soit arbitrée la nécessité de l’engagement de chacun dans une démarche de protection collective. Il y a derrière l’idée de la place qu’on accorde aux enjeux collectifs de la protection et à l’intérêt général, en complément - je ne dis pas opposition ! - d’une démarche individuelle de protection de soi-même et de ses proches immédiats. Cette idée très ancienne a été reprise il y a quelques années par Agnès Buzyn quand elle a proposé d’étendre la vaccination obligatoire des nourrissons à 8 autres vaccins. Cela a fait l’objet de débats au sein de l’hémicycle et j’ai personnellement défendu la position de l’alors ministre de la Santé. Aujourd’hui, on manque encore de recul, mais les données disponibles montrent une progression du niveau de vaccination des enfants, qui était pourtant déjà élevé. Avec cette proposition de loi de vaccination obligatoire universelle contre le Covid, le groupe socialiste, écologiste et républicain a choisi, dès juillet, de faire le même arbitrage, de mettre au premier plan la protection collective. Car, si la France a franchi le cap des 50 millions de vaccinés, l’enjeu est aussi de gagner quelques points de vaccination supplémentaires, parce que ceux-ci peuvent être déterminants dans la réduction de la circulation du virus.

  Comment le groupe socialiste, écologiste et républicain au Sénat en est-il arrivé à déposer cette proposition de loi ? Le premier juillet, la mission d’information sur le Covid-19 du Sénat [qu’il préside, NDLR] a rendu des recommandations. Elle a ainsi notamment expliqué qu’il fallait ouvrir le débat sur une vaccination obligatoire de l’ensemble de la population. En commençant par les adultes, la tranche des 25-60 ans, parce qu’à ce moment-là, c’était la tranche la moins vaccinée, celle qui contribuait le plus à la circulation du virus. Or le chef de l’Etat a fait le choix de l’extension du pass sanitaire, qui est une obligation vaccinale masquée. Certains ont estimé que le choix du pass sanitaire était...

suffisant. D’autres ont au contraire considéré que le nombre de non vaccinés était encore trop important, qu’il maintenait une circulation virale et donc qu’il fallait un moyen de l’abaisser encore davantage. Le débat s’est donc poursuivi. Pour qu’une proposition de loi arrive à l’ordre du jour, la mécanique parlementaire veut qu’un groupe politique l’inscrive. C’est ce qu’a fait le groupe socialiste, écologiste et républicain fin août. Mais je pense que les débats montreront que les approches sur la vaccination transcendent les groupes politiques.   Quels sont les atouts de cette solution, par opposition à celle du pass sanitaire assorti d’une obligation vaccinale ciblée ? L’obligation vaccinale universelle contre le Covid-19 [sauf contre-indication, NDLR], c’est une mesure simple, lisible, compréhensible par tous. L’enjeu est clairement posé : faire société contre le virus, l’affronter ensemble. Cette mesure place aussi l’Etat face à ses responsabilités, c’est-à-dire qu’en miroir, l’Etat a un devoir de mise à disposition de la population (cela passe par la gratuité, la mise en place de dispositifs pour aller vacciner des populations éloignées des circuits de soins habituels). Nous avons préféré cette solution de l’obligation vaccinale pour tous à celle du pass sanitaire dans les actes de la vie quotidienne. La mission d’information a défendu le pass sanitaire pour les grands événements culturels, mais pour ce qui est de la vie quotidienne, il nous semblait que le pass risquait de créer une fracture entre les Français, de les diviser. D’opposer ceux qui ont le pass et ceux qui ne l’ont pas. Ceux qui ont été obligés de se faire vacciner et les autres, parce qu’évidemment le pass sanitaire a été complété par des obligations vaccinales ciblées. Pourquoi telle profession et pas une autre ? Donc la logique du pass sanitaire nous a semblé moins productive, moins intéressante.

  Opter pour cette obligation… rentre dans le cadre d’une politique de santé publique ? C’est une question difficile. De manière générale, en santé publique, une obligation est rarement un bon outil. Moi je souscris tout à fait à l’adage : “Il vaut mieux convaincre que contraindre”. Tous ceux qui s’intéressent à la santé publique en sont, je pense, absolument convaincus. Néanmoins, une règle générale ne signifie pas qu’il n’y a pas d’exception. Je pense que l’obligation universelle de vaccination contre le Covid-19 est une mesure juste, compréhensible, en vue d’augmenter encore la proportion de personnes vaccinées, de restreindre davantage encore l’espace de circulation du virus.   Une obligation vaccinale pour tous serait-elle à même, selon vous, de convaincre les réfractaires ou c’est peine perdue ? Est-ce que l’obligation générale créerait les mêmes tensions [que le pass sanitaire et l’obligation ciblée] ? Bien sûr. Est-ce qu’une partie de la population s’y opposerait ? Probablement. Mais on ne renonce pas pour autant à une obligation quand il y a un intérêt collectif qui est au-dessus, supérieur. Je ne connais aucun discours susceptible de convaincre les réfractaires absolus, qui représentent moins de 10% de la population générale et 2% des soignants. Parce que chez ces personnes, le vaccin n’est plus évalué pour ce qu’il est. Il sert d’objet transitionnel, c’est devenu le vecteur de bien d’autres choses : d’une contestation politique, d’une contestation de nos institutions…

Le vaccin est pour eux une occasion de tenter une exploitation politique. Les scientifiques ne peuvent pas répondre à ça. Vous n’arriverez jamais à ce que des données scientifiques prouvées, établies et solides soient acceptées par des personnes qui placent le débat sur un autre terrain. Est-ce que l’obligation vaccinale les convaincra davantage ? Non bien sûr, j’en ai parfaitement conscience. Mais je ne suis pas sûr que la ligne actuelle soit particulièrement efficace en la matière. La question avec cette proposition n’est pas d’atteindre ces quelques % minoritaires. La question, c’est : comment on dit à la société que, les 95% atteignables, on va faire front ensemble contre le virus ? La question, c’est aussi préparer la suite.   C’est-à-dire ? Deux choses m’inquiètent : 1) En métropole, le fait que les jeunes puissent continuer à se contaminer et à développer - même si c’est rare - des formes graves. On en est à une dizaine de décès chez les enfants, dont 6 sur cette 4e vague, ce qui paraît très peu, mais ce n’est pas acceptable. Et des enfants développent des formes longues de la maladie. A cela s’ajoutent les conséquences sur les écoles, le fait que le virus continue de circuler, ce qui pose le risque d’apparition de nouveaux variants. 2) La situation dans les territoires ultramarins : la cinquième vague peut y être identique à la quatrième. Je pense notamment aux Antilles, où le nombre de morts est extrêmement élevé, où la saturation du système de soins a été totale, à tel point qu’il y a eu des phénomènes importants de tri des patients.

  Le risque, avec cette obligation pour tous, n’est-il pas de renforcer le discours sur la “dictature sanitaire” ? Je n’accepte pas cette expression. Ce ne sont pas des médecins qui dirigent dans notre pays. Ce sont des élus. Qui ont pris des décisions en fonction de données scientifiques. Ces décisions visaient à se protéger collectivement des ravages d’un virus. Ceux qui utilisent cette expression nient la réalité, la gravité de l’épidémie, les 120 000 morts dans notre pays depuis le début de l’épidémie et le fait qu’il y aurait pu y en avoir trois à quatre fois plus. Ce sont eux qui disent : “Mais non, les hôpitaux ne sont pas saturés”, “mais non, il n’y a pas tant de morts”... Derrière ce propos, il y a une ligne politique. Celle de dire : “Nous ne sommes pas en démocratie” et de tenter, à partir de là, de fracasser nos institutions, d’imposer un régime qui, lui, ne serait pas démocratique. Je ne suis pas dupe de ces luttes politiques. Je ne suis pas dupe de cette instrumentalisation du virus et du vaccin au profit d’une lecture politique qui est clairement celle de l’extrême-droite. Je le vis, j’y suis confronté.
  Vous avez vous-même en effet été la cible de menaces… Pas plus tard que vendredi. J’étais à mon cabinet, comme tous les vendredis. Et j’ai reçu un courrier avec une photo. Il y avait une cible à la place du cœur, avec un mot : “On n’oubliera pas”. Le secrétariat est assailli d’appels, de menaces diverses et variées. Je suis aussi menacé sur les réseaux sociaux. Je le regrette, je trouve que c’est une désagrégation démocratique. Mais encore une fois je ne suis pas dupe : ceux qui soufflent sur ces braises-là veulent déstabiliser notre démocratie. Ce sont des fans des régimes autoritaires. Face à cela, un collectif de médecins, de scientifiques, a décidé de se révolter. Moi-même j’ai posé une question écrite [n° 23282, sur le harcèlement des porteurs de la parole scientifique] aux ministères concernés au mois d’avril, qui est restée sans réponse. Le président du Sénat, Gérard Larcher, à la suite de menaces ciblant des sénateurs, a déposé plainte… Mais n’oublions pas que la véritable argumentation, elle se tient sur nos valeurs collectives, notre démocratie, sur le respect de nos institutions politiques, sanitaires…

  Avez-vous des références de territoires qui ont une expérience réussie de vaccination obligatoire généralisée ? Cette obligation, elle est légitime. Et ce qui est intéressant, c’est d’observer la situation en Nouvelle-Calédonie. Là-bas, les élus ont décidé, localement, l’obligation vaccinale [pour tous les adultes, y compris les touristes, NDLR]. Et la courbe de la vaccination a immédiatement grimpé en flèche. Cela montre qu’à partir du moment où des autorités politiques envoient un message, il y a un effet. Si, en juillet, le chef de l’Etat avait dit : “Il y aura une obligation vaccinale”, ça aurait eu le même impact, probablement, sur la courbe des vaccinations [que le pass sanitaire et l’obligation ciblée]. Mais si la première est une mesure qui...

de notre avis, est plus respectueuse de l’intérêt collectif, la seconde est une mesure qui crée malheureusement plus de dissensus dans la société et qui affirme moins fort, moins clairement, les valeurs qu’elle défend.   La combinaison pass sanitaire et obligation vaccinale ciblée semble néanmoins avoir porté ses fruits : la France compte plus de 50 millions de vaccinés, l’épidémie recule, les manifestations antivax et anti-pass sont de moins en moins fournies… À tel point que l’exécutif réfléchit à un allégement des restrictions. Cette proposition de loi, de fait, n’est-elle pas anachronique ? 50 millions de Français ont en effet été vaccinés, cela dit bien qu’au fond, les gens ont compris l’intérêt du vaccin. Après, dans un pays, on doit avoir des règles claires. Est-ce qu’on va encore continuer avec le pass sanitaire pendant des mois et des mois ? Moi je pense que ce dispositif doit être abandonné, parce qu’il est, au fond, très attentatoire aux libertés. Cela peut s’accepter dans certaines circonstances. Mais la situation actuelle est la suivante : le virus régresse fortement, donc ces mesures restrictives des libertés vont perdre en légitimité et devoir être arrêtées. Dès lors, que dit-on aux 10 millions de Français non encore vaccinés ? “Faites comme vous voulez”, alors que les autres 50 millions ont fait un effort et accepté la règle commune ? Parce que vous contestez une règle commune...on ne vous l’applique pas ? Maintenant qu’on a plusieurs dizaines de millions de vaccinés, on s’arrête là ? On continue le pass sanitaire tant que 150 personnes ne sont pas vaccinées dans le pays ? Quelle serait la cohérence…   Justement… D’un côté le Gouvernement se penche notamment ce mercredi en conseil de défense sur une adaptation du pass sanitaire à la situation locale. Mais il ne compte pas pour autant l’arrêter pour le moment. Un projet de loi est même en préparation pour le proroger au-delà du 15 novembre. Selon vous, c’est une erreur ? C’est un vrai débat. D’ailleurs je note qu’il sera présenté au Conseil des ministres le 13 octobre… soit le même jour que notre proposition de loi au Sénat. Moi, je crois que la logique du pass sanitaire doit être remplacée par cette mesure, l’obligation universelle, générale, de vaccination. Qui, encore une fois, est simple, égale, lisible pour tous, dit nos valeurs communes. De toute façon, il va falloir, progressivement, lever la logique du pass sanitaire, qui restreint nos actes de la vie quotidienne.

  Qu’espérez-vous de la séance publique du 13 octobre sur l’obligation généralisée ? Je souhaite que le débat ait lieu, qu’il soit clairement mis sur la table. Quelles sont les alternatives ? Le Gouvernement nous a dit quel était son choix, quasiment. Je ne sais pas quelle position il prendra sur l’obligation universelle, mais il projette déjà de prolonger le pass sanitaire au-delà du 15 novembre… On est le 20 septembre, ça veut donc dire qu’il restait déjà deux mois de pass, et il propose déjà un projet pour le proroger… Pourquoi ? Parce que quelques millions de personnes ne sont pas vaccinées. Moi je pense que ce choix n’est pas le bon. Mais que le débat ait lieu ! Après, évidemment, il y en aura toujours qui ne voudront rien : pas de vaccination, pas de pass… Mais ceux-ci portent un combat qui dépasse la lutte contre le virus.     À moins d’un an de l’élection présidentielle, c’est important que les formations politiques se positionnent sur ce sujet ?   Ce que je peux vous dire, c’est qu’il est bon que les mouvements politiques précisent leur pensée sur cette question de l’intérêt collectif, de l’intérêt général, des libertés individuelles et du choix de chacun. Que ceux qui défendent l’individualisme précisent les limites qu’ils posent à celui-ci. Et que ceux qui souhaitent défendre un intérêt collectif, un intérêt général, expliquent comment celui-ci s’articule avec le choix de chacun, parce que c’est tout aussi important. Donc moi je trouve très salutaire que les différentes forces politiques précisent leur vision de l’intérêt de la société. Je trouve cela très sain.

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