Indus du Dipa : "On est traités comme des délinquants", dénonce un généraliste débouté par la justice
Sommés de rembourser 4 000 euros d'indus au titre de l'acompte du dispositif d'indemnisation de la perte d'activité (Dipa) du premier confinement, le Dr Richard Talbot et son épouse avaient décidé de saisir la justice à la fin de l'été 2021. Quatre ans après, la décision vient de tomber. Le généraliste de la Manche témoigne.
"J'ai perdu. […] Je paierai. Mais j'ai encore moins envie de faire des efforts pour une institution qui maltraite ainsi ses médecins et reprend d'une main ce qu'elle leur a donné de l'autre." Dans un message posté le 5 août sur le réseau social X, le Dr Richard Talbot ne cache pas son amertume. Quatre ans après avoir entamé une procédure contre la CPAM de la Manche, la justice vient de donner raison à la caisse. Celle-ci réclamait au généraliste de Saint-Hilaire-du-Harcouët 2 500 euros d'indus au titre de l'acompte du dispositif d'indemnisation de la perte d'activité (Dipa) déployé pendant la crise sanitaire, et 1 500 euros à son épouse, également médecin.
#DIPA
J’ai perdu
Je n’irai pas en appel
Je ne commenterai pas le décision de justice.
Je paierai
Mais j’ai encore moins envie de faire des efforts pour une institution qui maltraite ainsi ses médecins et reprend d’une main ce qu’elle leur a donné de l’autre.— Richard Talbot (@RichardTalbot9) August 5, 2025
Pour rappel, le Dipa avait été mis en place par la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), par une ordonnance du 2 mai 2020, afin de permettre aux soignants libéraux (pas seulement les médecins) de faire face à leurs charges fixes sur la période allant du 16 mars au 30 juin 2020. Les demandeurs avaient la possibilité de réclamer une avance allant jusqu'à 80% du montant provisoire de l'aide. Plus de 200 000 professionnels de santé avaient ainsi reçu un acompte, versé entre mai et juillet 2020. Mais à la suite de la parution tardive (décembre 2020) du décret établissant le mode de calcul du Dipa, des dizaines de milliers de soignants s'étaient vu réclamer des indus, dont plus de 25 000 médecins libéraux.
C'est le cas de Richard Talbot et de son épouse. "J'ai fait une réclamation amiable, qui a été refusée. Je suis passé par la commission de recours amiable, ça a été encore refusé", relate le syndicaliste de la FMF, joint par Egora. Déterminé à aller jusqu'au bout, le généraliste avait décidé, au cours de l'été 2021, de saisir la justice. Après plusieurs renvois, le tribunal a donc statué en faveur de la CPAM de la Manche. La décision, le médecin de Saint-Hilaire-du-Harcouët l'a apprise "en partant en vacances". "On savait que ça allait se finir comme ça : c'est plus une question de principe qu'autre chose", confie le praticien, précisant qu'il ne fera pas appel.
"Le fait de nous prendre dans la figure 'vous avez triché, vous avez déclaré n'importe quoi pour avoir des sous et maintenant il faut nous les redonner', ça passe très mal", poursuit le généraliste, qui dénonce le changement du mode de calcul de cette aide en cours de route. Les syndicats avaient notamment dénoncé la non prise en compte dans le revenu de référence 2019 des rémunérations forfaitaires alors que, l'assurent-ils, cela avait été au départ annoncé verbalement par l'Assurance maladie. "On avait un accord et puis 30 décembre 2020 on nous sort un décret qui modifie les modes de calcul, ce qui n'est déjà pas terrible, et le calcul lui-même n'a pas été respecté par les caisses", explique Richard Talbot.
"C'était plié depuis la décision du Conseil d'Etat"
Pour le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, en charge de la cellule juridique de la Fédération des médecins de France (FMF), la décision de justice dans l'affaire du Dr Talbot contre la CPAM de la Manche n'est "pas une surprise". "Pour moi, c'était plié depuis la décision du Conseil d'Etat", indique le médecin qui a suivi environ 80 dossiers Dipa. "On avait contesté [les indus] avec un certain nombre d'arguments, les juges des pôles sociaux des tribunaux judiciaires nous avaient suivis dans un certain nombre de départements […] jusqu'au jugement de Privas, en Ardèche, qui [concernait] une kiné, où le juge du tribunal judiciaire a saisi le Conseil d'Etat", rappelle le syndicaliste.
La plus haute juridiction administrative a déclaré, fin juin 2024, que l'exception d'illégalité de l'ordonnance du 2 mai 2020, qui a institué le Dipa, n'était "pas fondée", de même que les exceptions d'illégalité du décret du 30 décembre 2020. "Si, afin de soutenir rapidement les professionnels de santé, il a été prévu […] que l'aide serait versée sous forme d'acomptes, il était également spécifié que la Caisse nationale de l'Assurance maladie, une fois le montant définitif de l'aide arrêté, procéderait s'il y a lieu au versement du solde ou à la récupération du trop-perçu au plus tard le 1er juillet 2021", peut-on lire dans la décision consultée par Egora.
"Il s'ensuit que les acomptes d'aide versés avant l'intervention du décret du 30 décembre 2020 l'ont été à titre provisoire, ce que ne pouvaient ignorer les professionnels de santé en ayant bénéficié. Par suite, ce décret, en dépit du fait qu'il est venu préciser les modalités de calcul de l'aide plusieurs mois après les versements d'acomptes et sans reprendre à l'identique les critères retenus à titre provisoire pour ces versements, ce qui a conduit à des récupérations de trop-perçus, n'a pas porté une atteinte excessive aux intérêts des professionnels concernés par ces régularisations et n'a méconnu aucune espérance légitime de bénéficier d'une aide d'un montant supérieur."
Sur les 80 dossiers que Marcel Garrigou-Grandchamp a pris en charge, 60 environ ont été repoussés du fait de la saisine du Conseil d'Etat. Ils doivent donc encore être examinés par la justice. "Mais je les considère comme perdus", admet le syndicaliste. "A partir du moment où vous avez une décision du Conseil d'Etat qui dit que tout est parfait, c'est logique que les médecins soient déboutés", explique le responsable de la cellule juridique de la FMF. Et de fustiger : "Il n'y a qu'aux professionnels de santé qu'on réclame des remboursements des avances. Il y a un certain nombre de restaurateurs qui ont fait du prêt à emporter pendant cette période [de crise sanitaire], on ne leur a pas déduit des aides qu'on leur a accordées."
"On a travaillé, la secrétaire est venue au cabinet, il a fallu qu'on la paie, on a eu du mal à payer les charges. Mais on a rattrapé après, ce n'est pas le problème. Ce n'est pas pour faire pleurer dans les chaumières que je dis ça, ce n'est pas une question d'argent, assure Richard Talbot. On en a marre d'être traités comme des délinquants et des gens qui ne cherchent que l'argent… C'est un sentiment très difficile à vivre…" Également sommé de rembourser un trop-perçu de 1453 euros, le Dr Renaud Miller, généraliste à Bazancourt (Marne), se montre surtout en colère envers les dirigeants du pays : "Ils nous ont laissés au front sans masque, sans rien, et le remerciement qu'on a, c'est ça. C'est scandaleux."
Lui aussi a essuyé un revers, fin 2022, de la part de la justice. "[Les dirigeants] nous font passer pour des délinquants alors que je n'ai fait que remplir le mode d'emploi fourni [par l'Assurance maladie] et, accessoirement, soigné tout le monde pendant qu'ils étaient en confinement", ironise le généraliste contacté par Egora. Pourtant, le médecin assure avoir minoré ce qui avait été proposé comme acompte par la caisse. "Le montant qu'on me sortait me semblait énorme et je ne jugeais pas mon préjudice aussi intense donc j'ai demandé moins." Cela ne l'a pas mis à l'abri de la demande de récupération d'indus. Mais Renaud Miller n'a pas souhaité faire appel : "c'est chronophage, coûteux et sans aucun espoir".
"Ce n'est pas comme ça qu'on va faire venir les médecins vers le libéral…"
"Ce n'est pas comme ça qu'on va faire venir les médecins vers le libéral…", déplore Richard Talbot, las. "On va dans le mur, on a de moins en moins de médecins traitants, et on leur demande de plus en plus de choses. Jusque-là je pouvais encore conserver quelques illusions sur le fait qu'on pouvait faire bouger les choses, dialoguer… Je suis très pessimiste sur l'évolution de la médecine, je ne sais pas ce que ça va donner…" Une inquiétude partagée par Marcel Garrigou-Grandchamp : "Le libéral est devenu intenable. Les jeunes qui sont en stage le voient, ils voient le harcèlement [que subissent les généralistes]", lâche-t-il, évoquant notamment la campagne de MSO/MSAP.
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