Manifestations contre les violences à l'encontre des soignants à Marseille, le 12 mars. Crédit : Sylvain Labaune
"Si un juge se faisait péter le nez, l'agresseur ne ferait pas des travaux d'intérêt général" : les soignants dans la rue contre la violence
Ce mercredi 12 mars, les professionnels de santé libéraux étaient appelés à fermer leur cabinet et à manifester à Paris, Lille et Marseille pour dénoncer "l'impunité" des violences dont ils sont de plus en plus victimes.
Manifestations contre les violences à l'encontre des soignants à Marseille, le 12 mars. Crédit : Sylvain Labaune
"Si on est là aujourd'hui, c'est parce que les soignants sont en danger. Et quand les soignants sont en danger, les patients aussi", attaque d'entrée le Dr Saïd Ouichou, entouré ce mercredi matin de représentants des médecins, des infirmières libérales ou encore des kinés. Tous sont "unis" pour dénoncer l'escalade de violences à l'encontre des soignants. Tous sont écœurés par la condamnation, jugée trop clémente, prononcée à l'encontre de l'agresseur du Dr Mohamed Oulmekki, généraliste de Drancy (Seine-Saint-Denis). "Si un juge s'était fait péter le nez, l'agresseur ne serait pas en train de faire des travaux d'intérêt général", lâche le Dr Jean-Paul Hamon, président d'honneur de la FMF. "Le message envoyé par cette condamnation c'est 'allez-y, vous pouvez continuer à taper les médecins'", renchérit son confère de l'UFML, le Dr Philippe Pizzuti.
En cette journée européenne de lutte contre la violence dans les soins de santé, le Collectif du 12 mars ne veut plus se contenter de mots, mais réclame des actes. Alors que 23 489 violences à l'encontre de soignants ont été déclarées en 2022 – "la face visible de l'iceberg", soulignent-ils, le plan interministériel dévoilé en septembre 2023 à la suite d'une vaste concertation associant tous les professionnels de santé est en grande partie resté lettre morte. Une campagne de sensibilisation a bien été lancée, mais elle reste insuffisante, dénonce le collectif.

Quant à la proposition de loi Pradal qui durcit les peines en cas de violences commises contre les soignants de ville, étend aux professionnels de santé le délit d'outrage et permet à un employeur ou un organisme "représentatif" de porter plainte pour le compte d'une victime (et éviter ainsi qu'elle ne dévoile son adresse personnelle), elle a fait les frais des remous politiques. Votée le 15 mars 2024 à l'Assemblée nationale, elle devrait être examinée au Sénat en mai prochain, s'est engagé ce mercredi le Gouvernement.
Pour le collectif, l'enjeu est notamment d'encourager et de faciliter le dépôt de plainte. "Le gros problème, c'est que la plupart des soignants ont peur de porter plainte", confie la Dre Aurore Baudouin-Haloche, généraliste dans le 7e arrondissement de Marseille, venue manifester contre les violences. Cela aboutit à une sous-estimation des violences à notre encontre." La banalisation du phénomène, l'empathie dont fait preuve le soignant pour son patient "en crise", le manque de temps sont également en cause. "Pour une atteinte à la personne, on est obligé de se déplacer, souligne la Dre Natacha Regensberg de Andreis, secrétaire générale adjointe de l'URPS-médecins d'Ile-de-France et membre de l'UFML. Et quand c'est une agression verbale, parfois on nous oriente vers une main courante", déplore-t-elle.
Des protocoles santé-sécurité-justice ont bien été signés dans chaque département, permettant de notamment de désigner des référents au sein des parquets et des forces de l'ordre, mais ils nécessitent d'être fréquemment "relancés" car "les gens changent", relève le Dr Jean-Jacques Avrane, président de l'Ordre des médecins de Paris et délégué de l'Observatoire de la sécurité des médecins. "Nous avons envoyé un courrier aux ministères de l'Intérieur et de la Justice pour leur rappeler l'importance de ces protocoles."
Présidente de l'Onsil, Diane Braccagni Désobeau pointe de son côté la "vulnérabilité accrue" des infirmières libérales, qui peuvent se retrouver à la merci d'un patient violent ou de son entourage à domicile. Alors que les Idel sont soumises "à l'obligation de continuité des soins", le syndicat réclame la possibilité de faire valoir un droit de retrait ou de faire intervenir "une équipe" pour poursuivre la prise en charge. En dehors de l'urgence, "un médecin peut tout à fait dire à un patient qu'il refuse de continuer à la suivre, le code de déontologie le permet, précise en revanche Jean-Jacques Avrane. Il est simplement tenu de l'orienter."

Il y a urgence à réagir, clame le collectif. La violence "nuit aux vocations et aux installations", interpelle-t-il. "Les internes que je forme au cabinet, ils ont déjà vu des violences, ce n'est pas très engageant pour leur futur", lance le Dr Olivier Belenfant, généraliste venu d'Enghien (Val-d'Oise) pour manifester à Paris aux côtés d'une dizaine de soignants.
A Marseille, ce mercredi après-midi, plusieurs dizaines de médecins et d'infirmières ont fait le déplacement. Parmi eux, la Dre Tatiana Linck, jeune généraliste exerçant à Saint-Chamas, dans les Bouches-du-Rhône. “Je me suis déjà fait agresser plusieurs fois alors que je viens juste de commencer ma carrière, témoigne-t-elle. Tout dernièrement, un patient a levé la main et a fait mine de me frapper, au motif que je lui avais refusé un rendez-vous. Si des peines un peu plus sévères étaient prononcées contre les agresseurs, il y aurait moins ce sentiment d’impunité chez certains patients."
La violence, la Dre Juliette Hayot n'imaginait pas la subir dans la petite commune provençale dans laquelle elle s'est installée. "J'ai fait sept ans de Samu, on allait dans des quartiers où la police n'allait même plus. Je n'ai jamais eu peur… Depuis vendredi dernier, je ne peux plus dire ça", confie-t-elle. Ce soir-là, alors qu'elle sort de son cabinet de Cadolive vers 22 heures au terme de sa garde de PDSA, la généraliste est agressée par un homme armé d'un couteau. "Il voulait ma recette du jour, mais comme les gens paient en carte, je n'avais rien. Physiquement, je n'ai rien eu. Moralement, c'est plus compliqué…" La généraliste a désormais recourt aux services d'un garde du corps pour sécuriser ses gardes en soirée.

“Les violences sont de plus en plus fréquentes”, alerte Reza Hosseini, généraliste dans les quartiers nord de la cité phocéenne. “Je subis des agressions presque toutes les semaines. C’est très difficile, même si la plupart du temps la violence est verbale”, ajoute-t-il. "Il est difficile de les subir sans être atteint psychologiquement, c'est dur de s'endormir le soir. C'est dur d'être à 100% de ses capacités pour soigner le patient suivant, il faut prendre beaucoup sur soi", livre Olivier Belenfant.
Réaffirmant son "soutien indéfectible aux professionnels de santé", le Gouvernement a promis des "mesures concrètes" d'ici à septembre 2025. Il s'engage notamment à accompagner les collectivités "dans le déploiement de dispositifs de protection adaptée" et annonce la création d'un "réseau national des 'référents sécurité'" au sein de chaque ARS.
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Nathalie Hanseler Corréard
Oui
Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus