Groupe de pratique

Le groupe de pratique de Chantepie s'est réuni le 24 juin (crédit : Louise Claereboudt)

"Dis-moi ce que tu prescris, je te dirai qui tu es" : immersion au sein d'un groupe de pratique entre médecins

C'est un rendez-vous à ne pas manquer. Une fois par mois, les généralistes de Chantepie, en Ille-et-Vilaine, se réunissent pour échanger sur leur pratique, dans une démarche de pertinence des soins, mais aussi évoquer leurs difficultés au quotidien. Un moment entre pairs qui permet aussi de rompre l'isolement. Cette initiative bretonne, née il y a 20 ans, s'apprête à être déployée dans tout l'Hexagone. Egora s'est invité à la dernière réunion de Chantepie avant la pause estivale. Reportage.  

16/07/2025 Par Louise Claereboudt
Reportage
Groupe de pratique

Le groupe de pratique de Chantepie s'est réuni le 24 juin (crédit : Louise Claereboudt)

Une maison en pierres de schiste, non loin de l'église de Chantepie. Au rez-de-chaussée, une auto-école a baissé le rideau ; à l'étage, la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) a installé une salle de réunion. C'est ici que les médecins généralistes de la commune, située en périphérie de Rennes, se donnent rendez-vous une fois par mois pour échanger sur leur pratique. Et ce depuis 2017, date à laquelle est né le groupe qualité de Chantepie.

Retraité de son activité libérale, le Dr Hervé Le Neel en est l'animateur. Engagé syndicalement, le généraliste a participé à l'éclosion des groupes qualité en 2001, sous l'impulsion de l'Union régionale des médecins libéraux (URML) de Bretagne, en partenariat avec l'Assurance maladie et l'ARS. "Il y avait ce double objectif d'initier une démarche qualité et de rompre l'isolement des médecins", explique le sexagénaire, en installant le rétroprojecteur dans la salle de réunion, ce mardi 24 juin.

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L'idée était surtout "d'engager les médecins dans une pratique novatrice, pas seulement quelques-uns", pas seulement les bons élèves. Lorsqu'il a pris la tête de l'URML en 2011, Hervé Le Neel s'est impliqué dans l'expansion des groupes qualité. De trois, on est passé à une dizaine. "J'ai porté la réflexion qu'il fallait qu'on en ait en ville. Au départ, le raisonnement était fondé sur des groupes définis par les cantons de garde. Ce système a volé en éclats en 2002 suite à une longue grève."

Hervé Le Neel a ainsi monté le premier groupe qualité de Rennes, où se trouvait son cabinet de médecine générale. Aujourd'hui, 45 groupes – constitués chacun de 8 à 12 praticiens volontaires – existent en Bretagne, et environ 150 dans l'Hexagone, répartis sur cinq régions (Pays de la Loire, Normandie, Centre-Val de Loire, Hauts-de-France, Bretagne). Mais ces derniers sont voués à se généraliser, puisqu'ils ont été intégrés dans la nouvelle convention médicale, signée au printemps 2024, sous le nom de groupes d'analyse de pratique (GAP).

Il y a un an et demi, encore au cœur du "match", Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), s'était rendu en Bretagne, dans le berceau des groupes qualité. "Il a trouvé ça vachement bien", se rappelle Hervé Le Neel en attendant que les autres membres arrivent. Un appel à projets a depuis été lancé par l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) et l'Assurance maladie pour soutenir leur déploiement, en faveur de "la pertinence des soins".

"Un miroir sur sa pratique" 

Robe fleurie, lunettes violettes, la Dre Marie-France Lepage est la première à arriver à la dernière séance avant la pause estivale. Elle salue Hervé sur un ton amical et s'assied au bout de la table rectangulaire. Le Dr Thierry Labarthe – "le professeur", blague Marie-France – la succède. Président de l'URPS de Bretagne depuis 2021, c'est lui qui a impulsé la création du groupe qualité de Chantepie. Il ouvre les fenêtres battantes de la salle pour faire un courant d'air, prend place à l'autre bout de la table, et entame sa salade froide achetée à emporter. Aujourd'hui, il est le seul représentant de son cabinet, qu'il partage avec trois autres confrères. La fin d'année est chargée ; difficile de libérer un créneau de 2 heures. Les cinq médecins du centre de soins non programmés manquent aussi à l'appel. D'ordinaire, le taux de présence est excellent, assure Hervé Le Neel.

Après l'arrivée des Drs Thieng Nguyen et Laureano Ortega, la séance du jour peut débuter. En juin, elle est traditionnellement consacrée à la restitution des indicateurs, que l'Assurance maladie produit pour permettre aux groupes de mesurer l'impact de leurs actions. Les autres réunions sont dédiées à des thèmes autour de la pratique quotidienne ou de l'organisation professionnelle : prise en charge des adultes en fin de vie à domicile, dépistage des IST et pratiques en termes de PREP, prescriptions d'imagerie…

La restitution des indicateurs est une séance souvent très attendue, car elle permet de "porter une réflexion sur ses pratiques de prescription", explique Hervé Le Neel. Les médecins reçoivent leurs chiffres en amont de la réunion. Puis les données – anonymisées – sont discutées en séance. Les médecins se comparent entre eux, et avec les différents groupes de la région. "Souvent on finit par deviner qui était le médecin 1, le médecin 2", s'amuse Thieng Nguyen. C'en est presque un jeu. 

"Aujourd'hui, on ne parlera que des nouveaux indicateurs bretons, pas des indicateurs traditionnels", annonce d'emblée Hervé Le Neel, dos au mur où sont projetés des tableaux et des graphes. Ils ont été proposés par l'association Apimed, qui organise et soutient les groupes qualité en Bretagne. 

Premier indicateur passé au crible : la part des consultations sans prescription médicamenteuse (hors consultation en ALD). Le groupe de Chantepie affiche une moyenne de 37.3% ; guère plus que le groupe témoin, qui rassemble les généralistes bretons ne faisant partie d'aucun groupe qualité. "On m'aurait demandé combien de patients, en pourcentage, ressortent de mon cabinet sans médicament, j'aurais donné un chiffre beaucoup plus bas. C'est un vrai miroir sur sa propre pratique", lance Thierry Labarthe.

Comment tu fais pour ne pas prescrire d'anti-tussifs ?

"Les groupes qualité ne prescrivent pas forcément moins que les autres", s'étonne le président de l'URPS, les yeux rivés sur les indicateurs, fourchette plantée dans un morceau de mozzarella. "C'est le tableau qui m'a le plus surpris", embraie son prédécesseur, Hervé Le Neel. "Je pense que les chiffres devraient être rapportés à l'âge des patients, je ne sais pas ce que vous en pensez ?", questionne Laureano Ortega. Et de raisonner : "Plus tu as de patients vieux, plus tu as des chances de prescrire quelque chose…"

L'échange se poursuit sur des "produits à éviter". "La nouvelle livraison est intéressante : elle [cible] des médicaments d'usage courant, mais qui ne sont pas forcément dénués d'inconvénients. Ce sont des prescriptions habituelles, routinières, qui méritent de s'interroger", explique l'animateur de la séance, en faisant défiler le Powerpoint sur la page "délivrance des anti-émétiques". Et de glisser en notre direction : "C'est la revue Prescrire qui fournit la boussole ici."

Crédit : Louise Claereboudt

"On n'est pas forcément top là-dessus", concède Thierry Labarthe, en visionnant les résultats du groupe de Chantepie par rapport aux autres groupes bretons. "Oui, on est au-dessus de la moyenne, on fait plus de prescriptions d'anti-émétiques", observe Hervé Le Neel. "Pareil pour les anti-diarrhéiques", ajoute-t-il. La main dans les cheveux, Marie-France Lepage est perplexe : "Je ne comprends pas bien les chiffres avancés." "Il y a quelque chose qui cloche", concède Hervé Le Neel. Mais "ça n'enlève rien à la réalité du sujet". "Oui, toujours est-il qu'on en prescrit plus que la région", acquiesce Marie-France Lepage. 

"Moi, je dis à mes patients qu'il ne vaut mieux pas prendre de médicament, style Vogalène, que ça va partir tout seul. Par contre, à chaque fois qu'il y a des diarrhées virales, je mets un générique de Tiorfan. J'ai du mal à ne pas en donner", confie la généraliste. "Moi, j'ai l'impression que je ne donne plus jamais d'anti-émétiques aux enfants. Il serait intéressant de faire un sous-tableau pédiatrique et non pédiatrique. Et qu'on nous donne les résultats en nombre absolu de prescriptions. Il faut qu'on fasse une remontée", insiste Thierry Labarthe. Marie-France Lepage se saisit de la fiche de suivi. Chaque remarque est consignée et transmise à l'Assurance maladie. 

"Ah là le médecin 3 est vraiment très bon !, s'exclame Thierry Labarthe en regardant Laureano Ortega quand apparaît le tableau sur les prescriptions d'antitussifs. Ça y est on en connaît un !" "Dis-moi ce que tu prescris, je te dirai qui tu es", commente sa voisine, Thieng Nguyen, amusée. "Alors Laureano, comment tu fais pour ne pas prescrire d'antitussifs ?", interroge "le professeur". "Je leur dis de prendre de l'eau. Tu l'écris sur l'ordonnance", répond le généraliste qui exerce seul. Et de poursuivre : "Il faut surtout convaincre." "Moi j'en donne, sinon les patients reviennent. Certains sont un peu agressifs parce qu'ils ne dorment pas. T'as beau leur avoir expliqué qu'il faut 3 semaines pour guérir un épithélium bronchique..."

A l'échelle des groupes qualité bretons, Chantepie n'est pas – comme il en a pourtant l'habitude – dans les meilleurs. "Mais on vient juste de commencer [à étudier] ces indicateurs", relativise Marie-France Lepage. "Moi je vois les IPP, les réunions m'ont permis de moins prescrire ; peut-être que dans un an on aura de bonnes notes", sourit la praticienne. "Après, ça ne veut pas dire que la prescription est bonne ou pas bonne, ça dépend aussi des patientèles, de ce que l'on fait", nuance Thierry Labarthe.

"Un petit côté cocorico"

Nouveauté de cette année, plusieurs indicateurs relèvent de la prise en charge de la santé mentale. Comme le nombre de cotations d'ALQP003 (test d'évaluation d'une dépression). Là, Chantepie est bon. "Vous prenez quoi comme échelle, Hamilton ?", demande Marie-France Lepage. Thierry Labarthe fait oui de la tête. "Mais vous faites cette cotation depuis combien de temps ? Moi pas longtemps…" Et son confrère de répondre : "Des années !" "Il est préférable d'avoir fait des cotations ALQP003 avant la mise en place d'un traitement antidépresseur", conseille Hervé Le Neel. 

"Le médecin 3 [lui-même], il passe du temps mais il ne cote pas", plaisante Laureano Ortega, provoquant des rires dans la salle de réunion, décorée de tableaux peints par le biologiste de la ville. "Il faudrait que tu fasses plus d'ALQP003", le taquine Thierry Labarthe, quelques instants plus tard quand apparaissent les résultats de délivrance des anxiolytiques et hypnotiques, pour laquelle le médecin 3 est, cette fois, le plus fort prescripteur du groupe. 

L'horloge tourne et chacun s'apprête à retourner vaquer à ses occupations. "Bon, alors c'est la première fois qu'on voyait ces indicateurs. Je trouve que c'est quand même un peu ardu", estime Hervé Le Neel. "C'est quand même intéressant parce que c'est de la pratique courante", souligne Thierry Labarthe. "Je pense que ça va avoir un impact malgré tout… Moi j'ai notamment retenu les anti-tussifs." "Moi je pensais que je ne prescrivais pas de décongestionnant. Ça fait réfléchir", confie à son tour Marie-France Lepage.

"On va toujours réfléchir en sortant d'ici, à chaque fois qu'on posera nos mains sur notre clavier", affirme Thierry Labarthe. "On ne fait pas toujours bien ; le tout c'est de se rapprocher des bonnes pratiques." Et le Dr Ortega d'ajouter : "Si on fait des conneries, autant qu'on nous le dise et derrière on améliore." Selon Hervé Le Neel, cette "démarche réflexive" porte ses fruits. "On continue de s'améliorer sur les prescriptions d'IPP alors qu'on n'en a pas parlé depuis longtemps", observe l'animateur. "Qu'on se le dise, on a aussi un petit côté cocorico. On est contents de se dire qu'on s'améliore sur plein d'items sur l'année et d'être dans les groupes de tête", reconnaît Thierry Labarthe.

C'est aussi, pour ces médecins, un peu un moment suspendu, privilégié, entre pairs, que l'exercice libéral ne leur permet pas toujours d'avoir. "On remet du lien humain", indique le fondateur du groupe. "C'est comme des patients qui sortent de chez nous en disant 'ça m'a fait du bien de vous parler docteur'."  

Quel impact financier pour l’Assurance maladie ?

L'impact financier des groupes qualité a été évalué en 2014 en Bretagne. Le coût moyen standardisé des prescriptions de pharmacie a été comparé entre un groupe témoin non engagé dans la démarche groupe qualité et l’ensemble des groupes qualité bretons. Pour le groupe témoin, ce coût s'élevait à 215,18 euros par patient, contre 184,75 euros par patient pour les médecins du groupe qualité.

"On peut estimer que si les 340 médecins des groupes qualité bretons avaient prescrit de la même façon que leurs confrères du groupe témoin, le coût de leurs prescriptions aurait été supérieur de 9 186 729 euros pour la période évaluée", écrit la Fédération française des groupes qualité sur son site. Ainsi pour 1 euro dépensé dans le projet groupe qualité, ce sont 15 euros qui n’ont pas été engagés par l’Assurance maladie."

La fédération souligne qu'une étude financière menée en Normandie en 2017 "aboutit aux mêmes conclusions". "L’économie ou la 'moindre dépense' réalisée par les médecins des groupes qualité sur un an est estimée à 4 700 000 euros pour la pharmacie et la biologie", lit-on.

Photo de profil de Michel Rivoal
9,5 k points
Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 2 mois
Très intéressante cette démarche et l'on voit tout de suite et son côté ardu, et certaines critiques acerbes. Le plus difficile est de trouver des référentiels dans les prescriptions (la référence à P
Photo de profil de MICHEL OSMIN COUGEU
195 points
Médecine générale
il y a 2 mois
Je pensais que les groupes "qualité" ou groupes de pairs existaient et fonctionnaient depuis longtemps. Ce qui est intéressant dans votre démarche si spontanée, c'est que vous formalisez et en outre
Photo de profil de Emmanuel BUTHIAU
261 points
Incontournable
Pédiatrie
il y a 2 mois
Qu'est ce que ces médecins "de qualité" soignent? Des malades ou les comptes de la Sécu?? C'est cela l'EPU maintenant?? Ca sent bon la bureaucratie...
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