Tristesse

"J'ai dû porter plainte 4 ou 5 fois, mais ça n'a servi à rien" : victimes d'agressions, des médecins généralistes témoignent

Ce mercredi 12 mars, les médecins libéraux mais aussi les pharmaciens, kinés, infirmiers et psychomotriciens sont appelés à se mobiliser contre les violences faites aux soignants. Des manifestions sont organisées à Marseille et Paris. La date n'a pas été choisie au hasard puisqu'il s'agit de la journée européenne contre la violence dans les soins de santé. Le Dr Saïd Ouichou, à l'origine de la mobilisation, ainsi que d'autres praticiens témoignent pour Egora de ces violences subies au cabinet.  

11/03/2025 Par Sandy Bonin
Témoignage Violence
Tristesse

"On a tenté de mettre le feu dans mon cabinet"

Témoignage du Dr Saïd Ouichou

"Dans notre profession il y a toujours pu avoir des mécontentements. Quelqu'un qui claque une porte ou qui fait un geste déplacé d'énervement, mais cela a toujours été anecdotique. Une à deux fois dans l'année maximum. Mais depuis quatre ou cinq ans, c'est devenu de plus en plus fréquent et violent. Les gens sont devenus exigeants. Exigeants pour être reçus tout de suite mais aussi pour avoir ce qu'ils veulent, que ce soit un médicament, un arrêt de travail ou un examen. Ils arrivent avec la prescription qu'ils souhaitent et le délai auquel ils désirent être vus, sans tenir compte des patients présents dans la salle d'attente. 

Il y a un égoïsme violent qui s'exprime donc de plus en plus. J'ai vu ces comportements arriver et je peux dire qu'à compter de 2022, j'ai eu des soucis au moins une fois par semaine. Quand je rentrais à la maison, mes enfants me demandaient : 'Papa qu'est-ce qui s'est passé aujourd'hui ?' Avec le recul je me rends compte que cela devait préoccuper ma famille. 

Je me souviens, par exemple, d'un patient. Il avait rendez-vous à 17h. J'avais 15 minutes de retard. Il s'est levé, a donné un coup de pied dans la porte, a cassé la vitre puis il est parti. Un autre patient, mécontent après ma secrétaire qui lui disait que j'étais complet est sorti en donnant un coup de pied dans une grande baie vitrée qu'il a cassé.

Je me rappelle également d'une patiente arrivée le matin au cabinet. Et alors qu'il y avait une dizaine de patients dans la salle d'attente, elle demande à être vue la première. Tous les patients lui disent non, et je lui explique que ça n'est pas possible car il n'y a aucune urgence qui justifierait de passer devant tout le monde. Alors que j'étais sur le point de rentrer dans mon bureau, elle me frappe en mettant sa main en crochet sur mon visage alors que j'étais de dos, m'arrache les lunettes et me griffe la joue. Puis, elle casse mes lunettes devant tout le monde. 

Une autre fois entre midi et 14h, on a tenté de mettre le feu dans mon cabinet. Ce sont des voisins qui ont vu les flammes prendre et qui sont arrivés à temps. On m'a déjà menacé de 'me butter', ou renversé mon bureau pour un refus d'arrêt de travail.

La liste des agressions est longue. J'ai dû porter plainte quatre ou cinq fois ; à chaque fois l'affaire a été classée sans suite. Lorsque la patiente m'a cassé mes lunettes, j'ai eu cinq jours d'ITT. Ça m'a vraiment traumatisé. La police est venue, a interpellé la patiente. Ils ont relevé son identité. Et pourtant on m'a dit que l'affaire avait été classée car la personne n'avait pas été identifiée. Porter plainte ne sert plus à rien, cela devient vraiment pesant. J'ai déclaré chacune des agressions au conseil de l'Ordre de Marseille. Et le Cdom se porte systématiquement partie civile en cas de procès. Mais ce n'est pas le cas partout en France, et c'est dommage. Cela devrait être une consigne nationale. 

Quand le jugement concernant le Dr Oulmekki est tombé (trois semaines de travaux d'intérêt général pour avoir défiguré le généraliste de Drancy), je me suis dit : 'Il faut faire quelque chose.' Autour de moi tout le monde trouvait cela inadmissible. Je savais que le 12 mars était la journée européenne contre les violences faites aux soignants, donc je me suis dit que j'allais appeler à la mobilisation. Plusieurs syndicats et collectifs de médecins ont adhéré tout de suite. Nous avons également invité les infirmiers, pharmaciens, kinés...  Nous avons diffusé l'information le plus largement possible. Nous avons relativisé l'appel à la grève depuis, car nous préférons mettre l'accent sur la mobilisation. Nous ne voulons pas pénaliser les patients. Nous voulons simplement faire entendre notre message qui est très simple : 'Stop à la violence !'"

 

"J'accompagne des praticiens victimes de violences, la dernière a décidé de déplaquer'

Témoignage de la Dre Nicole Veschi

"Cette augmentation des violences est un fait de société. Quand on agresse son policier, son pompier... Pourquoi ne pas agresser le médecin ? Le Covid, la convention médicale qui a trainé en longueur et qui a été vue comme un bras de fer avec les médecins : tout cela a eu un impact je pense. Nous avons aussi une société qui est déprimée, sous traitement, sous drogue, sous alcool… Cela fait le lit d'une certaine agressivité. Quand j'exerçais au troisième étage sans ascenseur, et que je me retrouvais toute seule, je n'étais pas tranquille. 

En tant que médecin du Comeli (Collectif pour une médecine libre et indépendante), j'ai accompagné un grand nombre de praticiens victimes de violences. Les femmes notamment ont très souvent peur d'en parler. 

Il y a une dizaine de jours, une généraliste a été molestée. Elle a porté plainte, mais elle refuse d'en parler. Elle a peur. Dans l'affolement, elle n'avait pas fait d'arrêt de travail ni de déclaration à l'assurance. Elle a reçu un patient qui n'était pas le sien mais qui cherchait un rendez-vous en urgence à cause d'une douleur au mollet. L'homme avait un médecin traitant, mais qui ne pouvait pas le recevoir avant 48h. Elle l'a examiné et a retrouvé la douleur. Elle a également entendu des râles pulmonaires. Elle lui a donc prescrit une échographie pour le mollet et une radio pour les poumons. Le patient a admis prendre du cannabis. 

Puis à la fin de la consultation, il a demandé un certificat de sport. Elle lui a donc demandé de revoir son médecin avec les résultats d'imagerie pour le certificat, car les examens du jour contre-indiquaient au sport. Le ton est monté. Il l'a violement secouée, mais par chance il y avait quelqu’un dans la salle d'attente. Elle a eu un hématome au bras. Elle a porté plainte, mais maintenant elle a très peur car elle est dans une ville relativement petite. Elle vient de décider de déplaquer et veut laisser tout cela derrière elle."  

 

"Je ne sais pas si je retournerai travailler ou pas, si c'est avec la crainte de se faire tabasser.... Pas la peine"

Témoignage de Vieuxdoc Attéré, lecteur d'Egora*

"Le 20 février 2025, j'ai été agressé violemment par mon voisin de palier, qui importune l'immeuble depuis plusieurs années, un colosse psychopathe, accroc aux substances. J'ai vu ma mort dans ses yeux, l'intervention des voisins, police et pompier m'a permis de m'en tirer avec gros choc psychologique et une fracture bi-malléolaire très délabrante (commentaire des chirurgiens) opérée en urgence après deux échecs de réduction orthopédique. J'ai douillé et ce n'est pas fini : trois à six mois d'arrêt. Ce n'était pas une violence directe contre un soignant, mais en partant il m'a bien dit qu'il reviendra finir le travail. Quand on connait le nom d'un médecin, il est simple de localiser son cabinet et d'aller le tabasser à nouveau. Il finira bien par apprendre mon métier, ne serait-ce que par le dépôt de plainte.

Cet individu reste mon voisin de palier et il est actuellement à l'étranger après 24 heures de garde à vue, pour l'instant, pas de mesure d'éloignement.

J'ai été remarquablement pris en charge, merci à l'AP-HP, mais j'ai constaté de visu ce que nous savons tous : les services publics hôpital, police et justice n'en peuvent plus et sont saturés. Tout est compliqué. 

N'importe qui maintenant peut être agressé je pense, médecin ou pas, c'est un problème global de la société : violence, drogue, psychiatrie, services publics voulant bien faire, mais débordés.

Selon l'évolution judiciaire de mon affaire, je ne sais pas si je retournerai travailler ou pas, si c'est avec la crainte de se faire tabasser.... Pas la peine.

Je ne parle même pas de la montagne de paperasses que ce genre de situation fait surgir.

Chers confrères faites attention à vous, je ne crois plus que la protection des médecins intéresse grand monde, sans parler du contexte géopolitique actuel qui mobilise les décideurs."

 

Photo de profil de L. K.
2,3 k points
Débatteur Passionné
Aide Médicale Urgente
il y a 7 jours
Il est peut-être temps de réaliser que le message a été entendu mais que : 1. les agresseurs s'en cognent et/ou ont des troubles psy qui les rendent déraisonnables. 2. Le reste de la population
Photo de profil de Georges Fichet
5,6 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 7 jours
Comme la mode est aux réseaux sociaux, pourquoi ne pas en créer un sur le modèle "Balance ton porc" ? Créons un site réservé aux soignants avec accès réservé par le biais de nos n°RPPS par exemple, "
Photo de profil de Emmanuel Buthiau
190 points
Débatteur Renommé
Pédiatrie
il y a 7 jours
Pour engranger des fortunes, des "élites" ont développé ces fameux "réseaux sociaux", déversoirs des "passions tristes" où s'alimentent "la haine", l'égocentrisme, la vulgarité et la bêtise. Pourquo
 
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