"L'habit fait-il le docteur ?" : cette généraliste s'est intéressée à l'apparence vestimentaire des internes
"L'habit fait-il le docteur ?" C'est la question à laquelle a cherché à répondre Virginie Dropsy dans sa thèse, soutenue fin 2024. Installée en Indre-et-Loire, cette médecin s'est intéressée au point de vue des maitres de stage universitaire (MSU) sur la tenue vestimentaire des internes lors du stage de niveau 1*. Durant les études de médecine, "tout le monde se conforme" à une certaine apparence pour avoir "la gueule de l'emploi", avance la généraliste, qui s'est réorientée vers la médecine à plus de 30 ans.
Egora : Vous vous penchez dans votre thèse, soutenue en décembre 2024, sur le point de vue des maîtres de stage universitaire (MSU) concernant l'apparence physique des internes lors du stage de niveau 1. Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?
Dre Virginie Dropsy : C'est vraiment mon expérience personnelle. Mes études se sont bien passées, je n'ai pas eu de souci. C'est vrai que j'ai une apparence physique un peu particulière : j'ai 41 ans, pas mal de piercings, de tatouages [et] quand j'ai commencé mon internat de médecine générale, j'avais les cheveux roses. Je n'avais pas forcément le physique de l'étudiante en médecine "classique", ce qui ne m'a jamais dérangé dans mes études.
J'ai commencé mon internat par six mois de stage aux urgences qui se sont extrêmement bien passés, il n'y eu aucun problème avec des patients ou des médecins. Puis, j'ai commencé mon stage en médecine générale ambulatoire, ce qu'on appelle le stage de niveau 1 [qui peut être réalisé auprès de 3 MSU différents au cours du même semestre, NDLR]. J'ai eu trois maîtres de stage - des hommes plutôt jeunes - et il y a deux d'entre eux avec qui je voyais bien qu'ils ne me reprochaient rien en particulier au niveau de ma pratique, mais au niveau du contact, "ma gueule" ne leur plaisait pas. J'avais des petites réflexions un peu tous les jours : "Tes cheveux rose, c'est quand même pas sérieux", "Pourquoi t'es habillée comme ça ?" Alors qu'honnêtement, j'avais une tenue propre, assez simple, mais juste des collants colorés.
C'est ce qui vous a poussée à vous pencher sur ce sujet de l'apparence physique ?
Tout à fait. A la fin de mon stage, ces deux maîtres de stage m'ont détruite dans mon évaluation de stage. Ils m'ont dit que mon professionnalisme pouvait être remis en cause par mon apparence physique, que je ne serai pas un bon médecin généraliste parce que je n'avais pas "la gueule de l'emploi".
Moi, j'avais [presque] 40 ans, mon mari, mes enfants, je suis forte entre guillemets mais je pense à un étudiant de 25-26 ans qui sort des études de médecine… Ça peut détruire quelqu'un d'entendre des choses aussi difficiles sur l'apparence physique, qui ne sont pas vraiment justifiées. Je me suis donc demandé : est-ce que le point de vue de ces deux médecins est isolé ou est-il finalement partagé par bon nombre de personnes dans la profession ?
Vous avez mené neuf entretiens avec des MSU. Quels principaux éléments sont ressortis de ces échanges ? Votre cas est-il isolé ?
Comme c'est une thèse qualitative, c'est difficile de faire des statistiques. Je n'ai pas fait beaucoup d'entretiens, mais la suffisance des données a été atteinte assez vite. Il y a eu trois façons de penser des médecins [qui se sont démarquées]. Il y a une partie d'entre eux qui disaient : "Moi, l'apparence physique, je m'en fiche. Mon interne, il pourrait avoir une crête bleue, des rangers, un look punk… J'en ai strictement rien à faire. Ce qui compte, ce sont ses compétences et le contact qu'il a avec les patients."
Il y a une autre partie des médecins qui disaient : "L'apparence physique, je n'en ai pas grand-chose à faire, mais c'est vrai qu'un interne qui aurait un look un peu exubérant pourrait ne pas convenir à mes patients". Ces médecins-là se protégeaient toujours en disant que c'était pour leurs patients : "Moi ce que je pense, quelque part on s'en fiche, mais ce sont mes patients qui ne vont pas apprécier".
La troisième partie des médecins, qui est un peu "majoritaire" - même si on ne fait pas de de statistiques, ce sont ceux qui pensent qu'un interne avec un look exubérant, "ça ne peut pas passer [et] ça ne peut pas se voir". De toute façon, ce genre de situations ne se voit pas car les études de médecine formatent les étudiants. Mais pour ces médecins, ça serait rédhibitoire.
Une armée de petits clones
Pourquoi parlez-vous de formatage des étudiants en médecine ?
C'est une discussion qu'on a eue quasiment dans tous les entretiens. Quand on aborde l'apparence physique de l'interne, souvent les médecins disent : "De toute façon, la question ne se pose pas parce qu'un interne avec une apparence physique exubérante, ça n'existe pas". Les études de médecine sont suffisamment difficiles et contraignantes pour que quand on arrive à l'internat, les étudiants se soient déjà fait broyer par le système. C'est vraiment une armée de petits clones.
Les personnes que j'ai interrogées sont passées par ces études. Mais quand on les questionne sur "qu'est-ce qui formate ?", personne n'est capable de répondre. Plusieurs maîtres de stage ont [toutefois] dit que ce sont des réflexions qu'ils ont eues lorsqu'ils étaient [eux-mêmes] en stage : "Tu ne vas pas venir habillé comme ça", "Tu dois mettre une chemise", "Tes chaussures, ça ne peut pas être des baskets", "Tu dois mettre des chaussures de ville, un pantalon de ville", "Je te demande pas un costard mais quand même on a un standing, on renvoie une image aux patients"…
Dans les études de médecine, il y a aussi beaucoup de gens qui ont des parents médecins. Je pense qu'il y a une espèce de mimétisme qui se fait avec les gens qu'on côtoie à l'hôpital, dans les stages… Tout le monde se conforme finalement à cette apparence physique pour avoir, comme le disait un médecin généraliste dans ma thèse, "la gueule de l'emploi".
Il y a beaucoup d'études qui ont été faites sur le regard qu'ont les patients sur leur médecin généraliste, où les patients ont l'air de dire qu'ils s'en fichent. Il faut que les médecins soient propres, mais par contre en termes de tenue, ils n'ont pas d'attente particulière. Ce qu'ils veulent c'est qu'on les écoute, qu'on les considère… C'est plus du côté des médecins où il y a quand même une attente à avoir une apparence qui ne fait pas de vagues.
Vous écrivez en effet dans votre thèse que c'est le regard supposé des patients sur l'apparence physique de l'interne qui importe pour les MSU ?
Oui, en tout cas, c'est ce qu'eux disent. Lors de ma première question [durant les entretiens], je demandais au médecin de me raconter une situation avec un patient qui avait une apparence physique particulière qui l'a marqué. Ensuite, je demandais : "Qu'est-ce que vous en pensez pour un interne ?" Et là, de nombreux médecins disaient : "Non, mais pour un interne, ce n'est pas possible, il ne peut pas venir habillé comme ça !"
Quand je demandais "Pourquoi ?", les maîtres de stage répondaient : "On renvoie une image sérieuse, on a un certain standing [pour les patients]…" Mais finalement, ils n'ont jamais questionné leurs patients sur l'apparence physique qu'ils voudraient qu'ils aient. C'est là où on se dit que ce sont finalement les représentations du médecin [qui s'expriment] : il pense à la place de ses patients, alors que personne n'a jamais questionné ces patients pour savoir ce qu'ils en pensent.
Vous pointez toutefois une certaine "ambivalence" dans les discours tenus par les MSU interrogés. Pourquoi ? Que voulez-vous dire par là ?
Si les maître de stage ont été très honnêtes, il y en a plusieurs, notamment deux que je cite beaucoup dans ma thèse, qui ont eu des mots très durs par rapport à l'apparence physique des internes. L'un d'entre eux a dit : "Moi, un interne qui vient fringué comme ça, il dégage du bureau. Je l'exclus des consultations, je ne le présente pas à mes patients. Ce n'est pas sérieux, ce n'est pas possible." La plupart des médecins quand ils disaient ça, ils s'arrêtaient parfois de parler parce qu'ils se rendaient compte que ce qu'ils disaient était discriminatoire, pas justifié… Surtout à l'heure actuelle avec tout le travail que font les associations sur les violences sexuelles et sexistes. Ce genre de phrases n'a pas lieu d'être, notamment dans les études de médecine qui sont quand même connues pour être des études exigeantes avec trop souvent peu de bienveillance.
Je pense qu'en le disant ces médecins se rendaient compte que ce n'est pas bien, et donc ils nuançaient toujours leurs propos derrière. C'est pour cette raison que je parle d'ambivalence, parce que les maîtres de stage disent qu'ils n'ont pas d'attente sur l'apparence physique, mais que quand même ils n'accepteraient pas n'importe quoi de l'interne. Ils nuancent toujours en disant : "C'est pour les patients, pas pour moi."
L'habit ne fait pas le docteur, mais on reconnaît toujours le docteur à sa tenue
La question du sexisme a aussi été abordée durant certains de vos entretiens. Il en ressort que la tenue des femmes, qu'elles soient internes ou médecins, peut encore engendrer des remarques…
Oui, ce sont des réflexions qui sont revenues assez régulièrement de la part de médecins femmes, comme aussi de la part de médecins hommes d'ailleurs, qui disaient qu'ils avaient [déjà] dû remettre à leur place des patients qui avaient fait des réflexions sexistes sur leurs internes féminines. Ils avaient pu dire : "Elle est bien mignonne votre petite interne".
Il y avait des médecins femmes qui disaient qu'elles-mêmes ne viennent plus travailler ni en jupe ni en robe, parce qu'il y avait trop de réflexions de patients et que, pour ne pas se mettre en difficulté [et] ne pas avoir à remettre les patients en place durant les consultations, elles préfèrent venir directement en pantalon ou sans décolleté. Elles se sont conformées elles-mêmes finalement à une apparence physique qui n'est pas forcément celle qu'elles ont en dehors du cabinet. Je n'ai pas creusé plus loin cet aspect dans la thèse, mais ce sont des choses qui sont revenues assez souvent.
L'apparence physique impacte-t-elle finalement la relation interne-MSU ?
De mon expérience, mon apparence physique pendant mon stage de niveau 1 a impacté ma relation avec mes maîtres de stage. J'ai eu vraiment l'impression de ne pas avoir la formation que j'attendais de la part de ces maîtres de stage. Ils ne se focalisaient pas sur mon travail, mes compétences de médecin… mais sur mon apparence, et ce que les patients allaient en penser. Cela fait [en effet] partie de la relation médecin-patient, mais c'est une discussion que l'on peut avoir. Ce ne sont pas des remarques à faire en fin de stage comme moi j'ai pu avoir.
Et, pour avoir bien questionné les médecins qui avaient des a priori sur l'apparence physique des internes, ils le disent clairement qu'ils mettraient fin au stage de l'interne car ça ne serait pas possible de travailler avec un interne avec une certaine apparence physique. Donc, effectivement l'apparence physique de l'interne peut perturber la relation avec son maître de stage. Et après, qu'est-ce qui en est de l'acquisition des compétences, de tous ces éléments… ? Tout est remis en cause.
Pour reprendre le titre de votre thèse, peut-on donc dire que l'habit fait le docteur ?
Ce qu'on a mis en conclusion avec ma directrice de thèse, c'est que l'habit ne fait pas le docteur, mais on reconnaît toujours le docteur à sa tenue. On trouve très peu de médecins généralistes avec des apparences physiques très exubérantes. Ce n'est [donc] pas l'habit qui fait le docteur, mais le docteur se conforme toujours quand même à peu près à une tenue un peu normée. On ne sort pas des normes, et on ne fait pas de vagues.
*Ce stage est réalisé auprès de praticiens lors du premier ou deuxième semestre de l'internat de médecine générale.
La sélection de la rédaction
Comptez vous fermer vos cabinets entre le 5 et le 15 janvier?
Claire FAUCHERY
Oui
Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus