
"On est payés en moyenne avec 9 mois" de retard : exaspérés, ces maîtres de stage en médecine générale hésitent à abandonner
Retards de paiement interminables "devenus une norme", "opacité" sur les règlements, "perte de temps et d'énergie", "multiples relances"… Les galères se ramassent à la pelle pour les maîtres de stage universitaire (MSU) en médecine générale. Devant l'ampleur du phénomène, la Fédération des médecins de France (FMF) a réalisé une enquête à l'échelle de l'Hexagone pour "objectiver cette réalité". Sur 411 MSU, seuls 12% n'ont jamais rencontré de problème.

"Si on décide de devenir maître de stage pour l'argent, il vaut mieux faire autre chose", plaisante le Dr Didier Le Vagueres, généraliste installé à Vannes (Bretagne) et maître de stage universitaire (MSU) depuis 20 ans. Après 15 années de retards de paiement en tant que MSU, alors qu'il était installé en Ile-de-France et dépendant de la fac de Créteil, les mêmes problèmes ont continué en Bretagne. "Les paiements ont lieu plusieurs mois après, tout est très complexe. Il manque toujours un papier et je suis sûrement très idiot parce que je ne pige pas ce qu'on me dit", grince le médecin. "Il faut vraiment avoir un BEP de comptable pour comprendre à quoi les sommes correspondent", ironise-t-il.
Pour autant, ce médecin, proche de la retraite, poursuit son activité de MSU. "Ça n'est pas mon activité principale donc je prends ce qu'on me donne. Mais l'amateurisme de nos institutions commence à nous lasser, moi et mes jeunes confrères. Nous avons un métier qui est aussi une entreprise à gérer. Je ne sais pas quel secteur accepterait de travailler dans ces conditions", déplore le Dr Le Vagueres.
"Mépris institutionnel"
Comme ce médecin vannetais, les MSU sont nombreux à rencontrer des problèmes de paiement. C'est ce qui ressort d'une étude récemment réalisée par la Fédération des médecins de France (FMF). Lancé il y a une dizaine de jours, le sondage a déjà recueilli plus 411 réponses de maîtres de stage. Parmi eux, près de 75% déclarent avoir rencontré des difficultés de paiement dont près de la moitié de façon régulière. Seulement 12% des MSU interrogés disent n’avoir jamais eu de souci.
"Ce sondage est parti d'une histoire personnelle", explique le Dr Frédéric Villeneuve, président de la branche généraliste de la FMF - à l'origine de l'enquête. Pas payé depuis quasiment un an, le médecin MSU contacte la fac et reçoit le versement de deux sommes. "Je ne savais pas vraiment à quoi ces montants correspondaient. A priori, après enquête c'était pour un interne et un externe, mais il manquait 600 euros. L'erreur de somme n'a pas été confirmée. Bref, c'est ingérable... Les externes changent toutes les six semaines, il y a un gros turn over. Avec les décalages de paiement, c'est un enfer à retrouver", explique le Dr Villeneuve. D'autant qu'aucun document n'accompagne le versement de la somme. Les médecins doivent s'y retrouver "avec une ligne sur le relevé bancaire sans aucune précision", décrit le syndicaliste : "On ne sait donc pas à qui, à quoi et à quand correspond le versement."
En discutant avec des confrères et son syndicat, le généraliste s'est aperçu que ces difficultés sont généralisées, et a donc décidé de lancer ce sondage pour "objectiver cette réalité". "Les résultats sont édifiants", constate le praticien, qui a recueilli des centaines de témoignages. "On sent un mépris institutionnel qui est réel", commente-t-il.
Parmi les MSU ayant répondu, 60,5% rapportent des retards importants de paiement, 13,75% une absence totale de paiement, et 31,25% évoquent une complexité administrative ou un manque de réponse claire de la faculté. Par ailleurs, 10,25% déclarent avoir perçu un montant inférieur à ce qui était attendu.
"Ce qui est incroyable c'est que les retards de paiement finissent par être acceptés dans notre fonctionnement. On est payés en moyenne neuf mois après le stage et c'est devenu une norme. Moi j'ai lâché l'affaire. Mais ce n'est pas normal, rien ne justifie que cela prenne autant de temps", déplore la Dre Catherine Moreau*, généraliste maître de stage, dépendante de la faculté d'Aix-Marseille.
De son côté, après plusieurs mois de retards de paiement, le Dr David Ciabrini, généraliste lyonnais, a décidé, il y a 10 ans, de mettre en demeure le président de l'université à laquelle il était rattaché. "Je recevais une externe pour la première fois et après un an de retards de paiement et plusieurs échanges peu sympathiques avec l'université, j'ai décidé de mettre en demeure le président", se remémore le médecin de famille. "Je me suis dit qu'il valait mieux s'adresser au bon Dieu plutôt qu'à ses saints", plaisante le Dr Ciabrini qui a fini par être payé après avoir sollicité l'aide juridique de la MACSF. "Ça m'a un peu refroidi pour recevoir les étudiants par la suite. On ne le fait pas pour l'argent, mais que nos indemnités soient payées, c'est la base", commente le praticien qui quelques années plus tard a retenté l'expérience de MSU avec des internes. "Il ne faut pas être regardant sur les délais pour être payé", constate-t-il.
Si en plus, il faut se battre pour être payé, ça n'est pas possible
Si le Dr Ciabrini a finalement décidé de renouveler l'expérience de maître de stage, le Dr Nicolas Lecoq, généraliste en Seine-Maritime, a lui tout plaqué. "J'étais MSU en octobre 2023. Un an après, je n'avais toujours pas de règlement", rembobine-t-il. Après plusieurs échanges avec l'université, le médecin ne voit toujours rien venir. Il finit par apprendre en janvier 2025 que son dossier n'est pas complet. "J'ai dû renvoyer ma carte d'identité, ma carte vitale et remplir une fiche alors que je suis certain de l'avoir déjà fait", s'agace le médecin, qui finira par être payé en avril dernier.
Ces difficultés de paiement sont l'un des éléments qui ont poussé le médecin à tout arrêter. "Cela demande beaucoup de temps et d'énergie. Je bloquais des créneaux de consultation pour prendre le temps avec les internes sans être rémunéré. Si en plus, il faut se battre pour être payé, ça n'est pas possible", déplore le praticien.
"Au-delà des chiffres", note la FMF dans son enquête, "l'analyse est sans appel : [l]'horlogerie administrative [est] réglée pour l'épuisement... et la démotivation". Et si les retards de paiement constituent de loin la plainte la plus fréquente, l'opacité est également pointée du doigt : absence de justificatifs, montants inexpliqués, virements bancaires sans libellé identifiable, aucune notification au moment du versement... "Cette opacité alimente un sentiment d’abandon, d’autant plus fort que certaines facultés exigent chaque année la reconstitution intégrale du dossier administratif, même en l’absence de changement de situation. Le processus est chronophage, répétitif, et souvent réalisé sans interlocuteur désigné", relève la FMF, qui pointe "une démotivation lente mais massive". "Je suis démissionnaire depuis ce mois de mai et j’ai été MSU pendant 18 ans", commente ainsi l'un des médecins interrogés dans l'enquête.
Au fait de ces difficultés de retards de paiement, le Syndicat national des enseignants en médecine générale (SNEMG) estime qu'il s'agit d'un sujet "épineux", mais qui "va dans le bon sens". "C'est très 'subdivision dépendant'. C'est un problème de ressources humaines au niveau des facultés. Il s'agit d'une carence des universités", indique le Pr Philippe Serayet, président du syndicat. "Dans les facs, les médecins ont la tête sous l'eau avec des équipes administratives sous dimensionnées. Ils font ce qu'ils peuvent", abonde le Dr Villeneuve.
Mais ces difficultés risquent d'impacter le recrutement des maîtres de stage, qui sont pourtant nécessaires à la mise en place de la quatrième année de médecine générale et à l'encadrement des futurs docteurs juniors. "Ce que l'on nous propose financièrement ne couvre pas les frais de fonctionnement du cabinet. On ne va pouvoir que compter sur la bonne volonté des maîtres de stage, comme toujours", s'inquiète le Pr Serayet, qui relève que les honoraires des MSU n'ont pas bougé depuis les années 2000.
Une rémunération traitée avec "désinvolture"
"On annonce l'arrivée des docteurs juniors comme une réforme qui doit être ambitieuse, structurante et essentielle pour l'avenir de la médecine générale. Et à côté de cela, l'élément central de la réforme qui est la rémunération des maîtres de stage, est traité avec une désinvolture qui est ahurissante. On fait tout pour nous décourager", s'agace le Dr Villeneuve. Le généraliste craint que les retards de paiement n'entraînent une avance de trésorerie ingérable pour les médecins encadrants.
"Je m'inquiète pour le déploiement des docteurs juniors. Cela va nous demander des frais en plus, d'avoir des locaux, des logiciels, du matériel… Avec ce qui nous est proposé actuellement c'est inacceptable. Cela revient à faire de la pédagogie à perte. Et si en plus c'est payé de façon aléatoire, c'est complétement aberrant", s'indigne également la Dre Catherine Moreau.
"Ce qui était engagement devient résignation. Ce qui était passion devient fatigue. Car oui, aujourd’hui, la fonction de maître de stage est perçue comme quasi bénévole, pénible sur le plan administratif et peu attractive financièrement", conclut la FMF, qui appelle les autorités à sursaut et demande une revalorisation des indemnités, une automatisation et une transparence des paiements, une harmonisation nationale des règles ainsi qu'une simplification des démarches.
*Le nom a été modifié.
La sélection de la rédaction
Faut-il ouvrir plus largement l'accès direct à certaines spécialités médicales ?
A Rem
Non
On n’arrive déjà pas à avoir un rendez-vous en urgence en tant que médecin traitant pour un de nos patients parce qu’il y a trop d... Lire plus