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"On est payés en moyenne avec 9 mois" de retard : exaspérés, ces maîtres de stage en médecine générale hésitent à abandonner

Retards de paiement interminables "devenus une norme", "opacité" sur les règlements, "perte de temps et d'énergie", "multiples relances"… Les galères se ramassent à la pelle pour les maîtres de stage universitaire (MSU) en médecine générale. Devant l'ampleur du phénomène, la Fédération des médecins de France (FMF) a réalisé une enquête à l'échelle de l'Hexagone pour "objectiver cette réalité". Sur 411 MSU, seuls 12% n'ont jamais rencontré de problème.

27/05/2025 Par Sandy Bonin
MSU
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"Si on décide de devenir maître de stage pour l'argent, il vaut mieux faire autre chose", plaisante le Dr Didier Le Vagueres, généraliste installé à Vannes (Bretagne) et maître de stage universitaire (MSU) depuis 20 ans. Après 15 années de retards de paiement en tant que MSU, alors qu'il était installé en Ile-de-France et dépendant de la fac de Créteil, les mêmes problèmes ont continué en Bretagne. "Les paiements ont lieu plusieurs mois après, tout est très complexe. Il manque toujours un papier et je suis sûrement très idiot parce que je ne pige pas ce qu'on me dit", grince le médecin. "Il faut vraiment avoir un BEP de comptable pour comprendre à quoi les sommes correspondent", ironise-t-il.

Pour autant, ce médecin, proche de la retraite, poursuit son activité de MSU. "Ça n'est pas mon activité principale donc je prends ce qu'on me donne. Mais l'amateurisme de nos institutions commence à nous lasser, moi et mes jeunes confrères. Nous avons un métier qui est aussi une entreprise à gérer. Je ne sais pas quel secteur accepterait de travailler dans ces conditions", déplore le Dr Le Vagueres. 

 

"Mépris institutionnel"

Comme ce médecin vannetais, les MSU sont nombreux à rencontrer des problèmes de paiement. C'est ce qui ressort d'une étude récemment réalisée par la Fédération des médecins de France (FMF). Lancé il y a une dizaine de jours, le sondage a déjà recueilli plus 411 réponses de maîtres de stage. Parmi eux, près de 75% déclarent avoir rencontré des difficultés de paiement dont près de la moitié de façon régulière. Seulement 12% des MSU interrogés disent n’avoir jamais eu de souci. 

"Ce sondage est parti d'une histoire personnelle", explique le Dr Frédéric Villeneuve, président de la branche généraliste de la FMF - à l'origine de l'enquête. Pas payé depuis quasiment un an, le médecin MSU contacte la fac et reçoit le versement de deux sommes. "Je ne savais pas vraiment à quoi ces montants correspondaient. A priori, après enquête c'était pour un interne et un externe, mais il manquait 600 euros. L'erreur de somme n'a pas été confirmée. Bref, c'est ingérable... Les externes changent toutes les six semaines, il y a un gros turn over. Avec les décalages de paiement, c'est un enfer à retrouver", explique le Dr Villeneuve. D'autant qu'aucun document n'accompagne le versement de la somme. Les médecins doivent s'y retrouver "avec une ligne sur le relevé bancaire sans aucune précision", décrit le syndicaliste : "On ne sait donc pas à qui, à quoi et à quand correspond le versement."

En discutant avec des confrères et son syndicat, le généraliste s'est aperçu que ces difficultés sont généralisées, et a donc décidé de lancer ce sondage pour "objectiver cette réalité". "Les résultats sont édifiants", constate le praticien, qui a recueilli des centaines de témoignages. "On sent un mépris institutionnel qui est réel", commente-t-il.  

Parmi les MSU ayant répondu, 60,5% rapportent des retards importants de paiement, 13,75% une absence totale de paiement, et 31,25% évoquent une complexité administrative ou un manque de réponse claire de la faculté. Par ailleurs, 10,25% déclarent avoir perçu un montant inférieur à ce qui était attendu.

"Ce qui est incroyable c'est que les retards de paiement finissent par être acceptés dans notre fonctionnement. On est payés en moyenne neuf mois après le stage et c'est devenu une norme. Moi j'ai lâché l'affaire. Mais ce n'est pas normal, rien ne justifie que cela prenne autant de temps", déplore la Dre Catherine Moreau*, généraliste maître de stage, dépendante de la faculté d'Aix-Marseille. 

De son côté, après plusieurs mois de retards de paiement, le Dr David Ciabrini, généraliste lyonnais, a décidé, il y a 10 ans, de mettre en demeure le président de l'université à laquelle il était rattaché. "Je recevais une externe pour la première fois et après un an de retards de paiement et plusieurs échanges peu sympathiques avec l'université, j'ai décidé de mettre en demeure le président", se remémore le médecin de famille. "Je me suis dit qu'il valait mieux s'adresser au bon Dieu plutôt qu'à ses saints", plaisante le Dr Ciabrini qui a fini par être payé après avoir sollicité l'aide juridique de la MACSF. "Ça m'a un peu refroidi pour recevoir les étudiants par la suite. On ne le fait pas pour l'argent, mais que nos indemnités soient payées, c'est la base", commente le praticien qui quelques années plus tard a retenté l'expérience de MSU avec des internes. "Il ne faut pas être regardant sur les délais pour être payé", constate-t-il.

 

 Si en plus, il faut se battre pour être payé, ça n'est pas possible

 

Si le Dr Ciabrini a finalement décidé de renouveler l'expérience de maître de stage, le Dr Nicolas Lecoq, généraliste en Seine-Maritime, a lui tout plaqué. "J'étais MSU en octobre 2023. Un an après, je n'avais toujours pas de règlement", rembobine-t-il. Après plusieurs échanges avec l'université, le médecin ne voit toujours rien venir. Il finit par apprendre en janvier 2025 que son dossier n'est pas complet. "J'ai dû renvoyer ma carte d'identité, ma carte vitale et remplir une fiche alors que je suis certain de l'avoir déjà fait", s'agace le médecin, qui finira par être payé en avril dernier.

Ces difficultés de paiement sont l'un des éléments qui ont poussé le médecin à tout arrêter. "Cela demande beaucoup de temps et d'énergie. Je bloquais des créneaux de consultation pour prendre le temps avec les internes sans être rémunéré. Si en plus, il faut se battre pour être payé, ça n'est pas possible", déplore le praticien. 

"Au-delà des chiffres", note la FMF dans son enquête, "l'analyse est sans appel : [l]'horlogerie administrative [est] réglée pour l'épuisement... et la démotivation". Et si les retards de paiement constituent de loin la plainte la plus fréquente, l'opacité est également pointée du doigt : absence de justificatifs, montants inexpliqués, virements bancaires sans libellé identifiable, aucune notification au moment du versement... "Cette opacité alimente un sentiment d’abandon, d’autant plus fort que certaines facultés exigent chaque année la reconstitution intégrale du dossier administratif, même en l’absence de changement de situation. Le processus est chronophage, répétitif, et souvent réalisé sans interlocuteur désigné", relève la FMF, qui pointe "une démotivation lente mais massive". "Je suis démissionnaire depuis ce mois de mai et j’ai été MSU pendant 18 ans", commente ainsi l'un des médecins interrogés dans l'enquête. 

Au fait de ces difficultés de retards de paiement, le Syndicat national des enseignants en médecine générale (SNEMG) estime qu'il s'agit d'un sujet "épineux", mais qui "va dans le bon sens". "C'est très 'subdivision dépendant'. C'est un problème de ressources humaines au niveau des facultés. Il s'agit d'une carence des universités", indique le Pr Philippe Serayet, président du syndicat. "Dans les facs, les médecins ont la tête sous l'eau avec des équipes administratives sous dimensionnées. Ils font ce qu'ils peuvent", abonde le Dr Villeneuve. 

Mais ces difficultés risquent d'impacter le recrutement des maîtres de stage, qui sont pourtant nécessaires à la mise en place de la quatrième année de médecine générale et à l'encadrement des futurs docteurs juniors. "Ce que l'on nous propose financièrement ne couvre pas les frais de fonctionnement du cabinet. On ne va pouvoir que compter sur la bonne volonté des maîtres de stage, comme toujours", s'inquiète le Pr Serayet, qui relève que les honoraires des MSU n'ont pas bougé depuis les années 2000.

 

Une rémunération traitée avec "désinvolture"

"On annonce l'arrivée des docteurs juniors comme une réforme qui doit être ambitieuse, structurante et essentielle pour l'avenir de la médecine générale. Et à côté de cela, l'élément central de la réforme qui est la rémunération des maîtres de stage, est traité avec une désinvolture qui est ahurissante. On fait tout pour nous décourager", s'agace le Dr Villeneuve. Le généraliste craint que les retards de paiement n'entraînent une avance de trésorerie ingérable pour les médecins encadrants. 

"Je m'inquiète pour le déploiement des docteurs juniors. Cela va nous demander des frais en plus, d'avoir des locaux, des logiciels, du matériel… Avec ce qui nous est proposé actuellement c'est inacceptable. Cela revient à faire de la pédagogie à perte. Et si en plus c'est payé de façon aléatoire, c'est complétement aberrant", s'indigne également la Dre Catherine Moreau.

"Ce qui était engagement devient résignation. Ce qui était passion devient fatigue. Car oui, aujourd’hui, la fonction de maître de stage est perçue comme quasi bénévole, pénible sur le plan administratif et peu attractive financièrement", conclut la FMF, qui appelle les autorités à sursaut et demande une revalorisation des indemnités, une automatisation et une transparence des paiements, une harmonisation nationale des règles ainsi qu'une simplification des démarches.  

*Le nom a été modifié.

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Claire FAUCHERY

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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 6 mois
"Comment voulez-vous que je vous paye, je n’ai pas d’argent. JE N’AI PAS D’ARGENT!!!!" martèle, excédée, la Procureure du poing sur la table. C’était notre 2è réunion pour régler le problème des retards de paiement (entre 6 mois et…pas de paiement du tout). Quand j’étais à SOS Médecins, nous étions tous les jours "sollicités" par réquisition des ministères (justice, intérieur, PAF…) et les formulaires administratifs, comme tout le monde, on connait par coeur: dossier individuel avec mise à jour annuelle obligatoire, mémoires (mot incongru ici puisque l’administration la perd faciement) en 2 exemplaires pour chaque réquisition (parfois 10 en 1 journée pour un seul médecin) avec nom du prévenu, nom de l’OPJ requérant, lieu, date et heure d’intervention. Devant la complexité et l’énormité de la chose, nous avions 2 armes de guerre: l’informatique et une secrétaire. L’un des médecins cador du langage binaire, a développé un logiciel métier interne permettant de tout inclure et gérer de façon simple et surtout opposable, en temps réel, toutes les réquisitions de tous les médecins. Il fallait cependant les "rentrer" manuellement dans la bécane. C’était bien sûr du boulot supplémentaire pour la secrétaire qui avait une rémunération supplémentaire sur chaque réquisition. Et tout le monde était content. Une fois par mois, nous apportions avec une brouette les réquisitions papier au bureau adequat du TGI et…nous attendions. Longtemps. Très longtemps. Trop longtemps! Nous avons tempêté, menacé, fait la grève (=obligé qu’on nous apporte chaque réquisition à domicile, avec 2 policiers, c’est la loi) pour finalement se retrouver dans le bureau de la Procureure, qui nous a promis la lune une 1ère fois. On a jamais vu la lune, on s’est donc retrouvés autour de la même table et on a fini par avoir la vraie raison. Nous avons décidé qu’il n’y aurait pas de 3è réunion et de porter plainte au tribunal administratif…en le faisant discrètement savoir à qui de droit (autre mot incongru ici, puisqu‘il n’était pas respecté). Miraculeusement, quelques paiements sont arrivés. Oh pas beaucoup! mais suffisamment pour signifier que le message était passé des 2 côtés. Par contre, nous n’avons jamais pu obtenir que les paiements soient détaillés, ce qui restait une charge de travail individuel considérable à faire…à la maison. Cette guéguerre et sa relative victoire avec l’administration n’a été possible que parce que nous étions une force/masse opposable et surtout avec un potentiel de nuisance à considérer pour l’"adversaire". Chose impossible pour le médecin seul dans son cabinet, surtout s’il est dans un désert médical qui est un désert tout court! L’administration sait très bien que son pouvoir sur nous, libéraux, est sans partage. C’est aussi pourquoi nous ne faisons peu confiance à nos syndicats, que nous accusons de ne pas développer les stratégies à la mesure de nos problèmes. Tout ça pour dire qu’il y a loin du YFOKEU de l’Assemblée Nationale, du gouvernement, au YAPUKA de la cascade administrative et des exécutants contribuables que nous sommes. Un mal bien français…
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Incontournable
Masseurs Kinésithérapeutes
il y a 6 mois
OK j’entends. On pourrait même, je crois hélas, en écrire des encyclopédies. Mais après, on fait quoi ? Tout est là. J’entends quotidiennement dans mon cabinet, parmi mes confrères, mes amis de tels propos. Car c’est un phénomène sociétal qui s’étend bien au-delà des universités (même si elles excellent dans ce domaine). donc je répète, on fait quoi ? il faut dire ce qu’il faut faire et le faire.
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2,6 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 6 mois
Certains ne supportent pas l'absence d'augmentation de leurs honoraires. Moi, oui car une augmentation n'est pas un du, quelque soit l'inflation. Par contre, je n'ai jamais supporté que les patients me payent en retard ou pas du tout. Cet article ne me fait pas regretter de ne jamais avoir voulu être maitre de stage.
 
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