Arrêt maladie : comment la Cnam veut "accompagner" les médecins pour réduire les prescriptions
Face à l’explosion du coût des indemnités journalières, le directeur de la Caisse nationale de l’Assurance maladie a présenté lundi 9 septembre un plan d’actions, qui sera mis en œuvre d’ici à la fin de l’année. Si le lancement d’une nouvelle campagne MSO-MSAP est pour l’instant exclu, les médecins sont néanmoins appelés à participer aux efforts de maitrise des prescriptions. Entretiens confraternels, référentiels de durée, service "SOS IJ"… Egora fait le point sur ce qui vous attend.
Les premières "invitations" sont arrivées cet été. 7000 généralistes prescrivant "plus" d’arrêts de travail que la "moyenne" de leurs confrères vont se voir proposer un "entretien confraternel" sur le sujet avec un médecin-conseil. "Ce ne sont pas des contrôles, a d’emblée précisé le directeur général de la Cnam à la presse lundi, mais des échanges sur le profil type de prescriptions, le cas échant sur des situations spécifiques."
Alors que la nouvelle convention médicale se met progressivement en œuvre, la Cnam joue en effet la carte de l’accompagnement des médecins. "Accroître la pertinence des prescriptions d’arrêts de travail et ralentir l’évolution du nombre de jours d’arrêts de travail indemnisés" à 2% par an est d’ailleurs l’un des 15 objectifs partagés par la Cnam et les syndicats, a rappelé Thomas Fatôme.
Des causes "multiples"
Si l’augmentation a pu être contenue à +1.8% en 2023, sur les six premiers mois de l’année 2024 le compte n’y est pas. Les dépenses d’indemnités journalières* sont en hausse de 8.5% comparativement au premier semestre 2023 et le volume des arrêts indemnisés, de 4.7%.
Or, les IJ pèsent déjà lourd dans le budget de la Sécurité sociale : les 15.8 milliards d’euros dépensés en 2023 – soit 5.4 milliards de plus qu’en 2010- représentent plus de 15% de l’enveloppe des soins de ville. Si les facteurs économiques (baisse du chômage, hausse des salaires) et démographiques (vieillissement de la population active) contribuent à hauteur de 58% à la flambée des dernières années, l’augmentation du taux de recours et de la durée moyenne des arrêts interpelle. Les causes sont sans doute "multiples", a reconnu Thomas Fatôme, citant l’évolution de "l’état de santé de la population, des conditions de vie au travail", un "rapport différent à l’arrêt de travail", ou encore "les abus et les fraudes".
Le plan d’actions déployé en 2023 en direction des prescripteurs, des assurés et des entreprises ayant permis de dégager 233 millions d’euros d’économies, la Cnam a décidé de "réenclencher une mobilisation" sans attendre. Tous les assurés en arrêt de travail pour maladie depuis plus de 18 mois - soit "30 à 40 000 personnes" - seront ainsi contactés pour faire le point : il ne s’agit pas seulement de "constater si l’arrêt est toujours justifié ou non", mais de prévenir "la désinsertion professionnelle", a mis en avant le directeur de la Cnam. "Ce sont des moments où on aborde la façon dont on peut aménager une reprise du travail, envisager un mi-temps thérapeutique." Comme pour la vaccination contre le Covid ou les dépistages, une liste des patients concernés sera mise à disposition de chaque médecin. "Ce qu’ils nous disent, c’est qu’ils ne sont pas toujours au courant, il a pu y avoir des arrêts qui ont été faits avant eux", relève Thomas Fatôme.
Un courrier pour rappeler les règles
Les arrêts courts mais répétés sont également dans la ligne de mire. Les assurés cumulant au moins deux arrêts de moins de 15 jours sur une période de 6 mois recevront un courrier afin de leur proposer un "accompagnement" et leur rappeler les règles à respecter (horaires de sortie, etc.). "On voit qu’il y a des personnes qui ont des arrêts de médecins différents : est-ce qu’on peut leur venir en aide pour qu’ils trouvent un médecin traitant, qu’ils aient un parcours de soin plus organisé ? Parfois ces arrêts peuvent témoigner de l’émergence d’une maladie chronique", développe Thomas Fatôme. Ces actions ciblées viendront s’ajouter aux contrôles habituels. Les marges de manœuvre existent, insiste le directeur de la Cnam : les 260 000 convocations ciblées menées en 2023 par les médecins-conseils ont abouti à la notification de 78 000 reprises de travail et à 75 000 consolidations en AT/MP.
La Cnam amplifiera par ailleurs ses campagnes de prévention en direction des entreprises qui se distinguent par un taux d’absentéisme plus élevé que les sociétés du même secteur d’activité.
Côté prescripteurs, tous les leviers seront activés, promet la caisse. Des réflexions seront menées autour des référentiels de durée d’arrêt de travail élaborés par la HAS en lien avec les sociétés savantes. "Pour 2025, on travaillera sur comment on peut mettre en œuvre ces référentiels, comment on peut les mettre à jour", a précisé Thomas Fatôme.
Contre la fraude, la Cnam va déployer ce mois-ci des Cerfa d’arrêt de travail sécurisés ; ils seront obligatoires en juin 2025. "Aujourd’hui, l’utilisation de formulaires Cerfa papier non sécurisés qui peuvent être photocopiés est une faille potentielle, on a des cas d’usurpation d'identité de médecins, y compris organisés", a signalé Thomas Fatôme. Pour prévenir les fraudes et accélérer le traitement des dossiers, la Cnam continue d’inciter les médecins à privilégier les arrêts en ligne. Un peu moins de 70% sont actuellement transmis par le biais du téléservice, a indiqué le directeur de la Cnam. Pour bénéficier de la dotation numérique mise en place par la nouvelle convention, les praticiens devront atteindre un objectif d’au moins 60% d’arrêts télétransmis en 2026 et 80% en 2028.
L’Assurance maladie travaille également à la mise en place pour l’année prochaine d’une "offre de services" baptisée "SOS IJ" pour venir en aide aux praticiens dans des situations de blocage : arrêts "répétitifs" de patients face auxquels "les jeunes médecins nous disent qu’ils ont parfois du mal à dire non", "arrêts longs pour lesquels ils ont du mal à faire le point avec le médecin du travail", etc.
"Ces entretiens peuvent être vécus comme de la maltraitance"
Quant aux entretiens confraternels, ils ont fait leurs preuves, souligne la Cnam : les 3534 médecins généralistes rencontrés l’an dernier ont diminué leur nombre moyen d’IJ par patient actif de 6%, quand leurs confrères non ciblés par une mesure "d’accompagnement gradué" ont augmenté ce taux de 6.1%.
Si les mesures de MSO ou de MSAP s’avèrent encore plus efficaces avec une réduction de 28.2% du taux des 965 MG concernés l’an dernier – un nombre record - il n’est pas question de "relancer une campagne, en tout cas pas en 2024", a exclu Thomas Fatôme. Un "retour d’expérience" sera fait avec les syndicats "pour faire le bilan des contrôles et voir comment on peut réenclencher les choses en 2025".
Reste que ces entretiens suscitent l’inquiétude des médecins concernés, qui se demandent souvent pourquoi ils ont été ciblés.
La "sensibilisation" des arrêts de travail par la CNAM. J'ai reçu mon profil. Notez la mise à l'échelle foireuse pour me faire culpabiliser. Et pourquoi vais-je devoir me justifier auprès d'un infirmier qui ne connait rien à mon travail, sur un entretien dit "confraternel" ?… pic.twitter.com/di3mY6upz8
— Julien (@Julienn59) September 9, 2024
Questionnée à ce sujet, la Cnam ne souhaite pas s’étendre, se bornant à évoquer des généralistes "qui prescrivent un nombre significativement plus élevé d’arrêts de travail que leurs confrères, en corrigeant les disparités de patientèle notamment".
Prêts à travailler avec la Cnam sur le sujet, les syndicats se montrent vigilants. "C’est un sujet hypersensible, commente le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Dans une période qui est difficile pour les généralistes, ça peut être vécu comme de la maltraitance et entrainer des déplaquages." D’autant que dans certains départements, le discours des médecins-conseils serait en décalage avec la "communication soft" de la caisse nationale. "Tout cela est laissé à la main des CPAM et à certains endroits, ces rencontres se terminent par ‘si vous ne corrigez pas ces chiffres vous risquez une MSO ou une MSAP’. Ce n’est pas l’esprit de ce que dit Thomas Fatôme."
"Il faut qu’il y ait une réflexion autour des IJ, qu’on essaie de comprendre, appuie la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. Hier encore j’ai arrêté une femme de 69 ans qui n’est pas encore à la retraite, ce sont des arrêts plus longs. Et on a quand même beaucoup de situations inextricables à démêler… Mais en aucun cas on ne doit repartir sur une campagne de MSO et de la pénalisation. Ça ne prend pas ce ton-là. On verra comment ça se passe…" Et la généraliste de conclure : "On doit pouvoir soigner les patients dans de bonnes conditions et il ne faudrait pas qu’on en vienne à renvoyer au travail des gens malades."
*Indemnités journalières pour maladie (hors Covid) ou pour accident du travail/maladie professionnelle. Les IJ maternité ne sont pas comptabilisées.
Pourquoi les généralistes sont en ligne de mire
En 2022, sur 57 milliards d'euros de dépenses remboursables prescrites par les médecins, 42.1 milliards sont imputables aux généralistes. Les dépenses d'IJ prescrites par les MG représentent à elles seules 10.2 milliards d'euros. C'est leur principal poste de dépenses, après les médicaments (13 milliards). En outre, les dépenses d'IJ augmentent deux fois plus vite chez les généralistes que chez les autres spécialistes, relève la Cnam dans son rapport Charges et produits pour 2025.
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