Le Dr Timothé Le Duigou, 28 ans, exerce au sein du médicobus depuis le mois d'avril. Crédit photo : Fabrice Dimier
"C'est un très bon dépannage" : une journée de consultations à bord d'un médicobus
Depuis le 2 avril, dans le cadre d'une expérimentation, ce cabinet itinérant fait halte dans certaines des 17 communes de l'Intercom de la Vire au Noireau (Calvados), dont un quartier de Vire-Normandie : le Val-de-Vire. Objectif : améliorer l'accès aux soins et réduire les inégalités territoriales de santé.
Le Dr Timothé Le Duigou, 28 ans, exerce au sein du médicobus depuis le mois d'avril. Crédit photo : Fabrice Dimier
21 juillet. Val-de-Vire. Un rayon de soleil se pose sur le quartier détrempé de Vire-Normandie quand apparaît, au loin, le médicobus de l'Intercom de la Vire au Noireau. Le cabinet médical itinérant tourne à droite au calvaire, descend jusqu'au rond-point, puis s'engouffre dans la cour du centre socio-culturel, l'une de ses dessertes. S'y garer n'est pas chose aisée, le passage est étroit : « Des fois, j'ai des sueurs ! », rit Lucie Leplanquois. L'ancienne secrétaire médicale à l'hôpital a été recrutée à temps plein par l'Intercom pour exercer au médicobus et au centre de santé intercommunal (CSI) de Vassy, auquel le premier est rattaché (1). Elle met l'engin sur cales, pose la rampe d'accès, prépare le lieu, et file installer son poste.
L'idée du médicobus, qui s'inscrit en soutien et complémentarité de l'offre existante : aller à la rencontre des patients isolés, sans médecin traitant (MT), en ALD, notamment âgés, pour faciliter leur prise en charge. Dans le secteur de Vire, « 28% des patients sont sans médecin traitant », soulève Sophie Brion, chargée de mission Projet de santé territorial à l'Intercom. Si le choix s'est porté sur le Val-de-Vire, c'est notamment parce que le quartier a connu le départ d'un généraliste et de son associé (1,5 ETP) et que sa population « est majoritairement composée de familles, de personnes seules, isolées, sans emploi ».
"Le médicobus, bonjour !"
Ce lundi à 9 h, seuls trois créneaux ont été réservés en amont. Lucie Leplanquois le justifie : le médicobus est déjà passé le jeudi précédent, et a affiché complet, avec « 20 consultations ». Mais surtout, cela ne veut pas dire que ça ne va pas se remplir. D'ailleurs, le téléphone – moyen de prendre rendez-vous avec l'appli Maiia et le fait de se présenter sur place – se met à sonner, et ce n'est que le début. À l'autre bout du fil, ce jour : patient, proche, pharmacien. Il arrive aussi que ce soit le SAS (14 ou 50). C'est Lucie (ou, en son absence, Marie-Line Levallois, maire de Carville, ex-infirmière) qui répond, d'un chaleureux : « Le médicobus, bonjour ! » Elle gère le planning, renseigne.
Une fois sur le lieu de desserte, les patients se rendent d'abord au secrétariat/salle d'attente, auprès d'elle, dans le centre socio-culturel. Chaque commune accueillant le médicobus doit, les jours de passage de celui-ci, mettre à disposition gratuitement un local (avec accès et toilettes PMR, branchements, etc.) à cet effet, à proximité. C'est prévu par convention avec l'Intercom. Ici, l'espace est multi-usages, comme en atteste la cohabitation du planning trimestriel du dispositif avec des dessins d'enfants, des dépliants, un bol à idées...
Après quelques formalités administratives, Lucie Leplanquois invite les patients du bocage à s'asseoir. Certains évitent les rocking-chairs, pour ne pas s'assoupir. Tous ont connu la solution mobile via l'un des vecteurs de sa publicisation : presse, radio, tv, flyers, sites, réseaux sociaux, opération sacs à pain, liste Chloë Gautier, chargée de communication à l'Intercom. Via le bouche-à-oreille, les conseils d'un acteur de santé, aussi. Tous sont venus par leurs propres moyens ou accompagnés, mais, si besoin, ils peuvent recourir au service de transport à la demande.
Ils ont un profil similaire. Soit ils n'ont pas de MT, comme Elza, Stéphanie, Justine, revenues vivre là. Elles ont frappé aux portes, mais se sont heurtées à la réponse : « On ne prend pas de nouveaux patients. » Soit leur MT, absent, est non remplacé, et ils ne peuvent attendre. Tels Brigitte, le couple Jacqueline et Gérard, ou encore Pierre. Ce dernier, soigné pour un lymphome, dédramatise : « Ça me fait une petite sortie ! » « Dans l'organisation présente, nous acceptons toutes les demandes de consultations, dans les conditions fixées : patient sans MT, ALD, urgence », résume Sophie Brion.
Des patients en errance
Le Dr Timothé Le Duigou vient les chercher, les amène au véhicule, acquis auprès de la société Hocoia. L’équipement, neuf, a été préféré au camping-car aménagé et à la voiture voyageant entre des structures fixes avec médecin à bord, rembobine la chargée de mission. On y trouve du matériel standard (fauteuil, thermomètre, etc.) et moins standard (dermatoscope, station de télésanté...). Sa prise en main a requis une formation, un accompagnement, et, parfois de pallier les aléas.
Coût du médicobus : 200 038 euros hors taxes, financés à 80% par l’État (30 %), la Région, le mécénat. Le reste à charge est de 40 000 euros pour l'Intercom, qui assure aussi le fonctionnement avec l'ARS (2). « L'Etat aide », pose Sophie Brion, « mais il y a un reste à charge pour les collectivités ». Elle rappelle que la compétence santé est « régalienne », que, quand les collectivités y investissent, les fonds ne vont pas ailleurs. C'est par « volonté politique », face à « l'urgence », que l'Intercom a intégré la santé en 2022, établi un diagnostic territorial, signé un contrat local de santé en 2024, étudié avec ses partenaires le projet médicobus, répondu à un appel à projets de l'ARS (demandant une dérogation pour l'éligibilité de Vire-Normandie (3), celle-ci n'étant pas considérée rurale (4).
Ce 21 juillet, 9 patients (finalement) se succèdent dans le médicobus. À chaque fois ou presque, la fin de la visite, et le début de la suivante, est annoncée par le tintement de la poignée du véhicule tombant par terre. « Le technicien passe dans une semaine ! », assure Lucie. Les motifs de consultation sont variés : des douleurs inhabituelles, qui inquiètent ; des maux qui empêchent de dormir ; des ruptures d'observation de traitement subies ; un « coup de froid » sur « personne fragile ». L'on devine souvent de lourdes problématiques médicales, qui se mêlent parfois au social, mais les mots, eux, sont mesurés. Depuis avril, le Dr Le Duigou investigue ce qu'il y a derrière.
Entre deux consults, le médecin de 28 ans, thésé en janvier, raconte comment il en est arrivé à exercer sur 4 roues. C'est le résultat de la rencontre entre une envie : revenir vivre un peu auprès de sa famille, à Vire. Et une opportunité « atypique, excitante », offerte par l'Intercom : un recrutement au CSI, option médicobus. À ce jour, il a signé 2 CDD pour 2 jours/semaine puis 3 (sur la base de 6200 euros net pour un temps plein). Le reste du temps, il remplace en libéral à Vire, téléconsulte un peu. Cela lui permet de toucher à tout, glaner des idées.
Cette expérience médicobus lui plaît : il apprécie l'aller-vers, le gain de temps médical permis par le salariat. Et son exercice, dit-il, n'est pas contrarié par le cadre, plus exigu. « Aller chercher des objets nécessite un peu d'organisation, de contorsion », sourit-il. Et puis il se sent utile : il a notamment été confronté à des situations critiques : « Une multitude de renouvellements », pour des patients sans médecin traitant, « donc en errance médicale » ; la « reprise de vaccins/dépistages » et du « suivi psychomoteur chez des enfants » qui en étaient dépourvus. Mais aussi la découverte d'un « cancer cutané à un stade évolué ». Le dispositif a permis « une orientation rapide et une prise en charge précoce ».
Du soulagement sur les visages
La consultation terminée, les patients retournent au secrétariat pour régler. Lucie Leplanquois est encore à la manœuvre. Bientôt, elle aura un rôle encore plus important dans le dispositif. Au deuxième semestre 2026, elle entamera une formation, financée par l'Intercom, pour devenir assistante médicale. Cela lui permettra « d'évoluer professionnellement », et de réaliser « la prise de tension, poids, taille ». Elle continuera d'assurer le secrétariat.
Les patients louent la qualité de l'accueil de l'équipe, apprécient que celle-ci soit à l'écoute, de leurs problématiques, médicales mais pas que. Ceux déjà venus sont contents de revoir les mêmes têtes : cela est facilité par le fait que, sauf congé, les médecins travaillent à jours fixes, aux mêmes endroits. C'est important afin « d'instaurer un climat de confiance » avec les patients sans MT, qui ont « souvent une peur du médecin, ou une appréhension », souligne Sophie Brion. Le suivi est aussi facilité par le rattachement au CSI. Enfin, les patients ne sont pas non plus perturbés par le cadre. Une fois à l'intérieur, ils ont l'impression d'être dans un cabinet classique.
Tous confient leur soulagement. D'avoir une solution : « Si j'ai un souci, il y a quelqu'un pour me recevoir », souffle Elza, qui est « épileptique, asthmatique, tachycarde », et qui a été hospitalisée en janvier. Tout le côté droit de son corps était bloqué, elle n'en connaît pas encore la cause. « On n'est pas tout seuls, dans la nature », poursuit-elle. Ils sont soulagés, aussi, d'avoir une solution de proximité. Et une solution qui ne soit pas les urgences : « J'évite ! », s'exclame Pierre, qui précise : « Je ne critique pas plus Vire que n'importe où. » Ils sont unanimes : le dispositif est « pratique ». « C'est un très bon dépannage », formule Brigitte.
Personne, ici, ne prétend que c'est LA solution ultime aux déserts médicaux. « C'est une réponse parmi tant d'autres », pose Chloë Gautier. « Pour le moment, cela fonctionne et aide beaucoup les patients », retient Lucie Leplanquois. « Ça me convient très bien », assure Pierre, qui, pour l'instant, n'a rien à y redire. Tous préféreraient bien sûr qu'il y ait des remplaçants, de nouveaux installés. Certains patients sollicitent le Dr Le Duigou, qui compte bien sauter le pas de l'installation « dans 2-3 ans », en libéral, en MSP. « Mais pas à Vire », essentiellement « pour des raisons personnelles et de projet de vie ». Les patients comprennent, dit-il, mais sont un peu déçus. Ils doivent composer avec la situation locale, et « on n'est pas riches », euphémise Pierre.
Tous savent que ça ne va pas s'arranger avec les départs à la retraite. Brigitte imagine celui de son MT dans un avenir proche, « 4-5 ans », et appréhende : « On ne sait pas du tout qui on aura. » Pierre est un brin soulagé par la jeunesse de la sienne depuis 12 ans, venue de Roumanie, mais n'est pas serein pour autant. Pour le moment, ceux qui ont un médecin tentent de se rassurer à voix haute, à l'image de Gérard : « Il est en vacances... Mais il va revenir ! » Pour pallier l'urgence, ils s'empressent de recaler un rendez-vous avec le médicobus : le 28, il passe à Landelles-et-Coupigny, où résident notamment Jacqueline et Gérard.
Augmenter la fréquence
En raison des départs à la retraite à venir sur Vire et alentours, il est « nécessaire d'envisager de développer l'offre du médicobus », anticipe Sophie Brion. Pour ajuster au mieux celle-ci à la demande, un copil se réunit 3 à 4 fois par an et « décide de l'organisation du médicobus, du circuit ». L'arrêt à Saint-Martin-des-Besaces a ainsi été supprimé, du fait de la faible affluence. Le généraliste « a une remplaçante le mercredi », explique la chargée de mission. Même sort pour Condé-sur-Noireau : les consultations étaient rares, irrégulières, du fait de « l'arrivée de deux médecins sur le secteur ». Or, elle rappelle que « le médicobus n'est pas une offre concurrentielle, mais complémentaire ».
L'arrêt Landelles-et-Coupigny, qui a « progressivement évolué, fort du soutien de la pharmacie et de la collectivité » est lui maintenu. De même que Saint-Germain-de-Tallevende, tiré par « la présence d'un Ehpad, d'une résidence pour personnes âgées » et sa proximité avec le sud Manche. Quant au Val-de-Vire, devant le « franc succès » de la desserte, il a été décidé de passer de deux à trois arrêts par mois, dès septembre. La rentrée voit aussi l'introduction de Campeaux, qui n'a pas de pharmacie – critère de choix, avec l'absence de MT, l'environnement rural... -, mais « une école et une grande entreprise » et est « proche de communes sans médecin et de la Manche ».
L'ambition de départ est que le dispositif rayonne sur le territoire de l'Intercom, met en avant Chloë Gautier. Et l'enjeu, aujourd'hui, est d'augmenter les jours de consultations, en passant de 2 à 3 puis 4 par semaine, fait savoir l'Intercom. La question est de savoir si le dispositif pourra absorber davantage : financièrement, techniquement, humainement. Car toute extension suppose d'anticiper les mouvements de personnel et de recruter(5). Malgré les percées du soleil, il pleut toujours sur le bocage. L'arc-en-ciel se fait attendre.
Photos de Fabrice Dimier
100 médicobus fin 2024 ? Le compte n'est pas bon
L'ambition, annoncée en 2023 dans les plans « France ruralités » et « Pour des solutions concrètes d'accès aux soins », était de déployer, d'ici fin 2024, 100 médicobus dans les territoires ruraux éprouvant ces difficultés. Si, dans son « Pacte de lutte contre les déserts médicaux », présenté en avril, le Gouvernement estime que « ces initiatives ont démontré leur efficacité pour répondre aux besoins en soins primaires dans les zones rurales prioritaires, soutenues par les acteurs de terrain », il n'en reste pas moins que l'objectif chiffré n'est pas atteint. Seuls 24 médicobus ont été labellisés – ils sont « à des stades de maturité variables » – , à l'issue de la première vague, a confirmé mi-août le ministère. Et sur ces 24 labellisés, seuls 11 sont opérationnels, soit effectivement en circulation : dans le Loiret, le Cher, la Corse-du-Sud, à Mayotte, dans l'Eure, l'Orne, la Seine-Maritime, le Calvados, la Lozère, la Sarthe, les Alpes-Maritimes. « Les 13 autres seront très prochainement mis en service », assure-t-il. Expliquant que « le calendrier de la 2e vague de labellisation a dû être ajusté au regard du contexte politique de 2024 » et que « cette 2e vague de labellisation sera lancée à la rentrée prochaine ». Pour atteindre la cible des 100, « il est envisagé d'élargir le périmètre du dispositif au regard des enseignements de la 1re vague et de la prise en compte des besoins du territoire », poursuit-il. Les détails ne sont, à date, pas encore communiqués.
(1) Ce qui lui permet d'être intégré au projet de santé du centre, à son exercice coordonné.
(2) L'ARS soutient le fonctionnement à hauteur de 75 000 € par an pendant 3 ans.
(3) Vire n'étant pas rurale, la condition était que le médicobus se rende dans les communes alentour.
(4) La condition est que le médicobus ne desserve que ce quartier et les lieux ruraux alentours.
(5) L'intercom recherche des médecins salariés pour développer l'exercice du médicobus dès maintenant, ainsi que pour le centre de santé intercommunal. Mais aussi des généralistes libéraux et des spécialistes pour les différentes structures médicales existantes et en projet.
Pour tout renseignement : Sophie Brion au 06.43.76.55.98 ou 02.31.66.50.70
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