Cigarette électronique

La cigarette électronique, faux-ami du sevrage tabagique ?

Outil de sevrage, porte d’entrée vers le tabac... Près de vingt ans après son arrivée sur le marché, la cigarette électronique continue à faire débat. Peu convaincus de ses bienfaits, plusieurs experts présents au congrès de l’European Respiratory Society se sont alarmés de sa popularité croissante auprès des adolescents. 

31/10/2025 Par Romain Loury
ERS 2025 Pneumologie
Cigarette électronique

La cigarette électronique constitue-t-elle un bon outil de sevrage tabagique ? Après plusieurs études révélant sa supériorité par rapport aux substituts nicotiniques (patchs, gommes), une revue Cochrane, considérée comme le plus haut niveau de preuve, a récemment montré qu’elle était 59 % plus efficace que les thérapies de substitution nicotinique(1).

À la différence de nombreux tabacologues, les pneumologues se montrent très sceptiques face à ce qu’ils considèrent comme une fausse solution au sevrage tabagique. Parmi leurs griefs, l’efficacité très douteuse de la cigarette électronique. Au-delà des études contrôlées, d’autres travaux, menés en vie réelle, ont au contraire suggéré un moindre taux de sevrage qu’avec les substituts nicotiniques, de l’ordre de -28 %(2).

Les études randomisées ne sont pas exemptes de biais et de non-dits. Lors d’une étude britannique publiée en 2019, près de 80 % des personnes ayant arrêté de fumer grâce à l’e-cigarette continuaient à vapoter un an après l’arrêt du tabac, alors que seulement 10 % du groupe contrôle était encore sous substituts nicotiniques(3). Selon la Pre Aslı Görek Dilektaşlı, pneumologue à l’université Uludag (Bursa, Turquie), "ce n’est donc pas un réel outil de sevrage mais plutôt une substitution". 

Une substitution loin d’être complète, à en croire la Pre Isabella Annesi-Maesano, professeure d’épidémiologie environnementale (Inserm, Montpellier) : "Le vapotage est rarement isolé, il demeure souvent associé au tabagisme. Théoriquement [comme pour toute substitution, NDLR], les patients devraient arrêter dans l’année, mais je connais des gens qui vapotent depuis quinze ans. C’est pervers, car c’est une addiction très dangereuse."

Un produit pas si inoffensif

Parmi les (nombreux) risques, celui d’une dépendance à vie à la nicotine, substance par elle-même non dénuée de risques métaboliques, neurologiques, voire cancéreux. Également critique, la question des innombrables saveurs pose un problème, tant la sécurité des agents chimiques employés demeure mal évaluée.

Par ailleurs, plusieurs travaux ont suggéré des risques accrus de BPCO et d’asthme – y compris après prise en compte du tabagisme passé – mais aussi de Covid-19, probablement par un affaiblissement des défenses immunitaires au niveau pulmonaire. À quoi s’ajoutent de très graves cas d’intoxication aiguë, dont les "Evali" (e-cigarette or vaping product use-associated lung injury, pneumopathies associées au vapotage), engendrant des lésions pulmonaires parfois fatales.

En termes de cancer du poumon, une étude sud-coréenne présentée en 2024 au congrès de l’American Thoracic Society a révélé que les anciens fumeurs ayant arrêté grâce à la cigarette électronique étaient 2,69 plus à risque que ceux sevrés par d’autres méthodes(4). De même, les consommateurs mixtes, ou "vapofumeurs", seraient bien plus à risque de maladies cardiovasculaires et respiratoires que les fumeurs(5).

Une menace émergente chez les jeunes

Pour le Pr Hayden McRobbie, professeur de santé publique à l’université Queen Mary de Londres et coauteur de plusieurs études démontrant les bénéfices de la cigarette électronique, "celle-ci n’est, certes, pas sans danger, mais elle est certainement moins nocive que le tabac, et constitue donc un très bon outil de réduction des risques". À la condition de bien la cantonner au sevrage, ajoute-t-il.

C’est certainement le problème majeur de la cigarette électronique. Présenté comme moins nocif que le tabac, le vapotage séduit toujours plus de jeunes adolescents, initialement non-fumeurs. Selon le Pr Jonathan Grigg, professeur de pneumologie pédiatrique et médecine environnementale à l’université Queen Mary (Londres), "il y a une confusion initiale au sujet de la cigarette électronique. L’idée s’est diffusée que chaque fumeur pourrait se tourner vers la cigarette électronique, et que, même s’il y a quelques risques, c’est bien meilleur pour la santé. Ce qui a pu faire croire, à tort, que c’était quelque chose de bénin. À cela s’ajoutent les parfums, qui incitent les jeunes à s’initier à ces produits".

En France, 6,2 % des adolescents de 17 ans étaient des vapoteurs quotidiens en 2022, contre seulement 1,7 % en 2018, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), une hausse également observée aux États-Unis et au Royaume-Uni. Alors que la prévalence du tabagisme était en baisse bien avant la commercialisation des premières cigarettes électroniques (fin des années 2000), les experts craignent que celles-ci, sous l’alibi du sevrage, constituent en réalité une porte d’entrée vers le tabagisme – ce que, là aussi, plusieurs travaux semblent démontrer.

Bien au fait des stratégies marketing de Big Tobacco, plusieurs experts appellent à ne pas se laisser submerger. Et en premier lieu à faire interdire au plus vite les saveurs, auxquelles les jeunes consommateurs se montrent très sensibles. Selon la Pre Elif Dağlı, professeure de pneumologie pédiatrique à l’université de Marmara (Istanbul), cette mesure, également prônée par l’Organisation mondiale de la santé, "est cruciale pour protéger les générations actuelles et à venir quant aux dangers du tabac et de la nicotine. Plutôt que de devoir s’occuper d’une épidémie future, il nous faut agir maintenant". 

Symptomatique d’un changement d’attitude quant au vapotage, le Royaume-Uni est devenu, début 2023, le premier État à élargir l’indication d’une marque de substitut nicotinique au sevrage de la cigarette électronique. D’autres pays l’ont suivi, mais pas encore la France – qui, en revanche, interdit, depuis février, les cigarettes électroniques jetables, très prisées des jeunes. Publiée en avril, une première étude a évalué l’efficacité de la varénicline pour se sevrer du vapotage chez des jeunes de 16-25 ans, avec des résultats positifs(6). 

(1) Lindson N, et al. Cochrane Database of Systematic Reviews, 29 janvier 2025.

(2) Glantz SA, et al. Annual Review of Public Health, 11 janvier 2018.

Références :

D’après les sessions "Are e-cigarettes effective smoking cessation tools or public health hazards? ", "Global respiratory health and tobacco: challenges, impacts and pathways to a smoke-free future" et "Addressing the generational challenge in lung health amidst the growing number of novel tobacco products" lors du congrès 2025 de l’European Respiratory Society (Amsterdam, 27 septembre-1er octobre) ; et "Tabagisme et arrêt du tabac en 2024", OFDT (mai 2025).

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