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Avance sur salaire, risques d'indus... La rémunération du docteur junior ambulatoire, une complexité à "s'en arracher les cheveux"

Maintenant que les textes encadrant la rémunération des docteurs juniors de médecine générale ont été publiés, les pouvoirs publics planchent sur le système permettant de payer ces futurs généralistes. Les premières pistes avancées font craindre le pire aux syndicats d'internes et de médecins. Ils dénoncent un montage financier trop complexe. Explications.  

15/09/2025 Par Chloé Subileau
4ème année de MG Internat Médecine générale
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On aurait pu croire que la publication des textes réglementaires encadrant la rémunération des futurs docteurs juniors ambulatoires (DJA), le 28 août, mettrait fin à bon nombre d'interrogations. Elle semble, en réalité, les avoir attisées. Qui va rémunérer les DJA ? Comment vont-ils faire payer les patients ? Auront-ils leur propre terminal de paiement électronique (TPE) ? Quand toucheront-ils leurs primes ? "A un an de la rentrée de la première génération de DJA, il y a encore trop de questions", pointe le Dr Kilian Thomas, président de Reagjir*.  

Le syndicat, qui représente les généralistes nouvellement installés et remplaçants, a récemment appelé, avec l'Isnar-IMG** et MG France, à reporter la mise en place de la quatrième année d'internat de médecine générale. Les trois organisations dénoncent le montage financier envisagé par le ministère de la Santé pour rémunérer les DJA, présenté lors d'une réunion à laquelle étaient conviés les représentants étudiants début septembre – avant la démission de François Bayrou. Ce système est jugé, par les trois syndicats, "hors sol" et "injuste" pour les étudiants.  

Les pistes avancées tendent, en effet, vers une rémunération en deux temps du DJA. D'abord, l'apprenti médecin devrait appliquer le tiers payant à tous ses patients et leur ferait payer la part de l'assurance maladie complémentaire (AMC), qui correspondrait à une "avance sur salaire". "Le DJA toucherait donc [directement] la partie remboursée par les mutuelles privées", confirme Kilian Thomas. Ensuite, "la caisse primaire d'Assurance maladie enverrait un récapitulatif de ces sommes au CHU [de rattachement de l'interne, NDLR], ainsi que l'argent généré par le DJA sur la partie AMO [assurance maladie obligatoire]", poursuit le président de Reagjir. 

Le CHU serait alors chargé de reverser une partie de cet argent au DJA - sous forme d'un complément de salaire. Ce dernier doit, au total, percevoir chaque mois une part fixe de 2375 euros, une prime d'autonomie supervisée de 417 euros, et une prime de 1000 euros en cas d'exercice en ZIP. Selon le nombre de consultations réalisées par le DJA, "soit le CHU devrait lui redonner de l'argent, soit lui en réclamer s'il a touché plus que les émoluments de base", détaille Kilian Thomas. L'interne pourrait donc, dans certains cas, devoir de l'argent au CHU ; une situation qui pourrait arriver rapidement, selon les syndicats interrogés.

On a les quatre murs de la maison, mais il manque tout le reste

"On imagine la complexité comptable entre le docteur junior, les CPAM, les CHU… Alors qu'une rétrocession d'honoraires aurait été si simple mais inenvisageable pour les pouvoirs publics", a notamment réagi la CSMF, dans sa lettre hebdomadaire du 9 septembre. "Cela va demander une administration dantesque, et ça va coûter très cher en administratif, alors qu'ils [les décideurs politiques, NDLR] veulent faire des économies…", abonde la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. "Autant ça aurait été simple si on s'était appuyé sur notre façon de faire habituellement dans les cabinets, avec un pourcentage de rétrocession. Là, le circuit administratif [proposé] est à s'arracher les cheveux", poursuit la généraliste, qui dénonce une "usine à gaz".

Lors de la réunion début septembre, les décideurs "nous ont donné les quatre murs de la maison, mais il manque tout le reste. Il y a encore énormément de flou. On a posé pas mal de questions, mais ils ne savaient, dans l'ensemble, pas y répondre", estime Mélanie Debarreix, présidente de l'Isni***, qui – bien que n'ayant pas signé le communiqué appelant au report de la quatrième année d'internat – dit rester "vigilante". Du côté de l'Isnar-IMG, on pointe également un système "embrouillé" et "extrêmement précarisant" pour les DJA, indique Atika Bokhari, à la tête du syndicat.  

Parmi les interrogations : le cas des patients en affection de longue durée (ALD) ou bénéficiant du régime complémentaire santé solidaire (C2S), pour lesquels il n'y a pas de part AMC. Selon nos informations, ces consultations ne pourraient pas compter dans l'avance sur salaire du DJA mais seraient prises en compte dans le décompte de la prime d'activité de 500 euros semestriels si l'interne réalise 200 consultations par mois. Cela impliquerait a minima un double décompte, pointent les syndicats, auquel s'ajouterait la participation à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), dont les modalités n'ont pas encore été arrêtées. 

Autre crainte : un éventuel décalage de paiement. "Les premiers délais annoncés sont de deux mois pour passer de la CPAM au CHU, puis un mois du CHU au DJA", rapporte Kilian Thomas. Les apprentis généralistes devront-ils donc attendre plusieurs mois avant de percevoir leurs premiers revenus complets ? Selon les informations présentées, "une avance de salaire" est prévue entre les CHU et les DJA "pour les trois premiers mois" de mise en œuvre de la réforme, rapporte le président de Reagjir, sans plus de précisions.  

De nombreux risques d'erreur

"L'autre complexité, d'un point de vue technique", ajoute le Dr Thomas, "c'est que si le DJA doit toucher de l'argent des patients, il doit avoir un terminal de paiement", poursuite le généraliste. "Sauf qu'aucune banque ne donnera un TPE à un particulier, il faut forcément être professionnel" et donc faire des démarches pour le devenir, supporter les charges qui en découlent… sans être installé. A l'inverse, si le DJA doit utiliser le TPE du MSU, cela doit se préparer et peut entraîner des coûts. "Cela fait partie des questions auxquelles ils [les décideurs] ne pouvaient pas répondre", grince Mélanie Debarreix.

Pour les syndicats, ce montage financier – qui peut encore évoluer – n'est donc pas souhaitable. "Complexe" et "inadapté" selon Atika Bokhari, il peut surtout être "source d'erreurs". "Déjà que dès fois il y a des erreurs entre la CPAM et le médecin traitant, là on se retrouve avec 2 ou 3 intermédiaires, et des flux qui peuvent aller dans les deux sens… Ça commence à être compliqué", acquiesce Kilian Thomas.  

 

D'autant que la rémunération des MSU est, elle aussi, dans le flou. Si les textes réglementaires l'encadrant ont aussi été publiés, "il y a encore des 'mais'", souffle Kilian Thomas. "Il n'y a absolument rien sur leurs modalités de paiement." "D'où sort l'argent pour les payer vu qu'ils ne touchent pas celui des DJA ? S'il faut trois mois pour payer les DJA, dans combien de temps les MSU le seront ? Et puis, si on n'a finalement pas assez de MSU et qu'on fait appel à des médecins accueillants, qui va toucher les primes ?", liste le généraliste.

Les réponses à ces questions sont pourtant essentielles pour permettre le recrutement des maîtres de stage. En juin, le Gouvernement s'est engagé à identifier 80% des terrains de stage des futurs DJA d'ici à octobre. Un objectif "impossible" à atteindre, selon Atika Bokhari. "Nos enseignants sur le terrain – qui sont nos MSU - disent depuis février que c'est trop tard […] Les maîtres de stage sont complètement délaissés et perdus dans cette 'araignée d'informations'", alerte l'interne. Une crainte partagée par Mélanie Debarreix, à la tête de l'Isni : "On attend de voir le nombre de MSU […] pour savoir si la pédagogie sera au rendez-vous car, pour le moment, on en doute."

Malgré la chute du Gouvernement de François Bayrou, internes et généralistes espèrent obtenir des réponses lors de la prochaine réunion du comité de suivi de la réforme. Pour l'heure, elle est maintenue le mercredi 17 septembre. L'arrivée prochaine d'un nouveau locataire avenue de Ségur pourrait toutefois rebattre les cartes en accélérant les discussions ou en… les reprenant à zéro. 

 

*Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants

**Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale

***Intersyndicale nationale des internes 

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2 débatteurs en ligne2 en ligne
Photo de profil de Fabien BRAY
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 3 mois
Des options simples existaient : 1 part fixe comme pour tous les internes, + 1 rétrocession partielle du chiffre d'affaire créé par le DJ. C'était parfaitement lisible, logique, et aurait permis au DJ d'apprendre à gérer la comptabilité et une patientèle. Elles ont été avancées dans 1 premier rapport demandé par le gouvernement, puis dans un second rapport ! Mais non, pour l'administration il fallait absolument faire compliqué, quitte à rendre le système illisible et source d'erreur, tout en enlevant tout caractère pédagogique. Comment professionnaliser un étudiant si on ne peut pas lui expliquer comment il va gagner sa vie? L'objectif est de torpiller la réforme, de créer un projet mort-né, tout en affichant une volonté apparente d'y aller. C'est voulu par l'hôpital, voulu par les spécialistes, voulu par les doyens et voulu par le ministère. Quelque part ces 4 entités forment le même lobby...
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1 k points
Incontournable
Médecins (CNOM)
il y a 2 mois
"Vous leur en faites pour tant d'argent, et pas plus !" est le leitmotiv ministériel depuis des décennies. Plus de médecins dans les zones déshéritées fort demandeuses, c'est plus d'actes, c'est plus de dépenses de santé! Oui, et si les jeunes médecins percevaient des honoraires normaux avec un reversement au maître de stage, tel que c'est pratiqué pour les remplaçants, alors l'augmentation des actes qui en résultera ne pourra pas être maîtrisée dans le budget contraint. D'où l'existence de forfaits, dont le paiement, à défaut d'être encore plus retardé, sera étalé dans le temps. Qu'importe si cette année doit être considérée comme "une année de formation", même s'il n'y a pas assez de maîtres de stage! Que ces jeunes bossent, là où on leur dit, même s'ils ne sont pas considérés comme autonomes. Et que cela ne coûte pas cher, surtout !
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19 points
Médecine générale
il y a 3 mois
Une seule solution, la suppression de cette 4ème année de médecine générale. Dans cette spécialité si complexe, on apprend durant toute sa carrière. Si après trois ans de formation spécialisée les futurs généralistes n'ont pas appris les bases et surtout appris qu'ils devront toujours apprendre, c'est que la formation a raté son objectif et un an de plus n'y fera rien.
 
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