
Quatrième année de médecine générale : "On ne peut pas se permettre de jouer encore une fois avec notre futur"
Santé mentale des carabins, quatrième année d’internat de médecine générale, grève des internes, assistanat territorial… De nombreuses actualités attendent les étudiants en médecine ces prochains mois. Et à la veille du 25e Congrès de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), son président, Bastien Bailleul, revient pour « Egora » sur les sujets brûlants de l’année 2025.

Le 25e Congrès des internes de médecine générale aura lieu les 6 et 7 février prochains, à Lille, avec pour thématique principale la santé globale. Pourquoi ce choix ?
On essaie d’avoir, tous les ans, une continuité dans les thèmes abordés lors des congrès de l’Isnar-IMG. Cette année, on s’est penché sur cette notion de santé globale qui, je pense, n’est pas bien connue des internes de médecine générale ou du grand public. L’idée est d’avoir une approche de la santé qui soit intégrative et systémique. On prend en compte l’ensemble des facteurs qui influent sur le bien-être humain. Cela dépasse évidemment la simple dimension biologique de la santé et prend en compte tout ce qui va relever du social, de l’environnemental, de l’économie, de la culture, de la politique… On trouvera un peu de ces éléments dans chacune de nos interventions [pendant les deux jours du congrès, NDLR]. Finalement, on se retrouvera avec une vision d’ensemble de la santé qui, pour un interne de médecine générale, ne peut que lui être bénéfique, notamment pour son apprentissage et sa pratique. Celui-ci doit bien se mettre en tête que la santé ne se limite pas simplement aux bons résultats d’une prise de sang mais qu’elle va au-delà, qu’on doit intégrer l’humain dans son environnement. C’est de là que nous sommes arrivés au titre du congrès : « D’humain à monde, tissons le soin ».
La lutte contre les discriminations au cabinet sera l’une des thématiques abordées lors du congrès. Il reste encore du chemin à faire sur ce sujet ?
Bien sûr. On parle beaucoup dans le soin – et c’est tout à fait adapté – de lutte contre les discriminations à l’hôpital. Il y a plein d’enquêtes qui ont été publiées sur ce sujet. On y parle de racisme, des violences sexistes et sexuelles… Mais dans les cabinets, qui sont des cadres un peu plus privés, avec des relations plus intimistes entre le médecin et le patient qui se voient seul à seul, on a moins de notions [sur ces questions, NDLR]. Pendant le congrès, nous ferons donc intervenir des spécialistes du sujet qui ont commencé à faire des études sur ce qui se passe dans les cabinets et on va essayer d’aborder tout cela ensemble.
Une autre thématique centrale est celle de la santé des soignants, et notamment leur santé mentale. Vous avez publié en novembre, avec l’Isni et l’Anemf(1), la troisième édition de votre enquête sur la santé mentale des carabins(2). Pourriez-vous rappeler les principaux résultats de cette étude ?
Cette année, on a réuni à peu près 8 000 répondants qui vont de la deuxième à la dernière année de médecine. Et les chiffres de cette enquête sont complètement effarants : plus de la moitié des étudiants en médecine présentent des symptômes anxiodépressifs, près d’un étudiant sur cinq fait face à des symptômes dépressifs complètement caractérisés… L’étude montre aussi une consommation de stupéfiants et d’anxiolytiques : 20 % des étudiants en médecine interrogés consomment ou auraient consommé des anxiolytiques, 13 % ont recours (ou ont eu recours) à des antidépresseurs et 7 % à des somnifères. On a aussi à peu près 20 % d’étudiants avec des troubles du comportement alimentaire : anorexie, boulimie… Cette année, on s’est aussi intéressé à l’impact de ce stress sur la poursuite des études de médecine.
Il faut une tolérance zéro, pour rassurer les victimes de violences qui pourraient vouloir appeler à l’aide
Et on se rend compte que sur 10 étudiants, il y en a quand même 7 qui pensent à arrêter leurs études au moins une fois par an. Parmi eux, un y pense toutes les semaines et un y pense même tous les jours... On est dans un tel état durant nos études qu’on pense même à arrêter de faire ce métier passion, quand bien même l’accès aux soins est une problématique majeure et qu’on pourrait se retrouver à perdre des médecins parce qu’on n’est pas capable de les former dans des conditions acceptables.
Ces chiffres démontrent-ils une aggravation de la santé mentale des carabins ?
On a pu comparer certains de nos chiffres avec ceux de l’enquête Santé mentale de 2021(3), car on a utilisé les mêmes indicateurs et les mêmes questions. Et, par rapport à cette précédente étude qui avait été réalisée en sortie de Covid, on se retrouve avec des chiffres qui sont très très stables, notamment ceux de l’anxiété et ceux de la dépression. Les idées suicidaires ont augmenté un tout petit peu, mais on est sur des chiffres à peu près identiques. On se retrouve également avec des nouveaux chiffres sur les troubles du comportement alimentaire, sur la consommation d’alcool et sur les agressions sexuelles pendant l’externat et l’internat. On s’est d’ailleurs posé la question, cette fois, de savoir où ont lieu les violences sexistes et sexuelles et par qui elles sont perpétrées. Ce qui nous a vraiment marqués, c’est que, dans deux tiers des cas, elles ont lieu à l’hôpital. Et par qui ? Par les médecins thésés, qui sont nos supérieurs hiérarchiques. On se rend bien compte que cette hiérarchie, qui est propice à toute forme de violence, se retrouve chez les médecins à l’hôpital, aussi grave que cela puisse être.
La santé mentale des internes en médecine est déjà dégradée. On ne peut pas se permettre de jouer encore une fois avec notre futur
D’ailleurs, où en sommes-nous de la prise en compte de ces violences dans les études de médecine ?
On ne prend pas ce problème assez au sérieux, et donc on a des réponses inadaptées et insuffisantes. Ce qu’il faut mettre en place de toute urgence, ce sont des cellules de prise en charge de ces violences dans chaque CHU qui soient gérées par des professionnels de santé formés et qui soient indépendantes de la direction. Car en cas de problème, il faut que cette cellule indépendante puisse le faire remonter et agir sans craindre la pression hiérarchique de l’hôpital qui n’aurait pas intérêt à ce que cela se sache. Il faut aussi pouvoir s’occuper des étudiants qui sont en stage en ambulatoire dans les cabinets, auprès de praticiens de ville. Il faut pouvoir rattacher chaque praticien à une cellule qui existe au sein de son CHU de référence et que chaque étudiant puisse y avoir accès, facilement et anonymement. Cela doit permettre à chaque interne ou externe d’être extrait de son stage et replacé facilement dans un stage qui soit tout aussi formateur et qualitatif pour lui, sans avoir à subir une double peine.
En effet, la crainte pour de nombreux étudiants, c’est d’être pénalisés s’ils dénoncent de telles violences…
C’est exactement ça. Comme ce sont ces mêmes supérieurs hiérarchiques qui nous valident nos stages, il y a toujours cette pression pour quelqu’un qui vient de subir une violence de se dire : « Si je dénonce ou si j’appelle à l’aide, peut-être qu’il va mal le prendre et ne pas valider mon stage ? » Alors que c’est ce supérieur qui vient de commettre une violence inexplicable et impardonnable… Il faut donc de plus en plus communiquer sur les numéros [des structures d’aide déjà en place(2), NDLR], préciser que les appels peuvent être anonymes, que les appelants peuvent aussi obtenir des conseils… Il faut tendre la main aux internes ou externes victimes, leur dire qu’ils ne sont pas seuls, qu’on peut les aider et montrer que cela a des conséquences. Et donc, sur les affaires qui ont été révélées, il faut une tolérance zéro pour rassurer les victimes qui pourraient vouloir appeler à l'aide. Au-delà des cellules indépendantes dans les hôpitaux, il y a aussi, au sein des facultés, des cellules de soins auxquelles les étudiants peuvent faire appel.
L’autre grosse actualité en ce début d’année, c’est l’appel à la grève que vous avez lancée le 29 janvier prochain. Vous exigez un report de la quatrième année d’internat de médecine générale en raison de retard dans la publication de certains textes. Quels textes manquent encore ?
Ce problème dure depuis l’adoption de cette quatrième année, qui est passée dans le PLFSS de décembre 2022. Depuis, il n’y a eu qu'un seul texte législatif [publié en août 2023] qui définit la nouvelle maquette de l'internat de médecine générale en quatre ans. La révision des trois premières années est, sur le principe, très bonne, avec le couplage des stages de pédiatrie et de gynécologie. Il permet aux internes d’avoir une formation de qualité dans ces deux domaines. Vient ensuite la quatrième année, que l’arrêté d’août 2023 a répartie en deux semestres, dont au moins un qui serait réalisé en ambulatoire. Mais c’est tout… Il nous manque tous les autres textes réglementaires qui doivent définir le nouveau statut du docteur junior ambulatoire. À la différence du docteur junior hospitalier, celui-ci exerce en ville avec sa patientèle, ses conditions de travail, ses consultations… Ce statut doit aussi prévoir une responsabilité adaptée pour le docteur junior et une rémunération attractive pour la médecine générale et adaptée à notre exercice futur. Si on doit nous apprendre, pendant une année supplémentaire, à gérer un cabinet et nos finances, il faut qu’on soit formé à être payé comme un médecin en ambulatoire. On demande donc qu’il y ait la mise en place d’une rémunération mixte avec un salaire de base, qui serait celui du docteur junior hospitalier, auquel on ajoute nos actes avec une rétrocession. Ce taux de rétrocession est encore à définir. Nous, on propose autour de 30 à 40 % sur nos actes, avec une part qui revient à l’interne et le reste permettrait au maître de stage universitaire (MSU) de financer son travail de maître de stage et le cabinet que l’on emprunte. Ces textes doivent également ouvrir la voie à la mise en place des conventions types pour les stages. Cela permettra de définir clairement les rôles de docteur junior ambulatoire et de MSU et ainsi, une fois qu’on a tout ça, de recruter les MSU pour cette quatrième année.
Vous craignez justement qu’il n’y ait pas assez de maîtres de stage universitaire pour encadrer ces docteurs juniors ?
C’est en effet de là qu’est née l’étincelle de notre grève. Nous avons appris que, dans plusieurs subdivisions, il n’y aura pas assez de MSU pour nous accueillir en quatrième année, en novembre 2026. À Paris, le coordinateur du département de médecine générale commun nous parle de 250 maîtres de stage pour 600 internes. À Dijon, il y aurait 35 à 40 maîtres de stage pour 95 internes. À Lyon, 60 maîtres de stage auraient promis de s’occuper des docteurs juniors pour 150 internes. La crainte, c’est que tous les internes qui n’auraient pas accès à l’ambulatoire soient renvoyés à l’hôpital pour une année supplémentaire. Cela serait inutile pour notre formation et même gravissime pour les patients dans les territoires qui nous attendent.
Et cela irait à l’encontre de l’objectif initial de la réforme de gagner en autonomie en ambulatoire…
Ce serait vraiment considérer les internes comme de la vulgaire main-d’oeuvre qu’on peut placer à un endroit ou à un autre, en dépit de leur formation, pour faire fonctionner l’hôpital public. La santé mentale des internes en médecine est déjà dégradée. On ne peut pas se permettre de jouer encore une fois avec notre futur. On exige donc un report de la quatrième année. Elle n’a pas pu être mise en place à temps, tant pis. On la mettra en place, mais dans de bonnes conditions, avec de bons décrets, un bon statut, une bonne rémunération… Même si tous les textes sortaient aujourd’hui, on n’aurait pas le temps de la mettre en place. Tout cela ne se fait pas du jour au lendemain. Malheureusement, on a raté le coche pour novembre 2026 . Il faut reporter cette réforme et la mettre en place une fois qu’on aura les garanties de son bon fonctionnement.
Chaque docteur junior doit pouvoir faire sa dernière année en ambulatoire, et en aucun cas être rapatrié à l’hôpital contre son gré
Avez-vous pu échanger avec le nouveau ministre en charge de la Santé, Yannick Neuder, sur ces sujets ?
Le hasard du calendrier a fait qu’en décembre, une semaine avant sa nomination au ministère, j’ai pu rencontrer Yannick Neuder, avec sa casquette de rapporteur général pour la commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale. J’ai donc pu l’alerter sur ce qui se passait pour la médecine générale, dont la quatrième année. Il a été très à l’écoute et très compréhensif, notamment sur le fait que les docteurs juniors ambulatoires ne peuvent pas être rappelés à l’hôpital. Il est complètement d’avis que ça ne peut pas aller dans ce sens. Depuis sa nomination, nous avons pu être reçus par le ministre et son cabinet. Notre mobilisation est prise au sérieux, et des propositions sont faites pour améliorer les conditions des futurs docteurs juniors ambulatoires. Nous garderons notre cap et notre ligne rouge : chaque docteur junior doit avoir la possibilité de faire sa dernière année en ambulatoire et en aucun cas être rapatrié à l’hôpital contre son gré.
Début janvier, l'Ordre des médecins, la Conférence des doyens de médecine, l'Isni et l'Anemf ont proposé la création d'un assistanat territorial. Fondée sur le volontariat, cette mesure est présentée comme une contreproposition à la coercition. Pourquoi ne pas l’avoir signée ?
Bien sûr, ce n’est pas une erreur. L’Isnar-IMG ne signe pas cette proposition car on la juge complètement inadaptée à la médecine générale. Il faut bien se rendre compte qu’elle ne répond à aucun besoin que formulent les médecins généralistes. Tels qu’ils sont présentés, ces un ou deux ans supplémentaires post-internat proposés auraient deux avantages : amener les médecins dans les territoires et les orienter vers l’encadrement pédagogique des jeunes internes ou étudiants. Mais cela existe déjà en médecine générale, ça s’appelle les assistants universitaires de médecine générale. Pour l’instant, ils ne sont pas développés, ils n’ont pas assez de financement pour élargir leur nombre de postes. Pour nous, cette proposition n’est pas intéressante. Il faut bien se rendre compte d’une chose : cette mesure est présentée comme « volontaire ». Mais dans le contexte actuel, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, on sait que si elle est présentée comme « volontaire », elle ressortira estampillée « obligatoire » [à la suite des débats parlementaires, NDLR]. C’est à peu près certain… Cette mesure finira par aboutir à un ou deux ans supplémentaires imposés aux jeunes médecins à la fin de l’internat, dans une zone non choisie et avec un statut d’assistant précaire à peine plus rémunéré qu’un interne, et avec toujours autant d’obligations. Selon ses auteurs, l’assistanat territorial comporte pourtant plusieurs avantages pour les jeunes médecins, notamment financiers… Le gros avantage financier qu’ils présentent derrière cette mesure, c’est l’accès au secteur 2 pour tous les médecins qui vont y participer. En termes de médecine générale et d’accès aux soins, le secteur 2 n’est pas entendable. Ce n’est pas une réponse. Augmenter le nombre de praticiens en secteur 2, c’est augmenter le tarif des consultations de médecine générale. Et donc créer une médecine à deux vitesses, avec une médecine pour les patients qui peuvent se permettre de payer des soins plus chers, et moins de médecine pour les patients les plus démunis. Ça, bien sûr, on le critique. En plus, le démarrage [de la mesure, si elle reste volontaire, NDLR] pourrait aussi être à deux vitesses entre les médecins qui iront faire cet assistanat et qui démarreront tout doucement avec une paie d’assistant, et ceux qui ne le feront pas et qui auront une paie bien plus importante parce que leur exercice le veut.
1. Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) et Intersyndicale nationale des internes (Isni)
2. Prévention suicide (31 14) ; CNAES (0 800 737 800) ; numéros verts de l’entraide ordinale (0 800 288 038 et 0 826 000 401) ; Ligue pour la santé des étudiants et internes en médecine (temoignage@lipseim.fr)
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