"Ce n'est pas un métier pour les handicapés" : ce que révèle cette enquête alarmante sur les internes
L'Intersyndicale nationale des internes (Isni) dévoile, ce samedi 6 septembre, une première enquête nationale sur le handicap chez les internes. Manque d'informations, stigmatisations, difficultés à aménager les stages, santé mentale dégradée… Cette étude dresse un sombre état des lieux.
C'est une première. Jusqu'alors, "on n'a jamais eu en France de données concernant la population des internes" sur ce sujet, assure Carla Magaud, vice-présidente de l'Isni*, qui publie, ce samedi 6 septembre, une enquête nationale sur le handicap chez les internes en médecine. Présentée à l'occasion de l'assemblée générale du syndicat ce week-end, cette étude vise à "mesurer la prévalence" du handicap chez ces carabins et à déterminer son impact sur leur quotidien, précise la syndicaliste.
Au total, 391 étudiants ont répondu à cette enquête*, soit 1% des internes français. "Ça peut paraître peu, mais nos chiffres sont tout à fait significatifs", tient à souligner Killian L'helgouarc'h, présidente du syndicat. Parmi les répondants – dont la moyenne d'âge est de 28,2 ans -, 76% sont des femmes, et une majorité sont en phase d'approfondissement de leur internat.
Les handicaps auxquels ils font face sont nombreux : 39,1% des répondants déclarent avoir un handicap psychique, 27,6% une maladie invalidante et 21,7% un handicap mental. Les handicaps physiques et moteurs concernent, eux, 13% des internes interrogés. Dans 77% des cas, "le handicap était présent avant l'internat", relève Carla Magaud. Et pour 50% des apprentis médecins, il l'était même "avant le début de [leurs] études de médecine."
Premier constat : les internes connaissent mal leurs droits. 70% se déclarent, en effet, pas assez informés sur ce sujet. De plus, seul un interne sur deux interrogé a déjà contacté la médecine du travail dans le cadre de ses études, avec un suivi très hétérogène. "Parfois, ils les voient une seule fois durant l'internat", précise Carla Magaud.
Santé mentale, arrêts de travail…
S'ils peuvent demander un aménagement de stage, seul un interne interrogé sur trois en a déjà bénéficié. Et pour ceux en faisant la demande, ce dispositif n'est pas toujours respecté : ils sont 3% à affirmer que leurs aménagements n'ont pas du tout été suivis, 34% indiquent qu'ils ne l'ont été que partiellement. Ces étudiants en situation de handicap rencontrent aussi des difficultés lorsqu'il s'agit de se loger : trois sur dix considèrent que leur logement d'internat n'était pas adapté à leur pathologie.
Surtout, les conséquences du handicap sur la vie professionnelle et personnelle de ces futurs praticiens sont nombreuses. Six internes sur dix manquent de temps pour consulter un médecin en raison de leur charge de travail, un interne sur deux dit subir une pression le conduisant à privilégier ses obligations professionnelles au détriment de sa santé, détaille Carla Magaud. "On change souvent de région quand on passe de l'externat à l'internat, donc il y a beaucoup de perte de suivi avec notamment des internes qui perdent leur médecin traitant. Pendant l'internat, ils sont un sur huit à ne pas en avoir", explique la vice-présidente de l'Isni. 54% de ces internes "disent qu'ils n'ont pas le temps d'effectuer de nouvelle démarche" pour en trouver un.
Mon chef m'a dit : 'Je tolère un burn out, je n'en tolérai pas deux.'
Ces difficultés peuvent avoir un impact sur la santé mentale de ces internes, qui sont un sur trois à avoir déjà été en arrêt de travail prolongé durant leur internat. Selon l'étude, 73% de ces arrêts l'étaient pour burn out, 70% pour fatigue physique et 64% pour manque de temps pour s'occuper de leur santé.
"Mon chef m'a dit : 'Je tolère un burn out, je n'en tolérai pas deux. Si ça se reproduit, l'internat de chirurgie est terminé pour toi'", témoigne un carabin, cité dans l'enquête. "Un de mes co-internes a vu que je prenais un anti-dépresseur et l'a répété à toute l'équipe. Mon chef m'a déconseillé de continuer médecine", relate un second.
Pour les étudiants interrogés, l'internat et le rythme qu'il impose n'ont pas été sans conséquence sur leur santé. Ils sont plus de 65% à rapporter une dégradation de leur santé physique ; parmi eux, 80% associent cette dégradation à la pression et aux exigences professionnelles qu'ils subissent. Ils sont aussi plus de 65% à estimer que leur santé mentale s'est dégradée.
Autre point abordé : un répondant sur cinq estime avoir subi de la stigmatisation en lien avec son handicap au cours de son internat (25% de la part des chefs, 19% de co-internes). "Les internes avec un handicap psychique déclarent significativement plus souvent une stigmatisation", précise l'enquête.
Par ailleurs, les étudiants interrogés sont également un sur cinq à indiquer avoir déjà subi du harcèlement moral en lien avec leur handicap durant leur internat ; 3% rapportent un harcèlement sexuel. Une étudiante interrogée raconte notamment avoir été "harcelée sexuellement par des chefs". "J'ai fait une grosse crise dissociative avec hallucinations, et tout le monde s'est moqué. Personne n'est venu m'aider", déplore-t-elle. Lors d'une discussion, un chef de service a également lancé à un carabin : "De toute façon, toi tu es handicapé, et ce n'est pas un métier pour les handicapés."
Alors que les internes font face à une pression "extrêmement importante", "cette étude [fait le] focus sur une population qui est forcément plus vulnérable et qui, avec le handicap, vit d'autant plus difficilement ce contexte général très difficile", pense Killian L'helgouarc'h. "Devenir médecin en situation de handicap, il y a de nombreux défis et obstacles", poursuit le président de l'Isni, dont le mandat se termine ce week-end. "Il y a une urgence à agir", notamment en sensibilisant "les doyens, les chefs de service, les hôpitaux, les directions de affaires médicales, nos syndicats…", ajoute-t-il.
Vers une adaptation de la loi ?
Pour améliorer la prise en compte de ces étudiants en situation de handicap, l'Isni liste plusieurs propositions. Les premières concernent le cursus universitaire, à commencer par la nécessité de "documenter et diffuser les droits et dispositifs existant autour du handicap", la mise en place d'un "aménagement du temps facultaire" (cours à distance, tiers temps…) et la création d'un référent handicap dans chaque fac de santé.
"Pour ce qui est des stages, poursuit Killian L'helgouarc'h, il faut lutter contre les discriminations" quelles qu'elles soient, et "intégrer dans le choix du stage la possibilité de prendre en compte les contraintes de chacun, comme la distance" avec le lieu d'habitation. Surtout, le syndicat appelle à permettre une adaptation du rythme et de la durée des stages pour les étudiants qui ne peuvent les valider en six mois. "Ils pourraient, par exemple, les valider en douze mois", avance le président de l'Isni.
Autre proposition : une meilleure formation des responsables universitaires et chefs de service sur ces sujets, ainsi qu'une sensibilisation aux handicaps invisibles. Le syndicat plaide, enfin, pour un meilleur accompagnement des internes aidants (facilitation de l'accès aux aides, accès garanti aux congés proches aidants…).
Cette enquête – bien qu'elle n'apporte pas "de bonnes nouvelles" – est "une première base pour travailler avec le ministère" sur de possibles "adaptations de la loi afin d'amener plus de souplesse dans le cursus de formation", espère Killian L'helgouarc'h. Si de longs mois de discussions semblent encore attendre le syndicat et les différents acteurs du secteur, l'Isni veut faire un premier pas dès ce week-end en signant la charte Romain Jacob, qui promeut l’accessibilité des soins aux personnes vivant avec un handicap.
*Intersyndicale nationale des internes.
**L'enquête a été diffusée entre le 10 avril et le 30 juin.
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