"L’histoire, c’est vous qui la racontez dans vos PowerPoint" : la réponse des médecins au directeur de la Cnam
Invité aux 31e Universités de la CSMF, vendredi 3 octobre, Thomas Fatôme s'est exprimé sur la gravité de la situation budgétaire du pays. Le directeur de la Cnam estime que les médecins ont un rôle à jouer, notamment en améliorant la pertinence de leurs prescriptions d'arrêt maladie, de médicaments et d'imagerie. Des propos qui ont beaucoup fait réagir les médecins sur Egora, mais aussi sur les réseaux sociaux Facebook et LinkedIn.
Présent à Avignon pour les Universités de la CSMF, le directeur général de la Cnam a estimé qu'il était encore possible de "sauver notre système de santé" en activant "tous les leviers… et beaucoup plus fortement". La question de la pertinence des prescriptions a notamment été au cœur de son intervention.
Au sujet des prescriptions d'arrêts de travail, Thomas Fatôme a souligné sa volonté "d'activer les différents leviers d'information, de prévention et de contrôle sur l'ensemble des acteurs", assurés comme médecins. "C'est normal qu'on contrôle des prescripteurs qui ont des pratiques très décalées." "Si des gens ont le réflexe de se dire 'je vais me mettre en arrêt de travail', c'est quand même qu'ils trouvent des médecins qui les mettent en arrêt dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes", considère le patron de l'Assurance maladie. "Ça reste une énigme pour moi : vous n'êtes ni de près, ni de loin en position d'être obligés de dire oui pour 'garder le client' car vous en avez plutôt trop que pas assez", a-t-il remarqué. "On n'y arrivera pas que par le contrôle", a jugé Thomas Fatôme, appelant à "une réforme du système de prise en charge des arrêts de travail" et à "limiter la durée de prescription".
"Le mythe du médecin omniscient"
"Ce genre de petite phrase veut tout dire : le type est totalement déconnecté, s'agace Romain L., commentant sur Egora. Il est dans le mythe du médecin omniscient qui, en 15 minutes, est capable de savoir si sa patiente le pipeaute. Pourtant, les chiffres, il les a : la majorité des arrêts de travail prolongés sont liés à des motifs invérifiables : douleurs chroniques ou souffrance psychique. Si vous voulez réduire la durée de ces arrêts, il faut (dans le désordre) restaurer la psychiatrie et la kinésithérapie en France, valoriser la radiologie interventionnelle (au lieu de vouloir emmerder les radiologues...), arrêter de surprotéger les employés qui sont objectivement inadaptés à leur poste", développe le généraliste.
"Tout énarque que l’on soit, on n’a pas la compétence de juger de la pertinence d’un arrêt maladie ou d’une prescription quand on n’a pas de diplôme de docteur en médecine, s'est également emporté Frédéric P. sur les réseaux sociaux. Le discours, sans aucune précaution, généralisant tout médecin comme incompétent et/ou fraudeur est d’une part diffamatoire et d’autre part témoigne d’une condescendance et d’un mépris consubstantiels à de nombreux dirigeants de l’Assurance maladie et de politiques en charge de la santé. Leur unique but est de se dédouaner de leur lourde responsabilité dans le naufrage actuel", a fustigé ce généraliste.
"Le jour où il sera malade, il sera le premier à réclamer le meilleur de nos outils diagnostiques et thérapeutiques"
Le directeur de l'Assurance maladie s'est également exprimé sur les économies souhaitées dans le secteur de l'imagerie médicale (300 millions d'euros sur 3 ans imposées dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025). "Si on veut faire de la pertinence, il faut quand même s'en donner quelques moyens, pas seulement signer des beaux accords et s'arrêter là, il faut un minimum de cadres", a-t-il déclaré. "Le boulot du radiologue, c'est d'évaluer si la demande est pertinente ; si elle ne l'est pas, il ne fait pas [l'acte] et s'il le fait alors que ce n'est pas pertinent, alors on va aller chercher de l'indu chez lui : c'est ça la pertinence, au bout d'un moment faut arrêter de se raconter des histoires, faut juste la faire", a-t-il lancé face aux adhérents de la CSMF.
"Le jour où il sera malade, il sera le premier à réclamer le meilleur de nos outils diagnostiques et thérapeutiques, et même à réclamer ceux qui ne sont pas nécessaires à son état de santé. Comme tous nos patients…", a réagi Cyrille V. "Il faut rompre cette relation toxique avec une caisse qui n'a aucune compétence autre que comptable (et encore...) pour déterminer la pertinence des actes", a abondé Phillippe P., rappelant que la Cnam n'est pas "l'employeur" des médecins libéraux.
De son côté, Dorothée L.I.F. a mis en avant la crainte permanente de poursuite ressentie par les praticiens. "Quand il sera devant un juge qui lui reprochera de ne pas avoir fait le scanner même si ça n'est pas utile ou de ne pas avoir donné l’antibiotique (...) alors il pensera comme un médecin…", a-t-elle avancé.
"Notre objectif n'est pas d'emmerder le monde, on sait très bien que votre temps est compté, mais il faut qu'on attrape un certain nombre de cadres qui rendent effective cette pertinence. On est un des pays du monde où la disparité de prescriptions, ou l'absence de respect des référentiels est le plus significatif sur… à peu près tout", a conclu le directeur de la Cnam.
"Si l'on fait tout selon les référentiels, on sait très bien que l'on passe à côté de nombreux diagnostics"
"L’histoire, c’est vous qui la racontez dans vos PowerPoints, et la réalité, c’est nous qui la vivons chaque jour avec nos patients. Vous parlez de leviers et de cadres, mais nous, on soigne avec du temps, de la fatigue et trop souvent sans moyens", a pointé Ronan G.
"Si l'on fait tout selon les référentiels, on sait très bien que l'on passe à côté de nombreux diagnostics (embolies pulmonaires à D-Dimères négatifs, tendinites typiques qui sont des névralgies cervico-brachiale, myosite cachée derrière tous les critères de fibromyalgie, infarctus du myocarde mimant une crise d'angoisse etc.). Ceux qui nous poussent à la faute pour des raisons comptables le savent très bien, c'est ça le pire", a dénoncé un autre lecteur.
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