"On veut pourrir la vie des généralistes" : la riposte de MG France face à la campagne de la Cnam sur les arrêts maladie
Alors qu'une nouvelle campagne MSO/MSAP ciblant les médecins forts prescripteurs d'arrêts maladie vient d'être lancée par la Cnam, MG France contre-attaque avec une opération "transparence IJ" pour prendre "à témoin les malades". Les généralistes sont quant à eux invités à transmettre la liste de leurs patients en arrêt long aux médecins conseils.
Alors que le déficit de la Sécurité sociale a atteint 15 milliards d'euros en 2024, le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a notifié au Parlement, au Gouvernement et à la Cnam un "risque sérieux" de dépassement de l'Ondam pour 2025. En cause notamment : des dépenses de soins de ville "dynamiques", en particulier dans le champ des médicaments et des indemnités journalières (IJ).
Cet avis intervient quelques jours seulement après le lancement, par la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), d'une nouvelle campagne ciblant les médecins forts prescripteurs d'arrêts maladie (MSO/MSAP). D'après des chiffres communiqués par la Cnam à Egora la semaine dernière, un peu "moins de 500 généralistes" ont reçu ou vont recevoir dans les prochains jours un courrier les invitant, dans un premier temps, à s'expliquer sur leurs pratiques.
Cette campagne "ne vise que les arrêts longs", car "ce ne sont pas les arrêts courts qui coûtent cher", et "uniquement les médecins généralistes traitants", a dénoncé la présidente de MG France, la Dre Agnès Giannotti, ce jeudi 19 juin, à l'occasion d'une conférence de presse. "C'est nous qui sommes la cible parce que c'est nous qui prescrivons les arrêts longs […] tous ceux qui font de la médecine générale [en] one-shot, [exercent] dans des centres de soins non programmés ou pour des plateformes ne sont pas concernés parce qu'ils ne prennent pas en charge les patients au long cours."
Or, "un médecin généraliste traitant dans son cabinet ne va pas arrêter sur une longue durée quelqu'un qui n'en a pas besoin. Il ne s'agit ni de fraude ni d'abus, ce sont des gens qui en ont besoin, et pour lesquels nous sommes coincés et nous ne trouvons pas d'autre solution que de les arrêter", a tenu à rétablir la généraliste parisienne.
"Des médecins consciencieux"
La précédente campagne, lancée à l'été 2023, avait abouti à la mise sous objectif (MSO) de 416 généralistes et à la mise sous accord préalable (MSAP) de 207 praticiens. Elle avait été "particulièrement traumatisante avec des collègues en pleurs, en particulier des jeunes femmes médecins généralistes, parfois installées depuis quelques années seulement, ciblées par la campagne et ne comprenant pas l'accusation" portée par l'Assurance maladie.
Le premier syndicat de généralistes avait, à cette occasion, dénoncé la méthode de ciblage des médecins. "C'était souvent des [confrères] particulièrement consciencieux qui se retrouvaient dans l'œil du cyclone, et il y en a qui sont partis, qui ont quitté la profession après à peine quelques années d'exercice", se souvient Agnès Giannotti. Pour cette nouvelle campagne, "on a exactement le même phénomène", a poursuivi le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat. "Les profils [de médecins concernés par cette campagne] que j'analyse montrent des gens qui ont une pratique tout à fait consciencieuse."
Ce dernier pointe également de "grandes disparités départementales" dans le ciblage. "Un tiers [des médecins ciblés] sont seulement sur 5% du territoire. Ce sont des territoires où il y a de véritables bassins de pauvreté, ça nous interroge", soulève Agnès Giannotti.
Une réunion de travail pour présenter cette campagne aux syndicats a été organisée le 11 juin à la Cnam. "C'est hallucinant, surréaliste. Cette réunion ne s'est pas tenue en amont. La campagne a été lancée avant toute concertation" contrairement "aux engagements pris dans la convention" médicale, fustige la syndicaliste. "Ce qui en dit long, c'est que celui qui a mené cette réunion, c'est le directeur adjoint responsable des fraudes", a ajouté la généraliste. "Il y a une ambiguïté entretenue sur la problématique des IJ et de la fraude."
"Le directeur adjoint [de la Cnam] a parlé de 'procédure contradictoire', c'est bien le vocabulaire juridique en cas de mise en accusation de quelqu'un, utilisé dans les tribunaux", s'insurge-t-elle encore. Et le Dr Nogrette de pointer : "Dans les quelques entretiens MSO qui ont déjà eu lieu, le 'contradictoire', c'est un médecin qui se retrouve face à deux médecins conseils et deux administratifs de la Caisse tout seul à devoir se justifier, alors que comme il y a des administratifs il ne peut pas présenter les dossiers des patients et donc les motifs d'arrêt. Bref, c'est un tribunal très asymétrique."
Un climat de "terreur"
"On veut pourrir la vie de la profession", s'émeut Agnès Giannotti, qui observe que, comme en 2023, le calendrier de lancement de cette campagne, juste avant les vacances d'été, porte un coup aux généralistes. "Ils ne pouvaient pas faire ça au début du mois de septembre ? Je ne peux pas croire au hasard du calendrier", accuse la présidente de MG France, n'hésitant pas à parler de "maltraitance", de "pression psychologique" voire de "terreur".
Refusant que les généralistes soient de nouveau les boucs-émissaires, et face à "l'opacité" de la Cnam sur la méthode de ciblage, MG France a annoncé une opération "transparence IJ" à l'occasion de son congrès au Havre, le 6 juin dernier. Cette opération va se dérouler "en trois axes", a détaillé Jean-Christophe Nogrette. D'abord, une communication à la presse, puis une communication à l'égard des patients, qui se verront remettre par leur médecin des fiches "pour qu'ils soient informés", et une campagne en direction des médecins "pour qu'ils nous soumettent leurs difficultés".
Objectif : "soutenir les confrères face à cette épreuve" et "prendre à témoin les malades", en rappelant à ces derniers que "les prescriptions d'arrêts maladie servent à les mettre à l'abri", a précisé le secrétaire général adjoint, appelant les médecins à refuser la MSO.
En outre, "tous les médecins vont être incités à faire la liste de leurs patients en arrêt de plus de 45 jours [arrêt long] et puis d'adresser un message aux médecins conseils" via la messagerie sécurisée "pour décrire les cas et se mettre à l'abri de poursuite". "Nous allons partager avec le service médical la responsabilité de ces arrêts longs", poursuit Jean-Christophe Nogrette, regrettant "l'incapacité de la Cnam à faire démarrer" le service SOS IJ, "toujours en expérimentation".
Pour Agnès Giannotti, cette nouvelle campagne MSO/MSAP, quasi-identique à la précédente, "dénote" surtout "l'incapacité structurelle du pays à agir sur les causes de ces arrêts longs" : les troubles musculosquelettiques, les difficultés d'accès aux autres spécialités, le management toxique et la pénurie de médecins du travail, sans oublier l'épidémie de pathologies mentales. "C'est 20% de notre activité, ce qui est totalement négligé par les pouvoirs publics. […] On a une injonction paradoxale qui nous dit 'prenez soin de ces patients, c'est la grande cause nationale', et de l'autre on nous dit 'ne les arrêtez pas'."
"Tous les arrêts qui ont été contestés sont dans le domaine de la pathologie mentale, c'est ça qui est visé en premier. Donc qu'est-ce qu'on fait de ces patients, on ne les soigne pas ?", s'offusque la généraliste de la Goutte d'Or. "Les gens qui se sont suicidés chez Orange, c'est trop tard, on veut absolument éviter ça", insiste la praticienne. "Les médecins traitants sont des régulateurs psychosociaux […] Le mal-être c'est dans nos cabinets qu'il arrive. Si on nous enlève ce rôle, la population et les politiques paieront le prix cher", prévient-elle.
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