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Plus de MSO, plus de pénalités : la Cour des comptes appelle à renforcer le contrôle des médecins prescripteurs d'arrêt maladie

Alors que les dépenses d'indemnisation des arrêts maladie augmentent fortement et que les effectifs des médecins-conseils chutent inexorablement, la Cour des comptes recommande à la Cnam de concentrer ses efforts sur les prescripteurs plutôt que sur leurs patients. En la matière, les entretiens confraternels, les mises sous accord préalables (MSAP) et surtout les mises sous objectifs (MSO) permettent de réaliser de substantielles économies, calculent les Sages. 

06/05/2024 Par Aveline Marques
Cochon.

Depuis 2010, les dépenses d'indemnités journalières (IJ) ont augmenté en moyenne chaque année de 3.8%, pour atteindre 16 milliards d'euros en 2022. Si une partie de cette hausse est imputable à des causes structurelles (augmentation et vieillissement des actifs, hausse des salaires), l'augmentation de la durée des arrêts et surtout du taux de recours amène la Cnam à renforcer ses actions de contrôle, avec en ligne de mire, un objectif de 400 millions d'euros d'économies à réaliser en 2024.

Alors que la Cnam dévoilera prochainement ses prochaines actions dans son rapport charges et produits 2025, la Cour des comptes formule des recommandations en la matière. Dans un rapport relatif à l'"examen de la gouvernance et de certaines fonctions de gestion de la Cnam" (exercices 2017-2022), rendu public le 2 mai, les Sages appellent ainsi à "recentrer" le service médical sur ses missions de contrôle des professionnels de santé prescripteurs, en particulier des médecins.

Car les directions régionales du service médical, qui employaient au total 6 828 agents (contre 2 369 pour le siège de la Cnam) en 2022, peinent à atteindre leurs objectifs en matière de suivi des arrêts des assurés, relève la Cour des comptes. Sur les 79 indicateurs qui évaluent leurs "performances" en la matière, 32 sont inférieurs à la "valeur socle" (minimale) qui a été fixée. Par exemple, seuls 57.3% des arrêts de travail pour maladie concernant des assurés admis en ALD non exonérantes sont contrôlés avant 180 jours, alors que la valeur socle a été fixée à 70% et l'objectif à 80%.

 

Entretiens, MSO, MSAP : 59 millions d'euros d'économies en 2018-2019

Alors que les médecins généralistes libéraux sont à l'origine de 67% des dépenses d'IJ** (17% pour les autres médecins spécialistes, 16% pour les établissements), "la faiblesse du suivi par le service médical des arrêts décidés par les médecins traitants confirme la nécessité de recentrer l'activité des praticiens-conseils sur l'analyse des actes de leurs confrères libéraux dans le domaine des IJ", juge la Cour des comptes.

D'autant que le temps de travail des praticiens-conseils est de plus en plus rare et précieux, leur effectif diminuant d'année en année (voir encadré). Et que la "surveillance graduée" des généralistes "fortement atypiques sur leurs prescriptions d'IJ" (entretien préalable, entretien d'alerte, MSO, MSAP) mise en place depuis 2013, elle, produit ses effets.  

 

La campagne 2018-2019, par exemple, qui a concerné 403 généralistes, dont 37 ont été finalement mis sous objectifs (MSO), a permis de dégager 59 257 285 euros d'économies en diminuant les prescriptions d'arrêts, calcule la Cour. Pour cette campagne, 47 540 824 euros ont été dégagés grâce aux seuls effets positifs des entretiens préalables, montrent les chiffres. Ces entretiens, bien que parfois mal vécus par les généralistes, confirment donc "leur pertinence, dans la mesure où ils sont moins consommateurs de temps pour les médecins-conseils" que les MSAP, qui impliquent la validation par ces derniers de chaque arrêt de travail prescrit par le généraliste.  

 

Revenir sur la possibilité de refuser une MSO

La "lourdeur de la procédure et le temps de praticiens-conseils mobilisé par la MSAP plaident pour privilégier le recours aux MSO", relèvent les Sages. Pour cela, il faut "revenir sur la capacité actuelle d'un prescripteur de refuser une MSO", insistent-t-il. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 a étendu la procédure aux centres de santé et aux plateformes de téléconsultations et, surtout, l'a "simplifiée" et "raccourcie" en supprimant l'avis obligatoire de la commission des pénalités financières avant la décision de MSO et MSAP, étape auparavant essentielle du processus contradictoire. "La contradiction pourra désormais être organisée directement devant le directeur", souligne le rapport.

Si la Cour salue la volonté de l'Etat et de la Cnam de renforcer les contrôles, elle pointe en revanche la "faiblesse" des sanctions prononcées, qui "nuit sensiblement à l'utilité du dispositif". Sur les 37 généralistes sous MSO à l'issue de la campagne 2018-2019, 25 ont atteint les objectifs fixés et parmi les 12 autres, "trois seulement se sont vu infliger des pénalités d'un montant compris entre 500 et 6 848 euros", déplorent les Sages. "Quant aux procédures de MSAP, leur mise en œuvre n'entraîne en définitive aucune sanction du médecin, ni des assurés – seulement la reprise du paiement indu par l'Assurance maladie – sauf en cas de récidive pour le prescripteur." "Insuffisamment dissuasif", assène la Cour des comptes.

Interrompue durant la crise sanitaire, ces actions d'"accompagnement" ont repris de plus belle en 2023. Sur les 1 000 généralistes forts prescripteurs ciblés, 400 ont été mis sous objectifs et 300 risquaient une MSAP, d'après le dernier bilan dressé en décembre dernier. Contactée par Egora, la Cnam n'a pas été en mesure d'indiquer le nombre de médecins finalement placés sous MSAP en ce début d'année 2024.

 

*L'accompagnement des offreurs de soins ne représente actuellement que 3.8% du temps de travail  

**Les arrêts de plus de six mois représentent 6% des prescriptions et 44% du poste IJ ; les arrêts de moins de 45 jours représentent 46% des prescriptions et 4% du poste d'IJ. 

 

Les médecins-conseils, une ressource devenue rare

Ils étaient 1 761 en 2017 et n'étaient plus que 1 547 en 2022. Du fait de nombreux départs à la retraite et de quelques démissions (une trentaine par an), l'effectif des praticiens-conseils ne cesse de diminuer. Une baisse qui n'a pas été enrayée avec la suppression du concours annuel en 2018. Malgré l'organisation de deux ou trois campagnes de recrutement chaque année, avec sélection par un jury, 60% des postes ouverts ont été pourvus en 2019, seulement 40% en 2020, 37% en 2021 et 38% en 2022.  

La Cour des comptes recommande à la Cnam de recruter davantage de praticiens chez les dentistes et les pharmaciens et encourage à développer encore la délégation de tâches au sein du service médical : le nombre d'infirmiers de service médical est appelé à croître (de 300 à 1000 d'ici fin 2027) afin de participer aux actions de conseil et de contrôle auprès des professionnels de santé (en particulier des Idel), "en épaulant les praticiens-conseils dans l'élaboration de leur avis médical par le recueil préalable de données de santé des assurés et par l'explication des décisions rendues". Ainsi, les médecins-conseils pourront se concentrer sur les "dossiers à forte valeur médicale ou sur les situations requérant un examen clinique médical ainsi que les échanges confraternels", appuie la Cour des comptes. 

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Claire FAUCHERY

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3 débatteurs en ligne3 en ligne
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 2 ans
Il faut comprendre que tout est fait pour faire plaisir aux syndicats employeurs majoritaires au conseil de la CNAM : - Baisser les arrêts de travail car ceux-ci posent des problèmes d'organisation du travail, sans parler des accidents du travail. - Lâcher du lest sur les mises en invalidité ( l'employeur sait qu'il peut embaucher) d'où le fait de passer en invalidité les arrêts dés qu'ils commencent à durer en utilisant une définition biaisée de la stabilisation qui ne répond plus à la définition reconnue de la stabilisation médicale. Et depuis que ce sont les infirmières qui prennent les décision des mises en invalidité, parfois sur un simple contact téléphonique, c'est l'open bar. Il faudrait que nous ayons un comparatif entre le cout des arrêts de W et les invalidités qui en plus génèrent une exonération du ticket modérateur.
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 2 ans
"la Cour des comptes recommande à la Cnam de concentrer ses efforts sur les prescripteurs plutôt que sur leurs patients" Ils ne sont pas cons. Ils ont bien compris qu'il faut laisser aux médecins le rôle de méchant. L'état, lui, est la gentille mère nourricière. C'est au médecin que revient le rôle de père fouettard. Subtilement, l'arrêt maladie est la situation par default, et le travail devient l'exception. Le médecin ne pose pas l'indication de l'arrêt, mais il doit justifier le refus. Exactement la même logique que pour les transports sanitaires (partagées ou pas, d'ailleurs). Ou pour les hospitalisations à rallonge. Au lieu de dire clairement à la population: l'open bar, ce n'est pas possible, ils laissent le mauvais rôle au médecin. C'est d'autant plus pervers que le médecin ne saura de travail que ce que le patient lui dit. Quand le patient se déclare "harcelé" au travail, qui peut dire que ce n'est pas simplement le patient qui a un poil dans la main ? ou qu'il est dans un poste qui dépasse ses compétences ? Et, même, est-ce que c'est au médecin de jouer les arbitres dans cette relation de couple ?
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268 points
Incontournable
Médecine générale
il y a 2 ans
La cour des comptes est là pour limiter les dépenses publiques . Il est effectivement plus "rentable" de coller des amendes aux médecins (ces gros richards qui sen mettent plein les poches avec l'argent public ) sur la simple base statistique sans chercher à comprendre l'origine de l'augmentation des arrêts maladie que de faire des contrôles ciblés. L'injustice flagrante de ce procédé n'est clairement pas leur problème.
 
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