Marche blanche des soignants et des soignés, samedi 4 octobre, à Paris. Crédit photo : Pauline Machard.
"Quand les soignants sont dans la rue, c'est que c'est grave" : à Paris, au cœur de la marche blanche pour la santé
Alors que des rabots budgétaires ont été envisagés sur la santé, quelques centaines d'acteurs du soin et d'usagers ont participé, samedi 4 octobre, à une "marche blanche", initiée par le Collectif santé en danger. Leur but : obtenir la "sanctuarisation" de l’enveloppe du secteur.
Marche blanche des soignants et des soignés, samedi 4 octobre, à Paris. Crédit photo : Pauline Machard.
Paris, 6e arrondissement. Il est 14 h. Petit à petit, la place Edmond-Rostand se remplit d'hommes et de femmes vêtus de blanc. Ils se sont donné rendez-vous là, juste en face de l'entrée principale du jardin du Luxembourg. Ils sont médecins, paramédicaux, exercent à l'hôpital, en clinique, en ville. Ils sont usagers du système de soins. Tous ont répondu à l'appel à une "marche blanche", unitaire, en faveur de la "sanctuarisation" du budget santé.
Le Dr Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur à Hénin-Beaumont, en est à l’initiative. Le fondateur du Collectif santé en danger l'a imaginée après que, mi-juillet, l'ex-Premier ministre François Bayrou a annoncé 5,5 milliards d’économies sur la santé en 2026. Au fil du temps, une trentaine d'organisations se sont associées au projet. La question de la programmation a été étudiée : à la rentrée ? Non, "trop le bordel". Ce sera le 4 octobre. Nul, alors, n'imaginait qu'en ce jour de 80e anniversaire de la Sécu , il y aurait des tractations sur la composition d'un nouveau Gouvernement… Et que celles-ci entraîneraient la démission du Premier ministre.
"Réunis pour le soin démuni"
Tandis que la place Edmond-Rostand, point de départ de la marche, se pare de plus en plus de blanc, les responsables des organisations de soignants et d'usagers participantes (non majoritaires dans leur profession) improvisent une tribune dans un abribus. Le Dr Patrick Pelloux, président de l'Association de médecins urgentistes de France (Amuf), gère la sono. Arnaud Chiche passe, tour à tour, le micro. Chaque intervention sera acclamée, applaudie.
Parmi les intervenants : la Dre Sophie Bauer, du Syndicat des médecins libéraux (SML). La présidente de l'organisation déplore que Bercy voit chez les soignants une "variable d'ajustement [du] déficit", fustige les "injonctions paradoxales des tutelles qui demandent de soigner toujours plus de patients avec toujours moins de moyens". Prône "un retour à l'humain", une gouvernance confiée aux soignants et un virage préventif, pour "des économies intelligentes". La Dre Moktaria Alikada (Médecins pour demain) pointe le manque de moyens, obstacle au "travailler bien", et honnit le discours selon lequel la santé est "un coût" et non "un investissement".
François Desriaux, président de l'Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), met en avant une traduction concrète des coupes : "la suppression du dispositif de surveillance des mésothéliomes". Pour Diane Braccagni Desobeau, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (Onsil), il "faut absolument protéger l’accès légitime à la santé". Même si la "dette publique doit être maîtrisée", la santé doit être sanctuarisée.
Au total, ils seront 15 à s’exprimer : des représentants des médecins libéraux (SML, Médecins pour demain, le Dr Saïd Ouichou) ; des hospitaliers (SNMH-FO, IPADECC, SNEPH, SNPHAR-e) ; des infirmiers libéraux (Onsil, Infin’Idels) ; des centres de soins non programmés (FFCSNP) ; du collectif PASS-LAS et des usagers (Emmanuel d’Astorg, Andeva) ; une sage-femme ; des internes (Isni). Ils ont des divergences, bien sûr. Mais là, ils s'intéressent à leurs convergences. Ils sont "réunis pour le soin démuni". Ce qui est "historique et très rare”, soulève Patrick Pelloux. La Dre Bauer met en avant un "fond commun de valeurs", qui rapproche.
Pour elle, il "faut qu’il y ait un sursaut dans ce pays pour dire : ‘On sanctuarise la santé’”. “À chaque loi de santé, poursuit-elle, on dégringole de 3-4 places dans le classement [des systèmes de santé, établi par le Legatum Prosperity Index]. On était les premiers en l’an 2000 et d’hyper-administration en hyper-administration, on est maintenant au 16e rang mondial. On veut reprendre cette première place.”
"Si tu veux la santé, investis dans le soin"
C'est l'heure de prendre la direction du très chic 7e arrondissement, où siège le ministère. La cohorte blanche s'ébranle. Les marcheurs sont quelques centaines, peut-être 1 000. L'arrivée d'un car de retardataires est accueilli par des applaudissements. Arnaud Chiche se réjouit de l'affluence (même si moins qu'espéré), de la diversité des profils, qui viennent en outre "de la France entière". Tous reprennent les slogans crachés au mégaphone, tel : "La Sécu, on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder". Ils complètent ceux écrits sur les blouses, pancartes : "Ne laissons pas la dégringolade financière privatiser notre système de soins", "si tu veux la santé, investis dans le soin."
Parmi les participants, Corinne, préparatrice en pharmacie à Angoulême, mobilisée pour "la santé des concitoyens". Comme les représentants, elle constate que les acteurs du soin n'ont pas vraiment les moyens de “ce pour quoi on a choisi notre métier”. Elle est témoin des conséquences : des officines qui peinent à être reprises, ferment ; la galère au comptoir pour trouver un médecin aux dépourvus ; les facs vides…. Et ce n'est que le début. Pour elle, il faut agir maintenant.
Il y a aussi Agnès, infirmière à Metz. En début de carrière en 1994, elle a été brancardière, aide-soignante, infirmière, infirmière hygiéniste, puis d'entreprise. Elle a "vu les choses se dégrader, notamment depuis les années 2000, avec la T2A”, et ce que soit sur “le plan des moyens humains, matériels, organisationnels”. Elle prend aussi le pouls via les récits de ses patients sur l’hôpital, l'Ehpad.
Souvent, le national et le très local se mêlent. Les Drs Dominique Thévenieau et Jean-Paul Vallon, médecins retraités, président et vice-président du comité des usagers de l’hôpital d'Apt, portent une banderole XXL en défense de l’établissement. Tous deux sont engagés contre la fermeture des services de chirurgie et d'endoscopie. À quelques pas, la Dre Geneviève Hénault, psychiatre aux hôpitaux Paris Est Val-de-Marne, porte sur sa blouse ses revendications : "Du fric pour l’hôpital public", particulièrement pour la psychiatrie, “discipline négligée dans les financements de manière historique et qui conduit à des soins indignement dégradés”, explique-t-elle.
Tous en PLS !
La psychiatre s’est aussi mobilisée parce qu’elle est “convaincue", depuis plusieurs années, qu’il est “nécessaire” de manifester soignants et usagers, côte à côte, car “les mobilisations des soignants, en général, ne trouvent pas d’écho auprès de nos décideurs et politiques”. Sur place, il y a bien des usagers dans le cortège, mais cela n'empêche pas les marcheurs de multiplier les invitations pour que d’autres viennent : flyers, appels au micro : "Les patients, avec nous !”, “Soignants, soignés, solidarité.” Sur le parcours, le cortège ne laisse pas indifférent. Déjà parce qu’une "manif dans le 7e, c’est rare !”, rit une jeune fille.
Mais aussi parce que voir des blouses blanches défiler marque : "Quand les soignants sont dans la rue, c’est que c’est grave", commente un monsieur. “On ne peut pas ne pas les épauler”, pose une femme, dont la fille est médecin. Elle a aussi connu, en tant que soignée, le manque de bras à l’hôpital : “Il y avait des lits… Mais pas de soignants”. “La dégradation des conditions de travail des soignants entraîne la dégradation de la prise en charge des malades. On a tous intérêt à agir”, dit François Desriaux. "Soignant malmené = patient en danger”, est-il écrit sur les pancartes. Ou encore : “Je disparais, tu meurs”.
Au bout d’1h30 de déambulation - ponctuée d'une minute de silence pour la santé -, les marcheurs arrivent place de Breteuil, à 700 m du ministère. Au départ, le souhait était qu'une délégation y soit reçue. Mais l'attente de la composition du Gouvernement Lecornu a contrecarré les plans : pas encore de nouveau délégué à la Santé, un ministre démissionnaire qui ne peut recevoir…
Était-ce le moment opportun pour faire la marche ? Pour avoir l'écho espéré ? "On m’a annulé 3 plateaux, donc manifestement, non, le moment n’était pas opportun”, sourit Arnaud Chiche. Sophie Bauer pense qu’ au contraire, c’était “le meilleur moment”, “avant la loi de financement de la Sécurité sociale”, “juste avant qu’on augmente les franchises pour les patients”, “qu’on rabote sur les ALD”, “les honoraires des soignants”. Le collectif élargi, en tout cas, n’aurait pas décalé la date : “C’est 4 mois d’organisation”, fait savoir Arnaud Chiche.
Certes, ils n’ont pas été reçus, “mais je ne pense pas qu’on puisse en rester là”, pose Olivier Varnet, du syndicat national des médecins hospitaliers FO (SNMH-FO). Il poursuit : “Ce qu’on a fait aujourd’hui, ce n’est que le début du regroupement de tous les professionnels de santé avec les malades, pour ne pas accepter ces budgets de misère”, dit-il, sous les applaudissements. “Il faut qu’on prenne date pour continuer ce mouvement, l’amplifier”. En attendant, pour clore la marche blanche avec “un truc un peu visuel”, le médiatique Arnaud Chiche propose aux marcheurs de s'allonger sur le bitume : “La santé en PLS !” “La santé à terre”. Elle ne demande qu’à ce qu'on lui donne les moyens de se relever.
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