Manifestation des soignants libéraux à Paris, mardi 1er juillet 2025

Crédit photo : Louise Claereboudt

"Je songe à partir m'installer à l'étranger" : dans les rues de Paris, avec les soignants "trahis"

Ce mardi 1er juillet, des centaines de soignants libéraux ont manifesté à Paris, sous un soleil de plomb, pour dénoncer plusieurs mesures d'économies prises par le Gouvernement. Au premier rang desquelles, le report des revalorisations tarifaires pour les médecins spécialistes, kinés et dentistes. Reportage. 

01/07/2025 Par Louise Claereboudt
Reportage Rémunération
Manifestation des soignants libéraux à Paris, mardi 1er juillet 2025

Crédit photo : Louise Claereboudt

"J'ai 49 ans et c'est la première fois que je fais grève de toute ma vie." Casquette vissée sur la tête, Christophe Salaris, kinésithérapeute à Valenton (Val-de-Marne), voit rouge. Ancien de la fonction publique, le professionnel pensait s'épanouir dans le libéral en tant que kiné-ostéopathe, mais la désillusion est arrivée plus vite que prévue. "Je songe à partir m'installer à l'étranger. Là-bas, on aura une meilleure valorisation et un plus grand respect pour notre profession", lâche-t-il, amer, sous le barnum du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (SNMKR), qu'il a rejoint il y a un an.

Comme lui, des centaines de soignants libéraux se sont donné rendez-vous, ce mardi 1er juillet, malgré la canicule, sur l'esplanade des Invalides, à Paris, répondant à l'appel du collectif des #SoignantsTrahis, qui rassemble 14 organisations représentatives des professionnels de santé libéraux. La raison de leur colère ? Le report des revalorisations tarifaires conventionnelles - initialement prévues pour le 1er juillet - au 1er janvier 2026, consécutif à l'alerte émise sur un risque de dérapage de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie 2025.

Ce gel tarifaire touche trois professions : les médecins spécialistes, les dentistes et les kinés. Pour ces derniers, la revalorisation devait être de l'ordre "de +8% sur les actes de kinésithérapie les plus courants", rappelle la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR). "On prive une profession qui a perdu 20% de pouvoir d'achat en moins de dix ans…", dénonce son président, Sébastien Guérard, évoquant "une rupture du contrat entre l'Assurance maladie et les professionnels". Pour le syndicaliste, les kinés sont des "dommages collatéraux". Ils n'ont "absolument aucun levier" sur les "dérives" identifiées par le comité d'alerte, à savoir les dépenses hospitalières, les dépenses de médicaments et la hausse des indemnités journalières (IJ).

"Ce sont des dépenses qui ne nous incombent pas", abonde Léa Tirbisch, du SNMKR, une bouteille d'eau accrochée à la ceinture. "Ces revalorisations étaient très attendues parce que les précédentes ont été très minimes", ajoute la kinésithérapeute de Lyon âgée de 34 ans, qui a décidé de fermer son cabinet pour "redevenir assistante". "J'ai revendu [mon cabinet], c'était trop dur. Je faisais 40 heures par semaine pour à peine plus d'un Smic une fois toutes les traites payées", confie la professionnelle, enceinte. "On est tous pris à la gorge. Les taxes augmentent, tout augmente, mais nous on est la huitième roue du carrosse", lâche Christophe Salaris.

Christophe Salaris et Léa Tirbisch. Crédit photo : Louise Claereboudt

Ce report des revalorisations tarifaires est d'autant plus difficile à accepter que les kinésithérapeutes ont accepté de nombreuses contraintes dans le cadre des négociations conventionnelles, notamment sur l'installation des futurs diplômés. Même son de cloche du côté des Chirurgiens-dentistes de France (CDF). "On nous supprime nos revalorisations mais on ne nous supprime pas nos contraintes", fustige Catherine Mojaïsky. "Chez les chirurgiens-dentistes ne sont touchés que les spécialistes en chirurgie orale, qui ont les mêmes revalorisations prévues que les chirurgiens médecins, mais on a d'autres choses dans notre convention qui nous posent pas mal de problèmes, dont le tiers-payant obligatoire sur la prévention AMO et AMC. C'est le bordel absolu. Nos confrères qui acceptent d'appliquer le tiers-payant AMO AMC se retrouvent avec des impayés…"

 

Les psychiatres vont perdre 6 000 euros à peu près sur l'année

Kinés et dentistes ne sont pas les seuls à être "punis". Les médecins spécialistes aussi. La consultation de référence des psychiatres et des neurologues devait notamment passer à 52 euros (+2 euros), celle des gériatres à 37 euros (+5 euros), celle des médecins MPR à 35 euros (+4 euros) et celle des pédiatres à 40 euros (+1 euro). "S'il y avait des revalorisations pour certaines spécialités, c'est parce que ce sont les spécialités les plus sinistrées, rappelle le Dr Raphaël Hocquemiller, gynécologue à Paris et vice-président de la branche spécialiste de la Fédération des médecins de France (FMF). L'objectif était d'équilibrer un peu les choses."

"Les psychiatres vont perdre 6 000 euros à peu près sur l'année", précise la présidente de la fédération, la Dre Patricia Lefebure, lunettes de soleil accrochées à son t-shirt. Et son confrère d'ironiser : "alors que la santé mentale est la grande cause nationale…"

Raphaël Hocquemiller et Patricia Lefebure. Crédit photo : Louise Claereboudt

"Quand on a signé cette convention, on a eu beaucoup de difficultés à expliquer aux médecins qu'on n'aurait pas [toute l'enveloppe] le premier jour […], qu'il y aurait une application progressive [des revalorisations] sur les cinq ans de la convention. Il a fallu expliquer à des pédiatres, à des psychiatres, à des endocrinologues, à des gynécologues médicaux, à des rhumatologues qu'ils devraient attendre un an pour avoir leur revalorisation. Il a fallu expliquer à ceux qui pratiquent des actes techniques que pour la revalorisation du point travail, gelé depuis plus de 15 ans, il faudrait attendre encore un an", rappelle le Dr Franck Devulder, président de la CSMF.

Et d'ajouter : "…et huit jours avant [l'application de ces revalorisations], le comité d'alerte se met en branle […] et la première mesure qui est prise, c'est de geler les nouveaux honoraires" des soignants libéraux. "Ça ne sert à rien de négocier une convention si après tout nous tombe d'en haut sans qu'on ait notre mot à dire", tance Patricia Lefebure.

Malgré un sourire de façade, Franck Devulder se montre pessimiste. "Ça ne va pas s'arrêter là, je ne me fais aucune illusion", confie-t-il, indiquant que des mesures d'économies touchant l'imagerie sont attendues dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Son confrère des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, s'inquiète aussi pour les revalorisations qui doivent intervenir courant 2026, notamment le forfait médecin traitant, et qui risquent d'être, elles aussi, reportées. "Si Thomas Fatôme [directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie] voulait donner raison aux syndicats qui sont contre la convention médicale et à ceux qui plaident pour le déconventionnement, il ne s'y prendrait pas autrement !"

Il faut arrêter de nous rendre responsables de tous les problèmes !

A l'ombre, sous un chapiteau, Patricia Lefebure dépeint un climat délétère et orageux entre les partenaires conventionnels. "Il y a aussi une nouvelle campagne MSO/MSAP qui nous tombe dessus", rappelle la généraliste à la tête de la FMF. La syndicaliste s'agace des "injonctions contradictoires" lancées aux médecins généralistes. "On nous dit de prendre plus de patients médecin traitant, en priorité en ALD, mais évidemment ce sont ceux qui ont le plus besoin d'arrêt de travail et de médicaments chers… Si on fait des arrêts, ce n'est pas par plaisir. Les médicaments, ce n'est pas nous qui fixons les prix. Il faut arrêter de nous rendre responsables de tous les problèmes !"

Pas concernés par le gel des revalorisations, les pharmaciens ont répondu en nombre pour dénoncer l'abaissement prochain du plafond des remises des génériques. Actuellement fixé à 40%, il devrait être divisé par deux selon un projet gouvernemental. "C'est inacceptable, c'est une insulte !", a crié le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Besset, debout sur une camionnette, micro à la main. "Les pharmacies vont sûrement devoir couper dans leur masse salariale pour pouvoir maintenir le réseau officinal, déjà en souffrance", a alerté Lucie-Hélène Pagnat, directrice générale de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (Uspo), alors que le cortège se dirigeait vers le ministère de la Santé, où une délégation a été reçue aux alentours de 14 heures.

Discours de Philippe Besset à la manifestation des libéraux, ce mardi. Crédit photo : Louise Claereboudt

En queue de peloton, Diane Braccagni Desobeau, présidente de l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (Onsil), exhibe une pancarte sur son torse. L'IDEL a souhaité apporter son soutien aux soignants libéraux lésés, et faire part de sa crainte "que le même scénario se reproduise [pour les infirmières]". Celles-ci doivent prochainement négocier avec l'Assurance maladie pour mettre en œuvre les évolutions actées dans la loi infirmière, définitivement votée il y a 10 jours. Mais les futures discussions s'annoncent tendues. "La Cnam a lancé les hostilités par la parution d'une circulaire, qualifiée de circulaire de la honte", sur les actes de perfusion, dénonce la syndicaliste. Ce texte "impose notamment une limitation à une seule cotation AMI 14 par jour, même lorsqu’il s’agit de deux actes distincts, réalisés à des horaires différents", pointe Convergence Infirmière. 

"On a une très belle loi infirmière mais monsieur Fatôme détricote tout ce qu'elle nous a donné, déplore Diane Braccagni Desobeau,  c'est-à-dire un élargissement de nos missions et de l'autonomie dans un cadre sécurisé."

 Diane Braccagni Desobeau. Crédit photo : Louise Claereboudt

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Claire FAUCHERY

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Photo de profil de Georges FICHET
6,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 5 mois
Je conseille à tous les soignants, médecins et paramédicaux, de ne plus de syndiquer (sauf à l'UFMLS pour les médecins !), de ne plus faire de grèves ou de manifs (ça ne sert plus a rien, car le gouvernement s'en tamponne le coquillard), mais de faire de DE systématiques et de redéfinir leurs honoraires de façon officieusement concertée. Et Sécu et mutuelles rembourseront comme ils le pourront. Na !
Photo de profil de Blue GYN
904 points
Débatteur Passionné
Gynécologie-obstétrique
il y a 5 mois
Ceci est un des nombreux tests de malléabilité, de servilité et de manque de courage qui est inscrit dans l'ADN de la grande majorité des médecins depuis toujours. Ce n'est pas à l'étranger qu'il faut s'installer mais bien en France MAIS en dehors du système CéPam. On bosse, on cote et la sécu rembourse ce qu'elle peut. A chaque consommateur de soins de réfléchir où passe son argent quand il a besoin d'être soigné. Tant que les médecins ne mouftent pas, se contentent de grévounettes ou de manifs symboliques sans nuisances, faut pas espérer une quelconque avancée. Mais ça, la sécu le sait bien, c'est un vœu pieux ... la preuve.
Photo de profil de Irimi Naje
97 points
Incontournable
Médecine générale
il y a 5 mois
maltraitance des soignants en France par la sécu . Vu l’Etat des finances , ce ne sera pas prêt de s’arranger . On se bat pour 2 euros de revalorisation, quand les politiciens s’auto-augmentent. en plus le ministre de la santé veut faire revenir les étudiants partis à l’étranger , j’en rigole . Les professions médicales et paramédicales sont condamnées à subir la loi de la sécu jusqu’au jour où tout le monde se déconventionnera , et tout est fait pour que ça arrive .
 
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