"On me fait passer pour un porte-parole des antivax!" : rejugé par l'Ordre des médecins, le Professeur Joyeux sera-t-il de nouveau radié ?

01/07/2023 Par A.M.
Déontologie
Radié en première instance en 2016, réintégré en appel en 2018, avant que le Conseil d'Etat ne casse la décision en 2019, le Pr Henri Joyeux comparaissait de nouveau devant la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins le 28 juin pour répondre de ses propos sur les vaccins. Au cœur des plaidoiries, la question de la liberté d'expression des médecins, et notamment des professeurs d'universités.  

 

C'est un homme serein ("joyeux", nous lance-t-il), fidèle à ses convictions, qui a pris place ce mercredi 28 juin dans la salle d'audience de la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins, au siège du Cnom, rue Léon-Jost, à Paris. La magistrate qui préside la formation restreinte commence par retracer le long parcours disciplinaire et judiciaire de cette affaire, qui a débuté en octobre 2014, lorsque le Pr Henri Joyeux, cancérologue spécialiste de la chirurgie digestive et viscérale, publie une pétition pour s'opposer à l'abaissement -alors préconisé par le Haut Conseil de santé publique– à 9 ans de l'âge de la vaccination contre les HPV. Pointant des "risques d'effets indésirables graves" avec les deux vaccins Gardasil et Cervarix et une efficacité qui n'est pas à la hauteur, il demande un "moratoire".  

 

Le Pr Joyeux est “sorti de son domaine de compétence” 

En juin 2015, le médecin récidive avec une autre pétition, sous forme de lettre à la ministre Marisol Touraine*, visant cette fois le vaccin hexavalent Infanrix Hexa. Alors que le vaccin contenant les trois valences obligatoires à l'époque, le DTPolio, n'est plus disponible, le Pr Joyeux estime que les "Français sont piégés par la loi et les laboratoires". Pour se conformer à l'obligation vaccinale, ils sont contraints de vacciner leurs enfants contre l'hépatite B, la coqueluche et le Hib (des vaccinations qui ne sont alors que "recommandées") avec un vaccin contenant un adjuvant aluminique et du formaldéhyde, "deux substances dangereuses, voire très dangereuses pour l'humain et en particulier le nourrisson, pouvant provoquer une grave maladie, la myofasciite à macrophages". Il ajoute que le vaccin contre l'hépatite B est "soupçonné d'un lien avec la sclérose en plaques" et que vacciner les enfants contre 6 maladies graves d'un coup est "un geste médical risqué, qui peut déclencher une réaction immunitaire incontrôlée (choc anaphylactique), ainsi qu'augmenter le risque de maladie auto-immune sur le long terme." 

En réaction à ces propos, le Cnom porte plainte, estimant qu'en proférant des propos qui "discréditent la vaccination", le Pr Joyeux a manqué à ses obligations déontologiques. En 2016, la chambre disciplinaire régionale de Languedoc-Roussillon prononce la sanction la plus lourde contre le cancérologue : la radiation. Le médecin fait appel. En juin 2018, coup de théâtre : la chambre disciplinaire nationale annule la radiation jugeant que la sanction prononcée en première instance n'était pas suffisamment motivée, que les propos du professeur Joyeux n'excédaient la liberté d'expression et ne violaient en rien le code de santé publique. Le Cnom n'en reste pas là et porte l'affaire au Conseil d'Etat, qui a cassé la décision de la chambre disciplinaire nationale en juillet 2019. Retour à l'envoyeur…  

 

“Où est l’imprudence?” 

"Le Conseil d'Etat vous enjoint à revoir votre copie, résume l'avocat du Pr Joyeux, qui plaide le premier. Pouvez-vous résister ?" Après avoir loué l'intégrité et la carrière de son client, qui "a plongé ses mains 30 000 fois dans le corps des malades avec son bistouri pour en retirer des tumeurs", l'avocat soulève deux points visant à saper la procédure du Cnom : la décision de porter plainte a été prise en l'absence d'un conseiller d'Etat ; et en abordant une controverse scientifique, Henri Joyeux est resté dans le cadre de ses missions de professeur des universités, qui échappent au pouvoir de sanction disciplinaire de l'Ordre : une pétition, argue-t-il, n'est rien d'autre que le moyen de diffuser un savoir au plus grand nombre. Argument balayé par l'avocat du Cnom : "Ce n'est pas dans son activité universitaire avec ses étudiants qu'il a tenu les propos qu'on lui reproche". Et en s'engageant sur le terrain de l'immunologie, Henri Joyeux est "sorti de son domaine de compétence", soutient-il. Ce qu'on lui reproche est donc détachable de son titre de professeur des universités. 

La défense en vient ensuite aux manquements déontologiques reprochés au cancérologue : dans sa communication au public, il n'aurait pas fait état des seules données confirmées par la science, et n'aurait pas fait preuve de "prudence" ; il n'aurait pas non plus apporté "son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire". Mais pour l'avocat du Pr Joyeux, "concourir" ne signifie pas "être d'accord à 100%" : "en matière scientifique, on exerce son esprit critique", lance-t-il. "On concourt bien en donnant son avis, plus ou moins divergent… et d'ailleurs il n'est pas totalement divergent si on lit bien la pétition." Henri Joyeux n'est pas anti-vaccin, il émet seulement des réserves sur certains vaccins et certaines modalités de vaccination, soutient la défense. Ce que l'intéressé ne manquera pas de clamer... : "On me fait passer pour un des porte-paroles des antivax, c'est n'importe quoi !" Sa démarche, explique le mis en cause, trouve sa source dans les nombreux témoignages de parents inquiets qu'il dit avoir reçus en tant que président du mouvement "Familles de France". Elle visait également à battre en brèche l'idée d'une efficacité totale des vaccins anti-HPV, alors qu'elle n'est que de 70% : "Tous vaccinés, tous protégés, c'est totalement faux", clame-t-il. "Où est l'imprudence ? interroge-t-il. De mon côté ou de ceux qui parlent de 98% de protection ?" 

 

“La liberté d’expression n’est pas illimitée” 

"Il n'est pas contre les vaccins… mais il est au moins contre les vaccins HPV et le DTP disponibles à l'époque", attaque l'avocat du Cnom, dénonçant la présentation "biaisée" de la défense. Pour ce dernier, les termes utilisés par le Pr Joyeux ne laissent aucune place au doute : pour les vaccins anti-HPV, il dit "non à la vaccination massive des enfants", les jugeant "pas efficaces donc potentiellement dangereux, voire mortels" ; quant au vaccin hexavalent, il affirme qu'il "contient des additifs neurotoxiques et peut être cancérogènes", qu'avec les adjuvants aluminiques, on "injecte du poison non pas à des adultes, mais à des nourrissons directement dans le sang" et que "le vaccin contre l'hépatite B provoque la sclérose en plaques" "Je ne comprends pas comment il faut s'exprimer pour s'opposer à la vaccination", ironise l'avocat du Cnom. 

 

La radiation de nouveau demandée 

Le débat porte au fond sur la liberté d'expression des médecins et sur les limites imposées par le code de déontologie. Au-delà de la controverse scientifique, le Pr Joyeux a-t-il simplement commis l'erreur d'exprimer ses réserves devant le grand public ? "La pétition vise à recueillir le plus de signatures possibles, elle doit être adressée au plus de monde possible", fait valoir le conseil du Pr Joyeux. Et de citer Robespierre : "Les despotes les plus absolus n'ont jamais osé contester ce droit". 

"Ce n'est pas ainsi que doit débattre le corps médical", insiste l'avocat du Cnom. Dans sa jurisprudence, le Conseil d'Etat a reconnu que les règles imposées aux médecins s'agissant de l'information au public (en particulier le fait de ne communiquer que des informations scientifiquement étayées) "sont justifiées par l'intérêt général", par la protection de la santé, rappelle l'avocat du Cnom. "La liberté d'expression n'est pas illimitée, pour quiconque, mais pour un médecin elle est un peu plus limitée."  

Le Cnom a de nouveau réclamé la radiation du Pr Joyeux, tandis que l'avocat du cancérologue s'est dit près à porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme. La décision de la chambre disciplinaire nationale devrait être notifiée à la rentrée. 

*Elle cumule aujourd'hui près de 1.2 million de signatures 

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