Ordre des kinés: "Les médecins ne sont pas nos ennemis"

04/11/2022 Par Louise Claereboudt

Dans une interview parue ce jeudi 3 novembre sur Egora, les présidents de MG France et des Généralistes-CSMF réagissaient aux travaux du comité de liaison inter-ordres (Clio). Ces derniers estiment que le Clio a été un "piège" tendu aux médecins, et alertent sur un risque de dépeçage de leur métier. Pascale Mathieu, présidente de l’Ordre des kinés, s’est dite "choquée par ces propos" et assure que l’objectif n’est pas de "se substituer" aux médecins traitants.   "Je suis profondément blessée", confie la présidente de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, jointe par téléphone ce mercredi 3 novembre. Le matin même, nous publions sur Egora une interview des Drs Agnès Giannotti et Luc Duquesnel, respectivement présidente de MG France et président des Généralistes-CSMF, dans laquelle les deux syndicalistes réagissaient aux travaux du Comité de liaison inter-ordres (Clio). Mi-octobre, les sept ordres des professions de santé s’étaient prononcés en faveur d’un partage d’actes et d’activités du médecin vers les autres soignants pour faciliter l’accès aux soins. Le Clio suggérait également dans les zones dépourvues en médecins généralistes traitants de confier une mission d’orientation et de prise en charge de "première intention" aux autres professionnels de santé du territoire. Pour les deux présidents de syndicats de généralistes, le partage d’actes dans un cadre coordonné et en cohérence par rapport au parcours de soins peut s’envisager, dans la mesure où le médecin traitant demeure le "pivot" de ce parcours. En revanche, la prise en charge en première intention d’un patient par un autre professionnel qu’un médecin semble une ligne rouge pour les Drs Giannotti et Duquesnel. "Cela va créer des orientations compartimentées et donc dégradées", s’inquiète la première. Tandis que les deux s’accordent pour dire qu’une telle mesure revient à "nier le rôle propre du médecin traitant" et fait courir le risque d’une "altération" de la qualité des soins aux Français. A quelques jours du début des négociations sur la prochaine convention médicale, qui doivent démarrer le 9 novembre à 14h30, le Dr Luc Duquesnel juge que le Clio "a été un piège tendu par le Gouvernement". "Il y avait sept présidents d’ordre, dont six qui s’attaquaient au président de l’Ordre des médecins en tentant de dépecer le médecin traitant – en se servant encore du problème de l’accès aux soins pour que ce soit la porte ouverte à tout." "Il ne pouvait être que piégé, abonde la Dre Giannotti. Soit il n’y allait pas et passait pour un corporatiste qui ne veut pas discuter, soit il signait et passait pour celui qui vend la profession." Pour Pascale Mathieu, présidente de l’Ordre des kinés, ces propos sont "choquants et blessants". "Le président de l’Ordre des médecins s’est positionné en responsabilité pour trouver une solution aux patients. Il a été très courageux. Il n’a pas du tout été menacé par les autres, ni attaqué. Je veux que les choses soient très claires. Nous avons à chaque fois réaffirmé le rôle essentiel du médecin. Il est hors de question de nier ce rôle", a-t-elle tenu à souligner. Affirmer qu’il a été pris en étau, "c’est faire fi du travail conjoint que nous avons voulu mener, et que nous souhaitons poursuivre ensemble". "Personne ne s’est attaqué à personne, vraiment. Les médecins ne sont pas nos ennemis", insiste-t-elle.

La présidente du CNOMK a souhaité rappeler que "ce n’est pas à l’initiative du Gouvernement que le Clio s’est réuni". "J’avais déjà proposé à Brigitte Bourguignon, lorsqu’elle était ministre de la Santé, que nous nous mettions tous autour de la table pour définir un parcours de soins amélioré et des orientations", explique-t-elle, alertant sur "la catastrophe en cours" liée au manque de médecins. "On m’avait dit ‘proposez, nous verrons bien'." "Avec [le Dr Arnault, président du Cnom], nous avions convenu qu’on ne pouvait pas laisser les Français sans médecin traitant et sans solution, et que nous devions en trouver."   "Le patient est au cœur du dispositif et non le médecin" Déplorant par ailleurs une incompréhension, Pascale Mathieu – qui rappelle que c’est "le patient qui est au cœur du dispositif et non le médecin" – a souhaité préciser les mesures prônées par le Clio afin de dissiper toute ambiguïté : "Personne ne veut se substituer aux médecins traitants." Elle évoque deux scenarii en fonction de la situation dans les territoires. Dans le cas où il existe un médecin traitant, qui travaille en collaboration avec une équipe, le Clio propose une "organisation souple" pour lui dégager du temps. "On peut imaginer que les médecins veuillent que le kinésithérapeute voie [un patient] en première intention. Cela peut aussi permettre au pharmacien d’adapter certains traitements dans ce cadre précis." La présidente de l’Ordre des kinés illustre cette première solution par un exemple : "Dans le Loiret, des kinés travaillent dans une maison de santé avec des médecins. Ces médecins nous ont demandé s’ils pouvaient étendre les protocoles que nous avions, ‘torsion de cheville’ et ‘lombalgies’, à toutes les pathologies musculosquelettiques pour gagner du temps en permettant aux kinésithérapeutes de voir ces patients en première intention, dans le cadre de l’équipe bien sûr." Dans le cas où il n’y a pas de médecin traitant, le Clio suggère de "faire des autres professionnels de santé, la porte d’entrée possible dans le système". "Je vous donne un exemple : Un patient atteint de la maladie de Parkinson n’a plus de médecin, ce dernier étant parti à la retraite. Il tombe à son domicile et se fait mal. Il appelle alors son kiné, qui le connaît et l’examine. Le kiné ne constate rien de grave. En revanche, il trouve qu’il marche beaucoup moins bien qu’avant, qu’il tremble, et parle moins bien. En tant que kiné, il peut se dire que la maladie a progressé que le traitement médicamenteux n’est plus adapté. Ce n’est pas lui qui va changer le traitement, mais il peut déclencher le rendez-vous avec le neurologue de suite, avec un canal favorisé. Il sera alors pris en charge. L’idée n’est pas de traiter le patient à la place du médecin mais, quand il n’y a pas de médecin disponible, de l’orienter dans le système."

Pascale Mathieu ajoute que cette mission d’orientation se conjugue à une volonté de trouver, à terme, un médecin traitant pour le patient. "Cette deuxième solution ne vise qu’à donner une réponse rapide à des personnes qui sont face à un problème de santé, et sans solution. La réponse est de les orienter vers un médecin in fine. Il ne s’agit en aucun cas de les dépouiller de médecin traitant." Selon la kinésithérapeute, qui a été référente santé d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, souligne que des dispositifs similaires ont été mis en place dans d’autres pays voisins, au Royaume-Uni ou encore au Danemark, et que "cela fonctionne". "Les médecins ne se sentent pas attaqués." La présidente du CNOMK termine son propos en s’adressant aux médecins généralistes : "Je comprends que ça vous heurte dans vos façons de faire mais quelles solutions proposez-vous pour les plus de 6 millions de personnes sans médecin traitant, en particulier ceux qui sont en ALD et qui ont besoin de soins ?" "S’ils ont une meilleure solution, entendons-les. Mais je n’en ai pas entendu à ce stade."

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