"Si on imagine qu’un pharmacien, un kiné et une infirmière font un médecin traitant, on est à côté de la plaque !"

Face au partage d’actes et au transfert d’activités prônés par le Clio, vous avez dénoncé une tentative de contourner le médecin généraliste traitant dans le parcours de soins. Pourquoi ?
Dre Agnès Giannotti : Notre réaction est tout sauf corporatiste. Du travail, nous, généralistes, n’allons pas en manquer. Ce n’est pas notre part du gâteau que nous voulons préserver, contrairement à ce qui est présenté. Le partage d’actes en soi est envisageable, mais tout dépend du cadre et du parcours de soins. Si ce partage d’actes se fait au détriment du parcours de soins du patient ou qu’il le désorganise, nous n’allons pas être d’accord.
Aujourd’hui, tout le monde peut vacciner. Quand des patients viennent me voir, je ne peux pas savoir qui les a vaccinés. Ça désorganise la prise en charge. C’est important d’avoir une personne responsable du parcours de soins. En revanche, s’il s’agit d’un partage d’actes réalisé dans mon cabinet avec mon infirmière de santé publique, Asalée ou l’IPA avec laquelle je travaille et avec qui je communique – via le DMP par exemple, cela me convient. Cela va m’aider à prendre en charge une patientèle plus importante. Le parcours de soins sera cohérent.
On ne dit pas du tout que les autres professionnels sont moins compétents, ce n’est pas la question, mais chacun a son domaine de compétences et son cadre de travail.
Ce qui nous a fâchés, c’est aussi de voir que l’on considère notre métier comme une succession de petits actes délégables. Or nous, médecins généralistes traitants, sommes des spécialistes de la prise en charge globale. Nous prenons en compte le côté somatique du patient, sa trajectoire de vie, sa culture, son environnement, son psychisme. Aujourd’hui, le politique ne comprend pas que ce qui fait notre spécificité, ce n’est pas de savoir si on pique ou on ne pique pas, mais de tenir compte de l’ensemble de ces problématiques…
Dr Luc Duquesnel : Il est évident que compte tenu des problèmes de démographie médicale, nous devons aujourd’hui nous coordonner entre professionnels de santé. Au niveau des territoires, on voit des médecins qui s’organisent, travaillent avec des infirmières (IPA, Asalée), des pharmaciens, etc. Nous l’avons très bien constaté dans le cadre de la crise sanitaire, avec la vaccination notamment. Le partage d’actes doit néanmoins être protocolisé avec le médecin traitant. Ce que nous voulons, c’est maintenir la qualité des soins avec le rôle du médecin traitant tout en travaillant avec d’autres professionnels. En revanche, ce que nous dénonçons dans le rapport du Clio, ce sont les transferts de compétences. Dire que des infirmières vont être en accès libre lorsqu’il n’y a pas de médecin traitant sur un territoire, c’est non ! Le rôle du médecin traitant dans le parcours de soins est essentiel, c’est le pivot.
Le Clio suggère en effet que d’autres professionnels de santé puissent prendre en charge un patient "en première intention" dans les zones où il n’y a pas suffisamment de médecin traitant, faisant d’eux des soignants de premier recours…
A. G : C’est exactement ce que l’on ne veut pas. Cela va créer des orientations compartimentées et donc dégradées. Non pas parce que le professionnel n’est pas compétent, mais parce que ce n’est pas son champ d’intervention. Cela va aboutir à des prises en charge en silos. Certaines seront pertinentes, mais nous aurons forcément une altération de la qualité des soins s’il n’y a pas de parcours coordonné. Cette proposition du Clio, c’est nier le rôle propre du médecin traitant et sa spécificité. C’est pour cela que nous l’avons vécu comme un mépris pour notre profession. Si on imagine qu’un pharmacien, un kiné et une infirmière font un médecin traitant, on est à côté de la plaque !
L.D : Non seulement c’est nier le rôle du médecin généraliste traitant, mais c’est surtout confier des patients pour des prises en charge à des professionnels qui n’ont pas les compétences pour le faire. C’est tout le risque. On pourra toujours dire que ‘c’est mieux que rien’. Mais plutôt que de dire cela, je préfère que l’on fasse tout pour mettre en place des organisations territoriales permettant de prendre en charge les patients sans médecin traitant, notamment ceux atteints de pathologies chroniques. Je le redis : cela fonctionne déjà à certains endroits, en Vendée par exemple. Pas partout, c’est vrai. Les professionnels ont besoin d’être aidés pour aller vers ces organisations. Mettre en place des organisations dans lesquelles on se passerait du médecin traitant, c’est aller vers une diminution de la qualité des soins.
Attaqué pour avoir pris part à ces travaux, le président de l’Ordre des médecins s’est défendu sur Egora, assurant vouloir défendre une vision centrée autour du médecin. Comment avez-vous jugé sa position ?
A.G : Quand vous mettez les présidents de six ordres de professions de santé et le président de l’Ordre des médecins, il ne pouvait être que piégé. Soit il n’y allait pas et passait pour un corporatiste qui ne veut pas discuter, soit il signait et passait pour celui qui vend la profession. De mon côté, je mets en cause le dispositif. Je pense qu’il ne fallait pas interroger les ordres car ce n’est pas leur champ de compétences. En revanche, nous demandons une négociation entre plusieurs professions sur les sujets de santé avec la Caisse nationale d’Assurance maladie. Par exemple, nous avons à mon avis un travail à mener avec les syndicats infirmiers sur comment nous organiser pour assurer le suivi des personnes âgées à domicile.
L.D : Personne n’aurait voulu être à sa place. Le Clio a été un piège tendu par le Gouvernement. Il y avait sept présidents d’ordre, dont six qui s’attaquaient au président de l’Ordre des médecins en tentant de dépecer le médecin traitant – en se servant encore du problème de l’accès aux soins pour que ce soit la porte ouverte à tout. Car oui, on ne s’est pas attaqué aux autres médecins libéraux ! Ne pas...
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