À 30 ans, ce généraliste s’installe dans un désert : "C'est humainement très dur, mais je m'amuse tellement !"
Le Dr Adrien Haas-Jordache s’est installé il y a quelques semaines dans un village alsacien, dans une zone sous-dotée. Malgré les journées à rallonge et les consultations parfois étonnantes, le jeune généraliste est ravi de son choix.
"Clairement, les premières semaines ont été chargées", raconte le Dr Adrien Haas-Jordache, jeune généraliste récemment installé dans la commune rurale de Diemeringen, en Alsace. A 30 ans, après plusieurs mois de remplacements, il s'est installé dans une maison de santé, tout près d'une zone "rouge, rouge, rouge" en termes de démographie médicale.
Et s'il est seul pour l'instant, il ne compte pas le rester longtemps. Un collègue de promo viendra le rejoindre dans quelques jours, le temps de finir un voyage à Bali auquel il tenait avant de s'installer. Un troisième généraliste complètera l'équipe dans un an. Et ce n'est pas tout, le mois prochain des externes devraient arriver en stage et des internes pourront être accueillis dès l'an prochain.
"J’étais encore en internat quand j'ai su que je voulais m'installer rapidement. Je veux pouvoir choisir mon organisation, mon rythme de travail… Autant de choses que tu ne choisis pas en tant que remplaçant", se souvient Adrien Haas-Jordache. "Et l’Alsace, c’était une évidence. Quand tu es Alsacien, tu restes en Alsace", lâche le généraliste en riant. Le projet mûrit. L’envie de travailler à la campagne est aussi claire dans son esprit. "J’ai eu une mauvaise expérience en ville. Je n’aime pas la médecine McDo, où on ne fait pas de suivi. J’aime les petits vieux", confie le médecin. Après plusieurs rencontres infructueuses, son choix se porte sur la commune de Diemeringen, 1 500 habitants. Avec le soutien de la mairie et du département, le cabinet a ouvert ses portes le 1er septembre dernier.
"C’est la cour des miracles ! Je vois des choses incroyables. Certains patients n’ont pas vu de médecin depuis cinq ans, dix ans… Je vois des trucs que je n’avais jamais vus ! Heureusement que j’ai un bon réseau de télé-expertise. Il y a aussi un énorme retard de prise en charge. J’ai une patiente qui tousse depuis des années, qui n’a jamais fait de scanner thoracique", raconte Adrien Haas-Jordache. Depuis l’ouverture du cabinet, le généraliste indique avoir vu 800 personnes, et être devenu médecin traitant de quelque 650 patients. "Certains font plus d’une heure de route pour me supplier d’être leur médecin traitant ! C’est humainement très dur et très fort, mais je m’amuse tellement. C’est une activité très variée. Et les patients ne sont pas difficiles. Ils sont tellement en détresse, certains se sont déjà fait jeter par des médecins…"
Dans sa patientèle, beaucoup de soignants sans médecin traitant, des jeunes, des actifs mais pas encore les "petits vieux du coin". Même si le bouche-à-oreille commence à prendre. Le jeune généraliste l’explique notamment par ses pratiques différentes de ses confrères installés et plus âgés. "Les deux médecins du coin prennent sans rendez-vous. Les patients n’ont pas l’habitude de venir sur rendez-vous. Et j’ai commencé à ouvrir des créneaux d’urgence." Autre point de friction : les visites. "Certains confrères font des visites de manière abusive, je trouve. Moi j’ai quelques créneaux le mercredi matin, mais je ne me déplace pas systématiquement. Ça m’a été reproché par quelques patients", explique le généraliste.
Je voudrais dire aux jeunes de ne pas avoir peur d’entreprendre des choses
Si le jeune généraliste se dit aujourd'hui heureux dans son désert, c’est qu’il a pris le temps de penser son projet d’installation dès son internat, assure-t-il. "On subit beaucoup trop pendant l’internat, et quand on sort de là, on a 30 ans et on n’a pas toujours l’énergie d’entreprendre des choses différentes, de faire bouger les lignes", regrette le médecin. "Les jeunes ne sont pas assez engagés, pas seulement sur le plan politique, syndical ou ordinal. Mais aussi pour créer des projets, avoir des initiatives qui font bouger les choses", déplore le généraliste et ancien élu syndical.
S’il exhorte les jeunes et futurs médecins à s’engager et à concrétiser leurs idées, c’est aussi pour ne pas laisser le champ libre aux politiques et à l’administration. "On croit que parce qu’il y a des médecins à l’Assemblée nationale, ils vont défendre nos intérêts, mais c’est faux !", lâche le généraliste. "Le plan Bayrou pour les médecins, par exemple, ça ne va pas du tout", souligne-t-il. Et de rappeler aux élus que pour attirer des internes, il faut tout un maillage territorial : "des crèches, des collèges, des loisirs… C’est tout le cadre de vie qui est à prendre en compte." C’est d’ailleurs l’esprit de la semaine de "découverte des territoires", mise en place en 2022 par le Syndicat autonome des internes d’Alsace (SAIA), à l’initiative d’Adrien Haas-Jordache. Pendant une semaine, les internes sillonnent la région pour en découvrir les beautés et les richesses. "Les élus ont eu du mal à comprendre la démarche au début, mais maintenant, cette initiative est victime de son succès. Ils vantent leurs vignobles, leurs plans d’eau, les activités à faire…"
"En fait, je voudrais dire aux jeunes de ne pas avoir peur d’entreprendre des choses. C’est vrai qu’on a parfois peur d’être de trop, de déranger les gens quand on vient les voir avec nos idées, mais on se rend compte que les gens sont très contents ! Beaucoup sont prêts à vous aider. Nous, on a été très bien accompagnés. Et ça c’est très important", assure le Dr Adrien Haas-Jordache.
Avec 35 à 40 consultations par jour, des journées qui commencent à 8h30 et ne se terminent jamais à 18h30 comme prévu, Adrien Haas-Jordache est content de son rythme. "J’aime mon travail, j’aime travailler. Je n’aime pas faire des petites journées", assure-t-il. Pour autant, il voit d’un bon œil l’arrivée prochaine de ses confrères. "Je crois aux projets en groupe. Etre seul dans un projet, ca ne finit jamais bien", assure le médecin.
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