"Je me battrai pour redonner de l'espoir et de la considération aux médecins" : le nouveau président de l'Ordre dévoile ses ambitions

29/06/2022 Par S. B.
Interview exclusive

Une semaine après son élection, le 22 juin dernier, le Dr François Arnault, nouveau président du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), s'exprime pour la première fois dans la presse médicale. Cet ORL retraité, âgé de 70 ans, dévoile pour Egora ses ambitions mais aussi les limites qu'il souhaite ne pas franchir pour mener à bien ses missions. Nouveau mode de gouvernance, coercition, poids politique de l'institution ordinale… Le président de l'Ordre nous répond sans langue de bois.   Egora.fr : Vous êtes le premier à présider un conseil national entièrement paritaire : qu'est-ce que ce renouvellement des membres du Cnom va changer dans la gestion de l'institution ? Dr François Arnault : C'est un phénomène très important pour l'Ordre. Pour moi c'est une grande satisfaction. Je suis fier d'être le président d'un ordre paritaire. Lorsque j'étais maire, j'avais été élu avec le premier conseil municipal à parité. J'ai été maire avant et après ce changement et j'ai vu une réelle ouverture des débats. Les discussions étaient beaucoup moins convenues et beaucoup plus spontanées. Je pense que ça va être pareil au conseil national. Et je suis également satisfait que le conseil national ressemble à la sociologie du corps médical, dans lequel y a d'ailleurs un peu plus de femmes. Je pense que c'était important que l'ensemble des confrères du territoire se reconnaissent dans leur ordre. C'est l'un des premiers affichages que je souhaite mettre en avant : montrer que l'Ordre national est à parité.

Il y a également le rajeunissement des conseillers qui est aussi très important pour moi. On est passé d'une moyenne d'âge de 68 ans à 60 ans. C'est considérable. J'ai bon espoir que cela modernise nos débats et que cela nous actualise par rapport à la réalité. Les médecins se reconnaîtront dans leur ordre, beaucoup plus qu'avant.   Vous mettez en avant une volonté de gouvernance d'équipe, comment comptez-vous faire ? Lors de ma première conférence de presse, j'avais avec moi quatre conseillers et membres du bureau spécialisés dans leurs domaines. Aujourd'hui, nous sommes obligés de nous spécialiser dans des domaines de compétence. J'ai l'intention de toujours donner la possibilité à ces confrères spécialisés de s'exprimer au nom de l'institution, même quand je suis là. Ils auront la parole. En interne, je souhaite changer les méthodes de direction et de gestion. Le bureau sera l'organe stratégique de décision et de choix des orientations professionnelles et politiques. Nous allons aussi nous étendre aux territoires. Les conseils départementaux seront associés à certaines réflexions sur des domaines de société, comme la fin de vie par exemple. C'est un changement d'état d'esprit. Ça n'est pas une critique par rapport à mon prédécesseur à qui je souhaite rendre hommage. J'ai été son secrétaire général, je ne veux pas lui manquer de loyauté. Il a été un grand président, avec sa méthode. J'en prends simplement une autre mais j'ai beaucoup d'estime pour lui.   Le Dr Patrick Bouet, pendant ses 9 ans de mandat, a lancé une vaste modernisation de l'Ordre. Que reste-t-il à faire ? Il faudrait tendre vers la parité du bureau. Actuellement nous sommes à 30%. Ça n'est pas suffisant. Il faut laisser le temps à nos consœurs conseillères, qui sont beaucoup plus jeunes, de comprendre qu'elles peuvent conserver leur activité professionnelle et s'impliquer dans le bureau. Cela est vrai pour certains postes. D'autres, comme secrétaire général ou président, ne permettent pas de conserver un exercice à temps plein. Mais il faut savoir qu'avoir une responsabilité au Conseil national et conserver une activité professionnelle, c'est possible. Sur le plan des recommandations de la Cour des comptes, nous avons fait ce qu'il fallait. Nous sommes en adéquation avec les recommandations. Nous avons encore de la pédagogie à faire sur la réforme financière qui a été faite, notamment sur la combinaison de la totalité des comptes sur une seule ligne budgétaire. Les départements étaient habitués à être indépendants. Mais nous allons y parvenir, avec de la patience et de la pédagogie. Je m'y engage.   Comment rapprocher les médecins d'un ordre qu'ils perçoivent uniquement comme étant un organe autoritaire ? Pour les médecins, l'Ordre est disciplinaire. C'est une image qu'il nous faut changer. Nous avons beaucoup communiqué vers les médecins et il faut continuer. Mais je pense qu'il faut surtout se rapprocher des médecins dans leur exercice. Quand ils rencontrent une difficulté, comme c'est le cas pour les gynécologues actuellement, il faut que l'Ordre se manifeste. Il faut aller vers les gynécologues pour comprendre quelles difficultés ils rencontrent dans leur exercice. Je ne parle évidemment pas de ceux qui sont déviants, mais de ceux qui font correctement leur métier et se trouvent en difficulté. Nous devons arriver à anticiper les problèmes qu'ont les médecins dans leur pratique. Il faut aussi que l'on soit très visibles sur ce qu'il se passe en ce moment sur l'offre de soins et l'organisation des soins dans les territoires. Nous devons apparaître très moteurs et très promoteurs des territoires.

  Vous avez été maire et président du conseil départemental de la Vienne pendant 10 ans, vous étiez très engagé sur la question des territoires. En tant que président du Conseil national, comment comptez-vous agir ? Je pense que la compétence d'organisation est territoriale. Chaque territoire a sa manière d'être et de fonctionner et il ne faut pas sortir de ce langage. Je pense que la communauté de communes est l'échelon le plus adapté à l'organisation des soins. Elles ont déjà la structure de réflexion, de décision et de financement. Il y a quelques compétences qui ne sont pas données aux communautés de communes et il faudra agir auprès du Gouvernement pour qu'il les lui donne.  

L'obligation de garde va "aboutir à une chose : des jeunes médecins ne s'installeront pas"

  Il y a quelques jours, l 'Association des maires de France a plaidé pour la première fois pour la coercition, notamment l'obligation de garde. En tant qu'ancien maire pouvez-vous comprendre leur position et que leur répondez-vous ? Je comprends pourquoi ils tiennent ces propos mais je reste persuadé que ça n'est pas la bonne solution. Je leur avais déjà expliqué lorsque je participais à l'Association départemental des maires. Ça n'est pas la solution parce que l'on va encore aggraver les conditions ressenties de leur exercice par les médecins. Cela va aboutir à une chose : des jeunes médecins ne s'installeront pas. Cela va également être un accélérateur pour ceux qui envisagent d'arrêter leur activité. Après une mesure de coercition, le solde de médecins installés dans les territoires sera négatif. Les médecins libéraux assurent déjà les gardes dans les territoires. Il y a des permanences des soins de médecins libéraux dans tous les départements. Le pourcentage varie : quand il y en a plus, ils sont de garde moins souvent et quand il y en a moins, ils sont de garde plus souvent. Il faut que les pouvoirs publics aillent vers les médecins libéraux et hospitaliers pour leur dire : "on sait que vous faites des efforts et que vous assurez la santé des Français". C'est comme cela que doivent être vus les médecins. Ils assurent la prise en charge de la santé des Français. Il faut leur donner de la considération dans la période actuelle parce qu'il y a un grand désenchantement des praticiens par rapport à leur environnement professionnel. Je me battrai pour que l'on redonne de l'espoir et de la considération aux médecins.  

"Nous tenons vraiment à ce concept de chef d'équipe, non par corporatisme mais parce que le patient a le droit de voir un médecin"

  Que pensez-vous de la délégation de tâches ? Je pense que la délégation de tâches est une solution pour permettre aux médecins de gagner du temps médical. L'organisation d'une équipe de soins, avec le médecin comme chef d'équipe, est une bonne idée. Nous tenons vraiment à ce concept de chef d'équipe, non par corporatisme mais parce que le patient a le droit de voir un médecin. Après le médecin peut confier des examens et des actes, en fonction de leurs compétences, à d'autres professionnels de santé. Cela peut faire gagner du temps médical pour voir d'autres patients. On a vu que les assistants médicaux ont permis d'augmenter la file active de patients. Tout cela doit être coordonné, avec une équipe centrée sur le médecin.   Lors de la dernière campagne électorale, le Dr Bouet a regretté que les différents partis politiques ne sollicitent pas l'Ordre dans l'élaboration de leurs programmes santé. Comment faire pour redonner un poids politique important à l'institution ? Il faut que l'institution reste à sa place. Elle doit être en soutien lorsque c'est nécessaire et lorsque c'est dans ses compétences avec les syndicats. Nous ne devons pas intervenir dans le débat politique sur des sujets qui.. ne concernent pas l'exercice professionnel médical et le droit des patients. Nous devons être focalisés sur les missions de l'Ordre, rien que les missions de l'Ordre mais toutes les missions de l'Ordre. Mais nous ne devons pas être un acteur politique.   L'Ordre s'est trop éparpillé ces dernières années ? Je ne vais pas porter de jugement ni le lui reprocher mais je vais faire différemment. Je veux que les pouvoirs publics puissent nous consulter sans avoir peur que nous sortions de notre rôle. Nous devons reprendre notre place de partenaire fiable dans le cadre des compétences qui sont les nôtres. Je parle de sobriété médiatique.   Vous avez de grandes ambitions mais vous ne serez le président que d'un seul mandat*. Tout cela sera-t-il réalisable en trois ans ? Je suis là pour créer les conditions pour que la nouvelle génération des élus -et ils sont 27 sur 58- s'approprie l'institution. Je pense que mon rôle est là. Je suis très fier et très heureux d'avoir ce rôle. Je serai effectivement obligé de céder ma place dans trois ans, mais mon ambition c'est que mon ou ma successeur(e) ait les capacités et une équipe capable d'assurer les missions de l'Ordre. Ils en ont tout à fait les capacités et je suis très heureux du groupe qui a été élu.   Le Dr Bouet vous a -t-il donné des conseils avant de vous céder le flambeau ? C'est une question intime. Nous avons beaucoup échangé parce que nous étions très différents l'un de l'autre. Nous avons appris de nos différences.   *Le Dr Arnault a 70 ans et la limite d'âge fixée lors de l'élection des conseillers ordinaux est de 71 ans.

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