"Pour la première fois, aucun candidat n'est venu nous interroger": le président de l'Ordre des médecins fustige la campagne électorale

17/02/2022 Par S. B.
Interview exclusive
Alors que l'échéance présidentielle est dans deux mois, le président du Conseil national de l'Ordre des médecins est perplexe. L'instance n'a été contactée par aucun parti politique en vue d'élaborer un programme santé. Selon le Dr Patrick Bouet, c'est une première. Le président du Cnom analyse pour Egora cette campagne un peu particulière et se montre sévère envers les candidats, qui partagent les constats mais n'élaborent aucune proposition valable pour transformer notre système de santé.  

Egora.fr : À deux mois de l'élection, comment jugez-vous la campagne ? 

Dr Patrick Bouet : Je ne sais même pas si la campagne a réellement débuté. Il nous manque déjà un candidat essentiel, et on voit bien que cela perturbe le déroulé de cette campagne. J'ai également le sentiment, comme d'autres observateurs de la santé, qu'on a tellement parlé sanitaire depuis deux ans avec le Covid-19, qu'on a l'impression que les candidats et leurs équipes ne sont pas entrés dans la campagne en matière de santé. Même dans les contacts théoriques et rapides qu'en général les équipes prennent avec les corps intermédiaires, pour l'instant on ne voit rien venir.  

 

Comment les choses se sont passées lors des précédentes campagnes ? 

En règle générale, pour tous les corps intermédiaires, dans l'année qui précède les grandes échéances électorales, on voit se constituer des équipes avec lesquelles nous avons des contacts préliminaires. Nous faisons l'inventaire des sujets d'actualité dans le cadre sanitaire et l'idée est de se projeter sur des propositions et sur l'analyse d'une transformation du système de santé. Cela a été le cas en 2012, 2017… Moi qui suis dans le monde national depuis 2003, je confirme que l'on a vu à toutes les échéances, les acteurs venir nous interroger. Là, nous avons le sentiment que c'est nous qui sommes obligés de leur rappeler qu'il va y avoir une campagne qui va parler de santé. 

 

À ce jour, avez-vous été sollicités par quelques partis ? 

Non pas encore. Cela nous rend perplexes. Il y a quand même des candidats qui s'expriment depuis plusieurs semaines. Nous n'avons pas eu l'occasion d'échanger avec ces acteurs, à leur demande. Nous sommes donc tous persuadés qu'il faut tenter de s'imposer dans cette campagne. Nous avons présenté une plateforme d'idées la semaine dernière, et nous sommes également en train d'organiser avec nos partenaires, comme la FHF, et d'autres acteurs du monde de la santé, une grande journée des soignants. Nous sommes obligés de prendre des initiatives pour faire entendre la santé dans cette campagne.  

 

Comment analysez-vous cette absence de sollicitation ? 

Je pense que depuis deux ans nous parlons beaucoup de sanitaire à cause du Covid. Mais je pense également qu'on se rend bien compte que sous l'épidémie de Covid qui vient de nous bousculer, c'est le système de santé qui inquiète. Et il n'y a pas beaucoup d'imagination ni de curiosité de la part des acteurs. On partage les constats mais globalement l'avenir du système de santé semble rendre très perplexes les diverses équipes des candidats.  

 

Avez-vous également le sentiment qu'il y a une perte d'influence du rôle du médecin dans la société qui pourrait expliquer cette absence de sollicitation ? Le médecin a-t-il autant de poids que par le passé ? 

Je pense que le médecin en tant qu'individu a toujours beaucoup de poids dans la société. Notre consultation l'a une nouvelle fois démontré. Mais c'est le champ sanitaire qui n'est pas mis au premier plan par les acteurs politiques qui disent vouloir construire la France de demain. Par ailleurs, nous n'avons jamais autant été sollicités ces dernières années sur les projets de loi, règlements, ordonnances…Cela ne concernait peut-être même pas que le champ sanitaire. Lorsque l'on entend les enseignants, par exemple, on voit bien que les corps intermédiaires semblent être à distance des équipes politiques.  

 

Dans les médias, Valérie Pécresse indique avoir élaboré sa proposition de Dr Junior envoyés dans les déserts pour leur première année d'exercice en collaboration à l'Ordre des médecins… 

(Rires) Elle a en tout cas choisi de parler d'une des propositions de l'Ordre ! Mais cette proposition n'a pas été élaborée avec Valérie Pécresse, sinon ce que je viens de dire précédemment serait sans intérêt. Elle a repris...

une proposition que nous avons depuis plusieurs années. Cette idée est connue dans le champ sanitaire et nous l'avons réactualisée dans notre plateforme. Je ne me suis pas mis autour d'une table avec madame Pécresse pour travailler cette proposition.  

 

De son côté, Éric Zemmour veut que la France cesse de faire appel aux médecins étrangers issus du Maghreb. Que répondez-vous ? 

Je réponds qu'aujourd'hui, dès lors qu'un médecin est autorisé à exercer la médecine en France, cela signifie qu'il est compétent pour le faire. L'Ordre ne regarde pas les origines sociales, ethniques, religieuses des confrères qui sont autorisés à exercer sur le territoire. Si tous les médecins qui sont inscrits à l'Ordre n'étaient pas présents face aux problèmes de santé que nous venons de traverser, nous aurions connu une catastrophe bien plus grande.  

 

Jean-Luc Mélenchon propose à chaque médecin formé de passer 10 ans dans un désert… 

Ces propositions sont bien l'illustration qu'elles ne sont pas concertées avec le monde de la santé. Elles ne sont que des résonances politiciennes. Dix ans dans un désert médical… Mais ce candidat sait-il comment se fait le choix de secteur d'activité d'un jeune ? Rien en France n'oblige un jeune professionnel à embrasser une activité libérale. Si demain on met de telles obligations, cela dissuadera les futurs médecins d'aller vers le libéral. Et le résultat sera encore pire.  

 

Globalement, comment jugez-vous les programmes ? Sont-ils ancrés dans la réalité ? 

J'ai l'impression qu'ils reprennent et qu'ils réactualisent des choses qui sont dans l'espace public depuis plusieurs années. Finalement, ils ne regardent pas les propositions innovantes que les uns et les autres peuvent faire et qui pourraient être constitutives d'une nouvelle organisation du système de santé. On a l'impression qu'on est en train de réutiliser des idées alors que c'est déjà le cas depuis deux décennies. On a le sentiment qu'on ne franchit pas le précipice et qu'on reste d'un côté avec une passerelle instable. 

 

La crise du Covid a-t-elle, selon vous, eu un impact sur les propositions santé des candidats ? 

Je ne suis pas sûr que cela ait fondamentalement changé ce qui était déjà pensé par les structures politiques avant la crise. Cela n'a fait que réactualiser un certain nombre de problèmes qui étaient déjà sous-jacents. Ce qui nous inquiète de façon majeure, c'est que dans cette sortie de pandémie, s'il n'y a pas une transformation du système de santé, nous n'allons pas dans la décennie pouvoir affronter les problèmes secondaires à la crise, notamment en matière de complications dans les maladies chroniques. Il y a devant nous une décennie d'une très grande brutalité en matière de santé. 

 

Si vous deviez adresser un message aux candidats, que leur diriez-vous ? 

Écoutez-nous. Il n'y a pas que l'Ordre des médecins. Aujourd'hui, tous les responsables de structures œuvrant dans le monde de la santé n'attendent qu'une chose, qu'on les écoute.  

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