Crédit : Alexandre Samaan
De la Syrie à la France, ce futur interne raconte son parcours sur scène : "Je voulais inspirer de la force"
Étudiant en médecine de 27 ans, Alexandre Samaan a quitté seul la Syrie en 2015 pour échapper aux bombes. Arrivé dans l’Hexagone sans parler français, le jeune homme a poursuivi son rêve de devenir médecin. Le carabin, qui débutera son internat à l’automne, a remporté fin mai la finale d’Eloquentia Limoges, un concours d’éloquence destiné aux jeunes auquel il a participé pour "transmettre un message de force et d’espoir". Il revient pour Egora sur son parcours marqué par les épreuves.
Crédit : Alexandre Samaan
Alexandre Samaan reprend ses esprits, immobile dans les coulisses de l’Opéra de Limoges, ce soir du 22 mai. Regard vide. Larmes. Il a réussi. Retracer son histoire, la guerre en Syrie, là où il est né ; la peur ; le départ illégal pour la France. Le périple de 40 heures sur le toit d’un camion, dans une boîte, sans boire ni manger. Le silence, "pour se protéger". "Les murs ont des oreilles et ils entendent nos murmures", lui a-t-on répété depuis tout petit. Dix ans plus tard, ce sont 2000 oreilles, bien visibles, qui sont tendues vers lui. Sur le ring factice de la finale du concours d’Eloquentia Limoges, il a retroussé les manches de sa chemise, au lendemain de ses oraux de sixième année de médecine. "J’avais déjà eu les larmes pendant les répèt’, mais sur scène, je ne devais pas pleurer, raconte-t-il aujourd'hui à Egora. Je voulais inspirer de la force, pas de la pitié." En éloquence, chaque orateur a son style : sa pâte à lui, c’est "l’appel au mouvement". "La parole est tellement chère qu’il faut qu’elle serve à quelque chose. Je me fichais d’être premier." Il avait "promis de se dresser debout" devant le public, raconter ce qu’il avait tu sur son vécu. C’était chose faite. Et il a gagné.
Un mois et demi plus tard, le jeune Syrien est bien plus détendu au téléphone. Il s’amuse même, en repensant à la pression de prononcer son discours sans trembler. "J’étais plus stressé que pour mes Ecos de la veille !" Il ne faudrait pas croire que l’étudiant de 27 ans néglige la médecine pour autant. Enfiler la blouse blanche, c’est son objectif "depuis gamin". Guidé par les paroles de son père – proviseur adjoint qui avait, pour compléter ses revenus, créé une entreprise de cagettes de fruits. "En Syrie, on vivait dans l’insécurité. Il me répétait qu’un médecin, peu importe où il est, il lui suffit d’un stétho pour travailler et aider les autres." C’est même ce rêve qui l’a guidé dans sa fuite, loin des bombes qui ravageaient son quotidien.
Par trois fois, la famille d’Alexandre a essayé de le faire partir. L’envoyer légalement auprès de son grand frère, déjà installé dans l’Hexagone avant la guerre pour ses études de commerce. Par trois fois, ils ont échoué. "On s’est dit que j’allais passer mon diplôme en Syrie, puis que j’irai en Allemagne, qui accueillait beaucoup de médecins syriens à l’époque." Mais le conflit s’est intensifié. A Homs, ville centrale dans la révolution civile, "c’était la terreur. Je n’arrivais même plus à aller au lycée". Il est finalement parti en 2015. Moyennant 15 000 euros - l’équivalent de "cinq ans de salaire d’un employé" en Syrie - à un passeur clandestin. S’ensuivent ces longs jours d’attente et de peur.
Si je ratais, j’aurais déçu mes parents
Il a découvert le sud-ouest de la France, sa destination, au beau milieu du printemps. "Emotionnellement, j’étais effondré, mais je n’ai rien dit de mon ressenti à ma famille. J’étais vivant. C’était suffisant." Le premier mois, il a dormi. Plus de bruit dans le ciel ; plus de danger à chaque pas dehors. La sécurité. Mais son objectif l’a rattrapé. Pas question de lâcher ses études. "Si je ratais, j’aurais déçu mes parents." Une grande barrière lui faisait face cependant : la langue. L’adolescent - il avait 17 ans - ne parlait pas un mot de français. Qu’à cela ne tienne, en attendant la rentrée de septembre, il s’est construit un quotidien fait de mots qu’il comprenait à peine. Quelques heures à se concentrer sur un livre "apprendre le français" ; le reste de la journée à écouter et répéter les paroles de chansons – Gims, Céline Dion, Dalida… Tant pis s’il ne les traduisait pas, l’important était de les articuler. Et puis il y avait la télé. "Je regardais Soda [série qui a fait connaître Kev Adams, NDLR], je ne comprenais rien, mais c’était des ados, je me disais que c’était bien."
Ensuite, le lycée a commencé : première scientifique à Valence-d'Agen, terminale à Toulouse. Deux années à s’efforcer de suivre des cours dans une langue qu’il maîtrisait mal. "Je ne pouvais pas prendre de notes, des potes me filaient les leurs. Le temps de traduire, j’avais toujours deux à trois semaines de décalage. Je saisissais le thème du cours quand on le finissait." Dur de ne pas fléchir – heureusement, les maths regonflaient son ego. Il avait quand même la mention très bien en ligne de mire. Mission réussie : ce qui lui a même valu une première tournée médiatique. A lui la médecine.
On le devinait déjà à l’écouter, il le reconnaît lui-même : Alexandre a tendance à mettre la barre très haut. "Il travaillait très tard le soir [...] J’ai compris qu’il dormait peu [...] C'est la première fois que j’ai dit à un élève d’arrêter de travailler, en tout cas de [...]se recentrer sur des méthodologies efficaces", témoignait en 2017 un de ses profs de lycée auprès de RFI.
Toujours l’objectif du stétho : aider et soigner les autres l’anime encore, ainsi que le plaisir d’avoir un travail intellectuel, qui lui permet "d’apprendre, transmettre le savoir aux patients, aider [s]a famille". De la spécialité qu’il vise, il ne préfère rien dire – on sait qu’il hésite entre plusieurs – tout comme il tait son classement pour l'internat "le deuxième tabou en médecine, avec le salaire", plaisante-t-il.
J’avais honte de mon parcours. Je voulais être comme tout le monde
Mais il a beau maîtriser parfaitement le français aujourd’hui, jusqu'à voir sa verve reconnue, il se heurte toujours à cette satanée barrière de la langue. "Ça m'a coûté tellement cher... Lors des examens écrits, en octobre, je n’ai pas pu finir correctement : je suis plus lent pour comprendre les questions. Dans deux épreuves sur trois, j’ai dû répondre aux cinq derniers QCM sans les lire." Et quand dix questions valent 0,7 points, qui eux-mêmes représentent 2000 à 3000 places…"En sortant, je m’en voulais. A quoi ça sert, tous ces efforts, si à la fin je n’arrive même pas à aller au bout ?", lâche-t-il.
La pilule est passée aujourd’hui. Le carabin, qui débutera son internat en novembre prochain, estime même avoir "rattrapé" ses points perdus grâce à de bons résultats aux oraux. La finale d’Eloquentia est aussi passée par là. Avant, il faisait tout pour se fondre dans la masse – jusqu’à laisser son prénom de naissance, Razkallah, dès son arrivée en France. "J’avais honte de mon parcours. Je voulais être comme tout le monde. Ressembler à l’étudiant de médecine lambda, un peu fêtard et qui travaille en même temps pour réussir." Raconter son histoire devant un millier de personnes n’aura pas fait disparaître toutes ses "cicatrices", mais lui aura au moins permis de les assumer. "Maintenant, je suis fier. La vie commence enfin à aller un peu mieux." A sa famille, dont seule une de ses deux sœurs n’a pas pu quitter la Syrie, il avoue qu’il n’a pas eu la force de traduire son discours. "Mes parents savent de quoi j’ai parlé, ils connaissent le trajet, mais jamais je ne leur ai dit ce que j’avais ressenti." Une prochaine étape, sans doute. Dans le jury, on lui a même suggéré d’écrire un livre. "Pourquoi pas, mais je suis encore un peu jeune…"
Pour les prochaines semaines, il vise plutôt le repos. Au programme : fête, sport, famille. A partir de mi-juillet, il arpentera les couloirs du CHU de Limoges en tant que FFI. Et puis sa victoire régionale lui a donné un ticket pour la manche nationale du concours d'éloquence, fin août vers Paris. Le but sera le même : déclamer "un discours engagé, qui ne parlera pas uniquement de moi et pourra toucher tout le monde. Transmettre un message de force et d’espoir".
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