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Interne, elle combat les violences sexistes et sexuelles : "C’est lourd mais je continuerai"

Depuis plusieurs mois, Audrey Bramly, 29 ans, multiplie les initiatives pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et le harcèlement moral dans le milieu médical. Recueil de témoignages, engagement syndical, présence sur les réseaux sociaux… L'interne en anesthésie-réanimation à Paris veut mettre en lumière les violences subies par les soignants. Figure montante de la lutte contre les VSS et le harcèlement, elle revient pour Egora sur les racines de son engagement.  

12/03/2025 Par Chloé Subileau
VSS Internat
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C'est un "ras-le-bol" qui a poussé Audrey Bramly, interne en anesthésie-réanimation à Paris, à s'engager contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et le harcèlement moral. "J'ai vu tellement de choses dans mes études, j'ai moi-même subi du harcèlement sexuel […] Tout ça m'a donné la rage de combattre ces violences coûte que coûte, quitte à ce que ça m'impacte sur le plan psychologique et professionnel", lance la jeune femme de 29 ans. Présente sur les réseaux sociaux, à certaines conférences ou sur des plateaux télé, la future médecin multiplie depuis plusieurs mois les initiatives pour dénoncer le harcèlement et les VSS. "Je n'arrive plus à les tolérer", lâche-t-elle, près d'un an après le déferlement du mouvement MeToo hôpital.

Pour Audrey Bramly, tout commence en 2021. L'étudiante, qui a eu vent des comportements déplacés d'un anesthésiste dans un service, décide de les signaler. "Mais il ne s'est pas passé grand-chose et ça a été, je crois, un élément déclencheur", relate-t-elle. Dans le même temps, elle recroise l'un de ses anciens chefs qui avait essayé de l'attirer dans sa chambre de garde de senior en prétextant vouloir lui faire un cours. "Je suis tombée par hasard sur lui lors d'une soirée du personnel dans un autre hôpital, se souvient Audrey Bramly, qui a débuté son internat en 2019. Il m'a dit que j'avais des yeux qu'on ne peut pas oublier. Je l'ai ensuite vu avoir des comportements complètements déplacés avec une interne qui avait, en réalité, été victime d'une agression sexuelle." 

Pour la jeune praticienne, c'est la "goutte de trop" : elle commence à enquêter de manière informelle autour d’elle pour savoir si son cas est exceptionnel ou si de tels comportements sont systémiques. Puis en 2023, pendant près d'un mois et demi, elle décide de contacter ses co-internes pour leur demander si eux aussi ont été victimes ou témoins de VSS au cours de leur internat. "Je leur ai tout bêtement écrit sur nos groupes WhatsApp communs […] C'est comme ça que ça s'est enclenché." Elle reçoit alors 50 appels, qui mèneront à 22 témoignages écrits. "Je voulais me baser sur des écrits pour pouvoir [mieux] les analyser", glisse Audrey Bramly. Avec ces textes, l'interne a réalisé un recueil, présenté en septembre dernier au congrès de la Société française d'anesthésie-réanimation (Sfar).

 

"Anxiété", "dépression", "burn out"… 

Si l'effectif de ce travail est restreint, reconnait l'étudiante, ses résultats sont accablants. Parmi les 22 témoignages reçus, issus uniquement d'internes en anesthésie-réanimation à Paris, la majorité relève du harcèlement sexuel ou moral ; deux sont des faits de viol. Tous ont eu lieu dans le milieu hospitalier et dans 77% des cas, les personnes mises en cause étaient des supérieurs hiérarchiques. "Plusieurs fois par garde, [un] médecin me répétait que j'étais sexy, que j'étais excitante, me regardait de haut en bas, faisait des réflexions sur mon physique", témoigne ainsi une interne, citée dans le recueil. "J'ai eu peur plus d'une fois", rapporte une autre. "J'ai mis deux ans à en parler. Je pensais qu'on allait me retirer mon titre de docteure", relate une dernière.

Ces faits, qui se sont déroulés entre 2018 et 2022, n'ont pas été sans conséquence pour les victimes. "Une personne sur trois s'est mise en arrêt", souligne Audrey Bramly. Plus largement, "les personnes [interrogées] m'ont évoqué des mots, comme 'anxiété', 'dépression', 'burn out'…", complète-t-elle.

De ce projet en est né un second, avec la création, à la fin de l'été 2024, d'un pôle dédié aux violences et au harcèlement au travail au sein du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP). "Tout est parti du premier recueil que j'ai fait", rembobine Andrey Bramly. "On s'est dit [avec Marine Loty, présidente du SIHP, NDLR] qu'on avait envie de l'élargir [à toutes les spécialités]. On avait des signalements de harcèlement sexuel et moral qui étaient faits par des internes auprès du syndicat [dans certains services d'hôpitaux parisiens]." Les deux femmes décident alors de les analyser et d'interroger les étudiants en stage dans ces services : "Quand deux signalements avaient lieu dans un même service, une enquête de notre part [a été] lancée."

"Les services les plus signalés sont ceux de chirurgie, d'anesthésie-réanimation chirurgicale et de réanimation médicale", précise Audrey Bramly, devenue représentante du pôle "violence et harcèlement au travail - assistance juridique " du SIPH.

Crédit : Audrey Bramly

 

Plus de 40 enquêtes lancées

Depuis août, plus d'une quarantaine d'enquêtes ont été lancées par le syndicat dans des services parisiens. Les résultats de ces questionnaires, remplis anonymement par des internes de différentes spécialités, devraient être publiés au cours de l'année 2025. Pour l'heure, "ils confirment que dans de nombreux services, des faits s'apparentant à des VSS ou du harcèlement moral existaient", avance Audrey Bramly.

Mais ces enquêtes doivent aussi aider les services à s'améliorer et leur sont donc "rendues", détaille la future médecin. "Nous travaillons en collaboration avec les coordinateurs de diplôme de spécialité, les chefs de service, les directions des affaires médicales et les CME pour pouvoir agir collectivement et résoudre les soucis et violences mises en évidence. Un groupe de travail est en cours de création à ce sujet à l’AP-HP. Dans des cas graves de VSS, nous rentrons très vite en contact avec les directions et les doyens. Plusieurs enquêtes administratives ont [même] été lancées à la suite de nos remontées", poursuit-elle.

 

En parallèle, Audrey Bramly gère un compte Instagram où elle récolte et publie des témoignages anonymes de soignants – et non plus seulement de carabins - victimes de harcèlement ou de VSS. "J'avais envie [de pouvoir] toucher tout le monde en France, peu importe les spécialités ou le milieu hospitalier. C'était évident, pour moi, qu'il fallait que je passe par cet autre support pour récolter des témoignages au plan national […] Personne ne le faisait autrement…", confie-t-elle.

Lancé en novembre dernier, son compte "Serment sous pression" est suivi par près de 5000 personnes et compte une trentaine de témoignages. Mais ce chiffre pourrait être bien plus élevé… "Parfois je me dis que je n'arrive pas assez à remplir le compte, non pas par manque de témoignages, mais par manque de temps", soupire Audrey Bramly qui, à côté de son engagement, doit assurer ses stages. 

 

"Il y a du changement dans certains services" 

Les contenus des témoignages sont, eux, alarmants. Un jour, "un chirurgien m['a] lanc[é] : 'Mets une jupe au-dessus du genou la prochaine fois. Tu réussiras à me faire bander'", écrit une femme, en stage de chirurgie au moment des faits. "J'étais interne aux urgences [en] premier semestre de ma formation de quatre ans. J'appelle un chef pour lui demander son avis sur un patient. Ce n'est pas son avis que j'aurai, mais son bras au tour de mon cou. Je ne peux pas bouger. Il ajoutera un subtil : 'J'ai vraiment envie de te violer'", peut-on également lire dans l'un de ces postes.

Récemment, l'une des publications d'Audrey Bramly a dépassé les 43 000 likes et réuni plus de 2000 commentaires. Elle y relate le témoignage d'une étudiante infirmière-anesthésiste en première année ayant surpris son tuteur de stage agresser sexuellement une patiente endormie au bloc opératoire ; malgré ses signalements, l'étudiante n'a pas été entendue. La "force" de ce post "a été de toucher les infirmières, qui sont autant harcelées" que les autres soignantes, analyse Audrey Bramly. "Et, il y a sûrement le procès de Joël Le Scouarnec [qui s'est ouvert fin février], qui a fait écho en même temps", et qui a par ailleurs mis la lumière sur les VSS commises sur les patients et les patientes. 

Pour lutter contre ces violences et le harcèlement, l'interne en anesthésie-réanimation appelle à une meilleure formation à la "non-violence" des acteurs du monde médical : "Il faut pouvoir former les gens qui ont oublié ce qu'est la violence et ce qui n'en est pas." "On a aussi une justice administrative à l'hôpital, qui n'est pas dépendante du pénal", rappelle Audrey Bramly. "Il n'y a pas besoin d'une plainte pénale, une plainte à l'hôpital peut être suffisante" pour qu'un agresseur présumé soit, par exemple, suspendu à titre conservatoire, le temps d'une enquête. Car porter plainte n'est pas anodin, insiste l'interne : "Il faut prendre en compte la balance bénéfice-risque, parce qu'il y a beaucoup de risques à porter plainte. Il y a un risque psychologique, le fait que ça va durer plus longtemps, que l'équipe [médicale] peut potentiellement en vouloir [à la personne qui porte plainte], il y aussi un risque financier, la possibilité d'un classement sans suite, et évidemment un risque pour sa carrière…"

Audrey Bramly croit, malgré tout, en une meilleure prise en compte de ces violences. A Paris du moins, "je trouve qu'il y a du changement dans certains services", estime-t-elle. Mais "je ne sais pas si les choses commencent à bouger car les personnes se rendent compte que [de tels actes] ne sont pas normaux, qu'ils ne sont pas justifiables… Je pense que certains ont plus peur de la portée médiatique" de telles affaires.

Si elle reste déterminée à dénoncer ces violences, la future médecin reconnait que son engagement n'est pas commun. "Je ne peux pas dire que c'est facile, et que je suis exactement la même personne qu'avant. Je m'attendais à cette violence, car je sais très bien qu'elle existe et on sait tous et toutes à l'hôpital qu'elle existe", relate-t-elle. Mais faire face à la violence subie par les autres, "ce n'est pas facile forcément, notamment pour les agressions et les viols. C'est difficile d'entendre ça, d'autant que les personnes ne veulent pas du tout en parler […] Je me suis toujours engagée à ne jamais révéler l’anonymat des victimes, peu importe le fait exercé sur elle. C’est lourd mais je continuerai. C’est important pour gagner la confiance, et finalement aider à la libération de la parole." 

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Nathalie Hanseler Corréard

Nathalie Hanseler Corréard

Oui

Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus

36 débatteurs en ligne36 en ligne
Photo de profil de Diego Delavega
352 points
Débatteur Renommé
Psychiatrie
il y a 7 jours
Il faut voir le problème en profondeur et non juste rester sur cette même vision grisante de déferlement d'accusation/militantisme. Il y a des abus de ce genre à l'hôpital bien sur(l'absence "d'abus"
Photo de profil de Olivier Camagna
573 points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 7 jours
Continuez, ne lâchez rien ! Ayez foi en vous et vos collègues masculins: on peut changer ! J’ai changé! Jai probablement eu des comportements limite en salle de garde ou avec des collègues femmes : le
 
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