Yulia Vlasenko

"Ici on manque de médecins, mais je ne peux pas exercer" : le désarroi d’une généraliste ukrainienne privée de son métier

La vie de Yulia Vlasenko, 49 ans, a implosé en avril 2022. Avec la guerre, cette généraliste ukrainienne qui a exercé à Marioupol pendant plus de vingt ans, a "tout perdu". Réfugiée dans une petite ville du Lot-et-Garonne avec sa famille, qui compte deux autres médecins, la praticienne ne désespère pas de pouvoir exercer à nouveau ce métier qu’elle aime tant. 

06/09/2024 Par Aveline Marques
Yulia Vlasenko

Astaffort, 2 000 habitants. Située à une vingtaine de minutes d’Agen, cette paisible bourgade traversée par le Gers est surtout connue pour être la ville d’origine de Francis Cabrel. Le chanteur, qui y réside toujours, n’a d’ailleurs pas hésité en septembre 2021 à participer à un clip pour aider les professionnels de la maison de santé à trouver un nouveau médecin. Ironie du sort, un an plus tard, trois médecins posaient leurs valises dans la commune… mais aucun n’a le droit d’exercer.

Fuyant les bombardements et les combats, Yulia Vlasenko est arrivée d’Ukraine en avril 2022. A Marioupol, elle a exercé pendant "plus de vingt ans" comme généraliste, d’abord à l’hôpital public puis dans son propre cabinet. "Avec la guerre, j’ai perdu mon appartement, j’ai perdu mon travail, j’ai tout perdu", nous raconte-t-elle dans un français hésitant. 

 

Chirurgien pédiatrique, son gendre travaille à l'usine

Accueillis par une famille d’Astaffort, qui leur a mis à disposition un logement et une voiture durant un an, Yulia et sa famille ont dû repartir de zéro. Sa plus jeune fille est entrée au lycée, tandis que son ainée - également médecin, intégrait avec elle une unité de production de persil. Un travail qui leur a permis de prendre leur propre appartement, mais qui est loin de correspondre à leurs compétences. "Ma fille est pédiatre, en Ukraine elle travaillait dans un service d’ophtalmologie pour enfants", développe Yulia Vlasenko. Quant à son gendre, il est chirurgien pédiatrique… mais travaille désormais dans une usine qui fabrique l’isolation des camions.

Leur diplôme ukrainien n’étant pas réputé équivalent au diplôme français, les trois médecins de la famille ne sont en effet pas autorisés à exercer la médecine. A l’instar des autres Padhue*, ils doivent au préalable passer les épreuves de vérification des connaissances (EVC) et exercer deux ans à l’hôpital comme praticien associé, avec une rémunération d’environ 30 000 euros brut par an**. "La formation de médecin est plus longue en France, concède Yulia Vlasenko. En Ukraine, j’ai fait six années d’études et deux années d’internat. Mais là-bas, les médecins doivent repasser un examen tous les cinq ans", signale-t-elle.

A 49 ans, Yulia Vlasenko ne désespère pas de pouvoir à nouveau exercer ce métier dont elle a "toujours rêvé" et de s'installer dans sa commune d'adoption. Consciente qu’un parcours du combattant de trois ou quatre ans l’attend, elle se montre néanmoins déterminée à tenter le coup, en franchissant les étapes les unes après les autres, sans se précipiter. "J’ai le droit à quatre essais pour l’examen médical. Mais pour m’inscrire, je dois d’abord attester d’une maitrise du français niveau B2", explique-t-elle. 

Si pour les bases du français, la praticienne bénéficie de l’aide d’une bénévole d’une association locale, elle sait qu'elle doit encore se perfectionner et, surtout, se familiariser avec le lexique médical : "Je n’arrête pas d’étudier, je parle, j'essaie de me corriger car la langue, c’est très important pour s'intégrer."

 

"Je ne peux pas travailler aux urgences"

Désireuse de se familiariser avec le système de santé français, la praticienne a pu compter sur l’aide confraternelle du généraliste "historique" du bourg, le Dr Gérard Rivière, qui exerce en tant que médecin coordonnateur à l’Ehpad de la ville. "Pour la remettre sur les rails, pendant quelques mois, je l’ai laissée m’accompagner lors de mes visites à l’Ehpad, deux fois par semaine", nous raconte-t-il. Yulia Vlasenko a fini par y décrocher un poste d’aide-soignante, ce qui lui permet d’apprendre les termes utiles à son métier. Par l’entremise de Gérard Rivière, qui juge une "remise à niveau" indispensable en amont des EVC, la généraliste ukrainienne a également postulé à l’hôpital d’Agen pour un poste de faisant fonction d’interne. "Pour l'instant il n'y a pas de places vacantes. Et en tant que généraliste, je ne peux pas travailler aux urgences", regrette-t-elle.

Plus de deux ans après son départ d’Ukraine, Yulia Vlasenko confie être encore souvent sollicitée pour des conseils médicaux par ses anciens patients restés au pays ou par ceux qui se sont réfugiés ailleurs en Europe. Mais elle ne peut rien prescrire, y compris pour elle-même. "Pour ça, je dois aller voir un médecin... Ici on manque de médecins, mais à Astaffort il y a trois médecins ukrainiens qui ne peuvent pas exercer", soupire-t-elle. Le Dr Rivière, lui, aimerait pouvoir enfin raccrocher la blouse : "J’ai 71 ans, je suis à la retraite et je travaille encore. Dans notre village on était quatre, il n’y a plus qu’une généraliste... donc j’aide.” 

 

*Praticiens à diplôme hors Union européenne.

**Il est possible d’obtenir une autorisation d’exercice temporaire de l’ARS afin d’exercer en tant que praticien associé pour mieux préparer les EVC. Les médecins étrangers peuvent également suivre une formation de six mois et exercer comme infirmiers. 

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Claire FAUCHERY

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1 débatteur en ligne1 en ligne
Photo de profil de MARIE CLAUDE MILHAU
790 points
Incontournable
Infirmiers
il y a 1 an
C’est désolant ce genre de situation ! Certes il est nécessaire que les pratiques médicales soient encadrées mais vu le nombre de médecins partants à la retraite ou débordés, on attend quoi pour faciliter les équivalences ? Les payer au rabais ? Infirmiers ou en usine ? Quelle perte de valeur pour des pros déjà à terre par la guerre et la France qui fait la fine bouche ? Bien sûr parler la langue française est indispensable mais prenons soins les uns des autres avec respect
Photo de profil de ROMAIN L
17,4 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Tout cela me semble tout à fait normal. Apprendre la langue et prouver ses compétences. Elle n'est pas "privée de son métier", elle doit simplement apprendre à être médecin en France, ce qui n'est probablement pas tout à fait la même chose qu'en Ukraine. On lui permet déjà de fuir la guerre et d'avoir un logement, ce n'est pas mal il me semble. J'en ai vu défiler pas mal par chez moi, des réfugiés ukrainiens. Bourgeois pour la plupart, ils sont tous partis sans exception aux États-Unis après avoir bien profité des soins et du logement totalement gratuits en France. Nous sommes d'éternelles bonnes poires...
Photo de profil de Michel Rivoal
10,7 k points
Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 1 an
Je ne suis pas un héro! J'ai eu peur dans certaines interventions en SMUR pour des rixes et dans des endroits non encore complétement sécurisés comme des accidents de chantiers. Et pourtant je ne suis jamais intervenu sur des lieux d'attentats. Alors la guerre!!! Comment peut on reprocher à quelqu'un de la fuir (Marioupol mais pas seulement)? Oui, bien sûr, il faut s'assurer que ces migrants soient compétents et produisent des équivalences mais aussi je dirais plus: qu'ils soient suivis pour leur épargner ou atténuer un possible syndrome post traumatique. Après, qu'ils se fixent en "terre d'accueil", qu'ils migrent plus loin ou qu'ils retournent au pays c'est effectivement leur choix mais n'oublions pas que c'est un choix contraint. J'ai bien dit "migrants", donc mon propos ne concerne pas que les Ukrainiens et pas que les médecins. Je reprendrais une fois de plus les paroles -complètes- de Michel Rocard:" La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part".
 
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