Déontologie : "Il faut avoir le courage de changer les choses, pour ne pas revivre des affaires Le Scouarnec ou Péchier"
Choqué par l'affaire Péchier, en cours de jugement, le Dr Martin Ambroise, médecin généraliste au sein de SOS 21, appelle à un changement radical au sein de la profession, dans un courrier transmis à Egora et que nous publions en intégralité. Ce jeune praticien syndiqué, engagé au sein de l’Union régionale des professions de santé médecins libéraux en Bourgogne-Franche-Comté, dénonce les guerres "d'égos mal placés" qui peuvent conduire au pire.
"L’affaire Péchier, du nom du Docteur Frédéric Péchier, dont le procès se déroule devant la Cour d’Assises de Besançon, secoue énormément le milieu médical.
Pour ma part, après avoir suivi les deux premières semaines d’audience sur le site de l’Est Républicain, ad nauseam, j’ai fait une pause car j’ai eu l’impression amère de me mettre à haïr ma profession.
Ma profession, pas le métier de médecin.
Les hommes et les femmes qui la composent et l’exercent, pas le fait de soigner.
Pour le jeune médecin syndiqué, engagé, et benjamin de l’Union Régionale des Professions de Santé Médecins Libéraux en Bourgogne-Franche-Comté, la situation devenait fâcheuse.
Je me voyais mettre toutes mes consœurs et tous mes confrères dans le même sac.
J’ai donc pris la tangente, tant pour retrouver un peu de sérénité que pour chercher comment croire encore en notre Confrérie, liée par le Serment d’Hippocrate qui « nous sépare définitivement des autres disciplines universitaires » -disait mon Président de Jury, le Professeur Pascal Chavanet.
Notre profession est faite d’hommes et de femmes. Nul n’est infaillible, nul n’est parfait. Et nul n’est à l’abri de dégoupiller, ou de commettre le pire sur soi-même ou sur un tiers. Il suffit de voir le taux d’alcoolisme, d’addiction, de violences intrafamiliales, de divorces voire de suicides chez les médecins pour comprendre qu’ils ne se ménagent hélas pas, et ne sont pas aidés énormément.
Et dans le cas de Frédéric Péchier, au-delà de l’atrocité des faits qui semblent l’accabler et de la condamnation qui semble devenir inéluctable, on doit se questionner sur les mécanismes qui conduisent un homme brillant, époux et père épanoui, bien intégré et respecté, à se transformer en monstre criminel dans l’ombre qui règle ses querelles avec ses associés par patients interposés.
Et en corollaire la profession se devra d’effectuer un travail d’inventaire et se questionner sur ce qui la régit et les relations entre confrères.
Les conflits entre confrères, exacerbés parfois par les réseaux sociaux, sont la première cause de plainte devant l’Ordre des Médecins.
Si je dois parler de moi, les deux sanctions que j’ai subi ont été dues à des problèmes d’égo froissé.
Certes je n’ai pas mis la forme, mais le fond, dans les deux cas, je ne le regrette pas. Mes sanctions me servent dans mon action et mon travail de terrain. Même si je laisse aujourd’hui à d’autres le soin de jouer les paratonnerres…
Que ce soit lorsqu’un confrère me dénonça dans un jeu malsain de délation en mode billard à trois bandes dans un dossier de conciliation avec un Professeur.
Ou lorsqu’un Sénateur, par ailleurs lourdement sanctionné par le même Ordre pour ses prises de position lors de la crise sanitaire, choisit l’Ordre pour me faire taire.
Les deux fois, l’Ordre départemental fut plaignant ou plaignant associé, jugeant à mon sens d’avantage la forme que le fond.
La vie a continué, et je continue de travailler avec l’Ordre régional et départemental à améliorer la situation sanitaire locale. Les femmes et hommes de bonne volonté m’intéressent d’avantage que les rancunes et égos mal placés.
Et rassurez-vous, quand bien même je voue une certaine aversion pour certains confrères, il ne me viendra jamais à l’idée de m’en prendre à leurs patients pour les atteindre.
C’est toute une succession de choses qu’il faut changer :
-les études où la compétition est permanente, favorisant le développement d’égoïsmes et d’égos mal placés
-les témoignages de harcèlement ou de violences sexistes et sexuelles, qui doivent normalement aboutir à une saisie de l’Ordre et du Parquet, avec suspension provisoire et retrait conservatoire des agréments, mais qui n’aboutissent pas dans les petits CHU où certains médecins sont les seuls spécialistes, et dont la suspension aboutirait à une perte d’argent et d’activité. Ce n’est pas en interdisant aux filles d’être seules en consultation qu’on envoie de bons signaux.
-l’omerta institutionnalisée autour des suicides. Chaque fois les hôpitaux se défilent de leurs responsabilités en invoquant des « problèmes personnels ».
-la complaisance au moment de juger l’aptitude physique et surtout psychologique des internes qui débute. Je ne pense pas que les internes présentant ce certificat ont été examiné.
-Cesser de faire des chambres disciplinaires ordinales des bureaux de pions de collège où se règlent des querelles d’égos inutiles.
Il en va de l’honneur de la Médecine, notre profession, que les Médecins, mes consœurs et confrères, aient le courage de changer les choses à tous les niveaux possibles.
Oui il faut avoir le courage de changer les choses, sans quoi nous sommes condamnés à revivre des affaire Le Scouarnec ou Péchier."
La sélection de la rédaction