
Durée des arrêts maladie, dépassements d'honoraires, sortie d'ALD... La Cnam sort l'artillerie lourde
Aux grands maux, les grands remèdes. Alors que la soutenabilité du système de santé solidaire français est en jeu, la Caisse nationale d'Assurance maladie (Cnam) a dévoilé ce mardi 24 juin, dans le cadre de son rapport Charges et produits, ses 60 propositions pour réaliser 3.9 milliards d'euros d'économies dès 2026... et plus de 22 milliards à l'horizon 2030.

"L'Assurance maladie est à un tournant", a lancé le directeur général de la Cnam. Pour préserver la solidarité et la qualité des soins, "elle doit trouver les moyens de garantir sa soutenabilité." Et pour l'heure, les comptes ne sont pas bons, a rappelé Thomas Fatôme, en préambule d'une conférence de presse organisée ce mardi 24 juin au siège de la Cnam.
Alors que le déficit pour 2025 devrait déjà s'élever à 16 milliards d'euros, la "dynamique des dépenses et des recettes nous amène à générer 25 milliards d'euros de dette supplémentaire d'ici à 2030", a alerté le directeur de la Cnam. Le "double effet" du vieillissement de la population et de l'augmentation des pathologies chroniques "fait peser une pression extrêmement élevée", a-t-il relevé. En 2035, 43% de la population pourrait ainsi être porteuse d'une ou plusieurs pathologies chroniques.
Associant pour la première fois dès le début des travaux, les membres du conseil de la Cnam (syndicats de salariés, représentants des employeurs, de la Mutualité française…), l'Assurance maladie a dévoilé ce mardi son rapport Charges et produits pour 2026. Ce rapport stratégique, qui contribue chaque année à éclairer les politiques publiques et à élaborer le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l'année suivante, présente 60 mesures pour réaliser 3.9 milliards d'euros d'économie dès 2026 – un montant "significativement supérieur" à celui des années précédentes- et 22.5 milliards d'euros à l'horizon 2030. Le rapport de cette année se veut en effet plus "prospectif", décrypte Thomas Fatôme. "Nous faisons des propositions sur des sujets structurants", sur lesquels "on veut ouvrir le débat", a-t-il expliqué. Ces propositions reposent sur trois grands axes : la prévention, l'organisation des soins et le "juste soin au juste coût".

Dépistage de l'HTA en pharmacie
"Défi de la décennie", la prévention (primaire, secondaire et tertiaire) nécessite "une mobilisation de tous les acteurs", a lancé Thomas Fatôme. La Cnam propose notamment de mettre en place un dépistage généralisé de l'hypertension artérielle en pharmacie. Elle veut également "'interdire" les dépassements d'honoraires sur les actes "en lien" avec le dépistage organisé des cancers (mammographie, échographie, coloscopie). Pour la caisse nationale, cela "permettrait de lever un frein financier important et de garantir la continuité entre le test de dépistage et l’examen diagnostique".
L'Assurance maladie soutient par ailleurs l'obligation d'afficher le Nutri-score sur les produits emballés et dans les publicités et plaide pour renforcer et élargir la taxation des produits nocifs (tabac, alcool, boissons sucrées…). Dans une proposition optionnelle, sur laquelle les membres du Conseil de la Cnam sont amenés individuellement à se positionner, l'Assurance maladie suggère de rendre obligatoire la vaccination des résidents (voire des soignants) en Ehpad et de saisir la Haute Autorité de santé sur "l'opportunité d'abaisser la vaccination HPV à 9 ans".
Pour améliorer le parcours de soins – deuxième grand axe, la Cnam soutient l'émergence d'un nouveau métier : l'infirmière de coordination. Au sein des structures d'exercice coordonné (maisons de santé, centres de santé), elle sera en charge de "suivre le parcours des patients chroniques, d'assurer leur suivi et leur surveillance/télésurveillance médicale, d’organiser le lien avec les structures hospitalières et médicosociales (dont entrées/sorties), de proposer de l’éducation thérapeutique".
La Cnam compte également rouvrir le dossier des dépassements d'honoraires des médecins spécialistes. Alors qu'une mission est en cours sur le sujet et fera prochainement des propositions, le rapport suggère "de relier davantage le niveau des dépassements et leur progression à des critères d’expérience et d’expertise".
Ne plus rembourser les prescriptions des médecins non conventionnés
La Cnam entend également "réguler plus fortement l'activité médicale conventionnée". Elle réitère sa proposition de "ne plus rembourser les prescriptions des médecins non conventionnés" et souhaite négocier avec les syndicats "des actions de régulation" des activités non conventionnées telles que la médecine esthétique et la sophrologie. Cela pourrait se traduire par la détermination "d'un seuil pour rester conventionné", précise le rapport.

Alors que les troubles psychiques génèrent 28 milliards d'euros de dépenses et touchent un Français sur cinq, le rapport recommande de structurer davantage la "filière psychiatrique". "Les médecins généralistes ont besoin d'être davantage aidés, ils ont besoin d'un accès plus rapide, plus facile à un avis spécialisé", a appuyé Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à l'organisation des soins. Cela passe par le développement de la télé-expertise avec les psychiatres et des équipes de soins spécialisés dans chaque territoire, par "l'ouverture d'une offre de soins solvabilisée en ville de psychologues pouvant suivre des patients plus sévères" et par l'organisation d'une permanence des soins psychiatriques (SAS et Samu psy).
Autre réforme envisagée : celle du système des ALD. "Si on suit le même rythme, en 2035 on aura 26% d'assurés en ALD qui concentreront les trois quarts des dépenses d'assurance maladie", alerte Thomas Fatôme. "On a un risque majeur que cette concentration de la dépense sur le 'gros risque' mette sous pression le 'petit risque' et que le ticket modérateur apparaisse comme la variable d'ajustement du système", remettant de fait en cause "l'universalité de la Sécurité sociale". La Cnam plaide ainsi pour une "gestion plus dynamique" du dispositif ALD. Il faut "réévaluer l'exonération pour les personnes en situation de guérison ou de rémission de certaines pathologies (cancers, certains affections cardio-vasculaires) pour la remplacer par un dispositif de suivi et une surveillance renforcée", lance la Cnam. "En cas de rechute ou d'aggravation de la pathologie, le dispositif ALD serait à nouveau déclenché."
Est-ce qu'il est totalement légitime que l'Assurance maladie finance à 100% les cures thermales pour les personnes en ALD?
Par ailleurs, la Cnam souhaite mettre fin à la prise en charge à 100% pour les assurés en ALD des prestations et produits "dont l'efficacité ne justifie pas ce remboursement intégral"… telles les cures thermales. "Nous ne proposons pas de dérembourser les cures thermales, s'est empressé de préciser Thomas Fatôme. Nous disons juste : est-ce qu'il est totalement légitime que l'Assurance maladie finance à 100% les cures thermales pour les personnes en ALD?" Pour trancher la question, la Cnam souhaite travailler avec la HAS pour établir "une liste de soins spécifiques et opposables à terme à chaque ALD".
Autre "option" sur la table : la création d'un statut "de risque chronique" en amont de l'ALD, dont la déclaration au moment du diagnostic (d'une HTA, d'une obésité, d'un risque cardio-vasculaire, d'une hypercholestérolémie, ou d'un diabète de type 2 sans comorbidité) par le médecin traitant permettrait la mise en place d'un parcours de prévention pour éviter ou retarder l'aggravation de la pathologie.
Limiter la durée des arrêts à 15 jours en ville en primo-prescription
Alors que les dépenses d'indemnités journalières (IJ) s'emballent (+6% sur un an), la Cnam fait plusieurs propositions concernant les arrêts maladie. Elle veut notamment "encadrer davantage la prescription" en rendant l'inscription du motif de l'arrêt "obligatoire". Pour renforcer le suivi médical, elle souhaite limiter la durée de l'arrêt pouvant être prescrit : en primo-prescription, elle serait limitée à 1 mois en sortie d'hôpital et à 15 jours en ville ; en renouvellement, à deux mois. "Trois mois, ça n'est pas pertinent en termes de suivi par le médecin, a justifié Thomas Fatôme. On pourra nous dire que ça sera des consultations en plus mais par rapport aux coûts engagés avec les arrêts de travail trop longs, il n'y a pas photo."
Enfin, la Cnam veut engager des "actions fortes pour payer le juste soin au juste prix". La croissance des dépenses de médicaments, notamment des innovations, n'est pas compatible avec la soutenabilité du système de santé, estime l'Assurance maladie, qui propose de baisser les prix des médicaments en ASMR* IV (progrès thérapeutique mineur) et V (sans amélioration du service médical rendu). En oncologie, en particulier, la Cnam appelle à "enrayer le phénomène 'payer plus cher qu'avant des médicaments qui démontrent moins bien leur intérêt'". Appelant à appliquer aux médicaments biosimilaires les mêmes recettes que pour les médicaments génériques, elle suggère de conditionner le tiers payant à la délivrance d'un biosimilaire.
La caisse compte aussi s'attaquer aux "rentes économiques qui se sont constituées dans certains secteurs de l'offre de soins". Anatomopathologie, audioprothésistes, biologie, dialyse, médecine nucléaire, radiologie, radiothérapie présentent "une rentabilité opérationnelle moyenne supérieure à 15%", jugée trop élevée "dans le cadre d'un financement solidaire", relève-t-elle. Pour empêcher la constitution de ces rentes d'"argent public", la Cnam veut baisser les tarifs.
En matière de pertinence des soins, plusieurs propositions sont faites : rendre obligatoire le recours aux outils numériques pour les prescripteurs, "conditionner" le conventionnement des professionnels de santé (et son maintien) à leur "maitrise des règles de facturation et de l'état de l'art en matière de qualité et de pertinence", renforcer davantage la régulation de l'installation des paramédicaux avec la règle "deux départs pour une arrivée".
Contre la fraude, la Cnam veut aller plus loin. Elle suggère entre autres de suspendre le bénéfice de la garantie de paiement par l'Assurance maladie en cas de sanction de fraude pour les professionnels et celui du tiers payant pour les assurés. Elle veut également lutter contre le "nomadisme médical", qu'elle définit comme le fait de consulter plus de 10 généralistes différents dans l'année. Les assurés concernés recevront un courrier, seront convoqués par le service médical s'ils persistent et pourraient in fine être sanctionnés financièrement.
Ce rapport Charges et produits doit désormais être soumis au vote du Conseil de la Cnam, le 3 juillet. En parallèle, la Cnam doit rendre au Gouvernement "dans les prochaines heures ou les prochains jours" ses propositions de mesures pour enrayer le dérapage de l'Ondam 2025.
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