Grands gagnants, perdants, abstention record… Le bilan des élections URPS-médecins

08/04/2021 Par L. C. & Marion Jort
Syndicalisme
Appelés aux urnes électroniques du 31 mars au 7 avril, les médecins libéraux ont élu leurs représentants aux unions régionales des professionnels de santé (URPS). Avec huit syndicats en lice, ce scrutin, marqué par une forte abstention, a redessiné le paysage syndical, notamment avec la première participation de l’UFML-S. Si les généralistes ont conforté la place de MG France, les spécialistes ont opté pour une nouvelle organisation : Avenir Spé.  

  Sans surprise lors de scrutin, MG France a consolidé sa première place dans le collège des généralistes avec 36,58% des votes exprimés. Le syndicat du Dr Battistoni est suivi par la CSMF (17,31%) et la FMF (17,18%), qui perdent tous deux des voix par rapport aux précédentes élections. Très attendu, l’UFML-S, qui participe aux URPS pour la première fois, les talonne avec 17,08% des suffrages exprimés. Enfin, le SML remporte moins de 10% des votes (9,46%), tout comme l’Union collégiale (2,18%) et Jeunes Médecins (0,22%).   Du côté des spécialistes, c’est l’alliance Avenir Spé-Le Bloc qui s’impose en tête, raflant près de 40% des voix (39,30%). La CSMF remporte 22,36% des voix, devant l’UFML-S (16,67%), le SML (12,02%), la FMF (7,5%) puis l'Union collégiale (1,38%) et Jeunes Médecins (0,75%). 

Des résultats toutefois en demi-teinte pour les syndicats, les élections ayant été marquées par un taux d'abstention record (22,66% de participation). Si la crise sanitaire et la vaccination en ville n’y sont évidemment pas étrangères, les représentants des syndicats déplorent aussi un choix de calendrier n’ayant pas permis aux praticiens de se mobiliser massivement. “Avec le week-end de Pâques en plein milieu de la semaine de vote, certains médecins ont sûrement pris des jours pour souffler. Et puis à leur retour au cabinet le mardi, ils ont été pris par les patients qui attendaient. Ils n’ont probablement pas eu le temps de voter”, regrette Corinne Le Sauder, présidente de la FMF.  A cette difficulté s’ajoute aussi celle du vote électronique, expérimenté pour la première fois. “C’est ce qui explique le taux d’abstention”, estime pour sa part le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. “Au moins 30% avaient perdu ou jeté leurs identifiants. On a passé le lundi de Pâques à les aider à les récupérer. Et beaucoup ne savaient pas comment faire”, détaille-t-il encore. Le représentant de MG France, Jacques Battistoni, rappelle enfin que contrairement à 2015, aucun contact sur le terrain n’a pu être fait avec les électeurs car les déplacements n’étaient pas permis.    “Les médecins sont désabusés”  Alors que les notions d’attractivité et de revalorisation du métier ont été au cœur de tous les programmes, le Dr Philippe Vermesch, président du SML, alerte aussi sur le désintéressement des médecins aux élections. “Ils sont très désabusés. Entre ce qui se passe depuis un an avec le Covid, comment on nous traite... On voit les hôpitaux sur le devant de la scène médiatique. Ils ont de l'argent, et nous, on ne nous donne rien, cite-t-il par exemple. Beaucoup de médecins attendent la retraite.”  Pour lui, le constat est sans appel : les URPS n’ont pas fait le travail. “Si elles avaient fait leur boulot, les médecins sauraient ce que c’est et auraient été intéressés à voter. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.”   Ce taux de participation inédit, diminué de près de moitié comparé aux précédentes élections, est également loin de satisfaire le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, qui tire pourtant son épingle du jeu pour sa première participation. “C’est la défaite de tout le monde. C’est un drame démocratique. Pour moi, ce manque de participation est directement lié au bilan des syndicats depuis des années”, tranche-t-il, affirmant que sa mission première est de “redonner une dynamique” au syndicalisme. Se hissant à la quatrième place du collège des généralistes et des spécialistes, l’UFML-S a ébranlé les syndicats historiques, la FMF et la CSMF notamment, en devenant la deuxième centrale polycatégorielle. Une popularité qui récompense, selon son président, des convictions sans faille depuis la création du syndicat, il y a neuf ans.  

Si du côté de la FMF, on s’attendait à ce succès du jeune syndicat, le président d’AvenirSpé, Dr Patrick Gasser, estime que c’est surtout un “message” envoyé aux organisations historiques. “Il faut prendre conscience que le terrain nous envoie un message, nous fait comprendre que nous ne les avons pas forcément très bien défendus”, assène-t-il, allant même jusqu’à évoquer un “vote protestataire”. Même son de cloche du côté de Corinne Le Sauder, qui considère que le score en berne de la FMF s’explique en partie par la participation de l'UFML. “Ils ont bénéficié de l’effet nouveauté. Les médecins ont pu se dire qu’ils connaissaient déjà notre système, ils ont voulu voir si les nouveaux faisaient mieux”, suppose-t-elle, admettant que l’UFML-S rebattait les cartes du paysage syndical. “Je ne le regrette pas, je pense que c’est bien de faire bouger les choses”, affirme néanmoins la praticienne.  Toujours est-il que la bonne performance de l’UFML-S a vidé certains syndicats de leurs électeurs, notamment parmi les syndicats polycatégoriels. Le SML, arrivé juste derrière, ne cache pas sa déception. “Je ne m’attendais pas à me prendre une claque sur les médecins généralistes parce qu’on a beaucoup travaillé dessus”, lâche le Dr Vermersch, amer. “Il y a deux fois moins de médecins qui ont voté par rapport à la dernière fois, mais avec deux syndicats de plus. Résultat, tout le monde s’écrase”, regrette-t-il.     "Le terrain souhaite avoir un visage”   Pour le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, la victoire des syndicats monocatégoriels à ces élections est incontestable. Selon le praticien, à la tête de l'organisation depuis décembre 2017, c’est le fait d’être un syndicat monocatégoriel, et proche du terrain, qui lui a permis de renforcer sa place de leader parmi les médecins généralistes, avec 36,6% des suffrages exprimés. Un score qui lui confère le rôle de “porte-parole” de la profession, d’autant que le syndicat est fort d’un réseau d’adhérents réparti sur la totalité du territoire.  L’union Avenir Spé-Le Bloc, autre grande gagnante de ce scrutin, se félicite d’avoir su rassembler autour d’elle bon nombre de médecins spécialistes. En effet, dans ce collège, près de 40% des votes (39,30%) se sont dirigés vers l’alliance, pourtant très récente puisqu’elle n’a été officialisée qu’en octobre dernier par les présidents des deux syndicats, dont le Dr Patrick Gasser, gastro-entérologue, qui a dirigé pendant six ans la branche Umespe-CSMF avant de fonder Avenir Spé en janvier 2020 à la suite d’une scission avec la CSMF.   Selon lui, la victoire des syndicats monocatégoriels s’explique par la volonté des professionnels de terrain de se reconnaître dans un syndicat. “Le terrain souhaite avoir un visage : les généralistes se retrouvent dans MG France et les spécialistes se retrouvent dans l’union Avenir Spé-Le Bloc”, explique-t-il, appelant au regroupement de tous les syndicats de spécialités autour d’Avenir Spé-Le Bloc. “Il y a un choix à faire” pour “rénover” le paysage syndical, soutient le Dr Gasser. “Il faut une organisation visible et acceptée de tous.”  Même crédo du côté de MG France qui, dans un communiqué diffusé ce jeudi matin, appelle “tous les généralistes déçus par la faible efficacité d'une représentation polycatégorielle” à le rejoindre.  D’autres ne jugent toutefois pas la victoire des syndicats monocatégoriels unanime. C’est le cas du Dr Luc Duquesnel, selon qui “près des deux tiers des médecins libéraux dans les deux collèges ont voté pour des syndicats polycatégoriels”. Pour lui, ces organisations restent donc “largement majoritaires” tous collèges confondus. En opposant monocatégoriel et polycatégoriel, le Dr Jérôme Marty craint quant à lui que “le gouvernant, voyant cela, fasse une convention pour les généralistes, une convention pour les spécialistes”, ce qui serait “dangereux” à ses yeux.   

  Avec qui s’allier ?  Si les dés sont jetés concernant la distribution des sièges, le jeu des alliances va quant à lui démarrer. Alors que huit syndicats se sont présentés aux élections, le paysage syndical se voit bouleversé. “Il va bien falloir qu’on se rapproche, je ne sais pas comment faire autrement”, admet le Dr Le Sauder. D’autant que le paysage risque de nouveau de changer. “Les alliances d’aujourd’hui ne sont pas forcément les alliances de demain”, annonce Jérôme Marty qui prévient : “On préférera refuser des alliances plutôt que faire des alliances avec des gens qui ne promeuvent pas les idées que nous défendons.”  “Dans la perspective des accords conventionnels à venir, on va avoir besoin de passer des alliances. Par nature, étant un syndicat monocatégoriel, on ne peut pas signer une convention polycatégorielle tout seul”, reconnaît pour sa part le Dr Battistoni. “Pour nous il y a une logique à se tourner vers un syndicat monocatégoriel comme Avenir Spé, mais il faut qu’Avenir Spé renonce à son idée de contrecarrer le parcours de soins qui, pour nous, est un élément structurant du système de santé en France. Il n’est pas question de revenir dessus”, déclare-t-il.  Affirmant ne pas être opposé à la médecine générale, le Dr Gasser déclare que l’union Avenir Spé-Le Bloc va trouver “la meilleure organisation possible avec les médecins généralistes de tous bords”. “Cela passera par une territorialisation des choses”, précise-t-il. Il estime toutefois qu’il est “beaucoup trop tôt pour parler d’alliances”. “Je n’irai pas du côté de la médecine administrée”, prévient néanmoins le gastro-entérologue qui réaffirme son attachement aux valeurs libérales de la profession. 
 
  Chantiers à venir   Si les alliances sont à ce point importantes à nouer, c’est parce que les syndicats élus aux unions régionales professionnelles de santé vont avoir la responsabilité de négocier dans les mois à venir avec la Cnam sur des sujets capitaux. Avec, dans un premier temps la sortie de la crise sanitaire. Une lutte dans laquelle les médecins sont, depuis plus d’un an déjà, engagés et pour laquelle les médecins de ville souhaitent plus de reconnaissance et d’aides. 

 
Sur le plan conventionnel, plusieurs chantiers attendent les nouveaux élus, les négociations conventionnelles de l’avenant 9 ayant été suspendues en décembre dernier, faute d’avoir pu trouver un accord permettant d’envisager une signature des syndicats de médecins libéraux avant la fin de l’année. De même pour les négociations sur l'avenant 2 de l'ACI CPTS et exercice coordonné, suspendues fin janvier. “On va reprendre le travail sur les équipes de soins primaires qui est un sujet très important pour nous. On espère évidemment être écoutés et notre position renforce notre écoute, indique le Dr Battistoni. Il faut aussi reprendre les négociations sur l’avenant 9, qui doivent être un prélude à la future convention et donner un certain nombre de revalorisations tarifaires très attendues par les généralistes, notamment sur la visite à domicile. Il faut que l’Assurance maladie fasse l’effort nécessaire”, ajoute-t-il, expliquant avoir échangé “dès hier soir” avec Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam.

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