Saïd Ouichou

Le Dr Saïd Ouichou dans son cabinet de La Viste / Crédit : Sylvain Labaume

"Je n'ai pas peur" : généraliste dans les quartiers nord de Marseille, il a choisi de rester malgré la violence

Depuis le départ de sa jeune collègue, victime d'une agression en août dernier, le Dr Saïd Ouichou exerce désormais seul dans son cabinet de La Viste, quartier populaire de Marseille. Prêt à tout pour ne pas "abandonner les patients", le généraliste a fait poser un bouton d'alerte sous son bureau.

13/01/2025 Par Sylvain Labaune
Violence
Saïd Ouichou

Le Dr Saïd Ouichou dans son cabinet de La Viste / Crédit : Sylvain Labaume

Le Dr Saïd Ouichou est désormais seul, seul à assurer des dizaines de consultations par jour dans son centre médical de La Viste, un quartier populaire sur les hauteurs de Marseille qui surplombe la mer.

Sa collègue, une généraliste de 35 ans, a été rouée de coups en août pour avoir refusé de délivrer une ordonnance. La jeune médecin a depuis quitté Marseille et n’est plus revenue travailler dans le quartier. “Elle a été traumatisée alors que c’était sa première installation”, explique le généraliste.

Les agresseurs ont été rapidement arrêtés : une femme d’une vingtaine d’années, accompagnée d’une enfant de 11 ans qui a également participé au lynchage. La jeune femme a été condamnée en octobre à deux ans de prison, dont un an avec sursis. La peine de prison ferme est effectuée sous bracelet électronique.

S’il n’était pas présent lors de l’agression, le Dr Saïd Ouichou reste très marqué par l’événement. Depuis, il a fait installer un bouton sous son bureau qui permet de donner l’alerte en cas de besoin. “Il suffit d’appuyer et cela déclenche un interphone avec un centre de télésurveillance. En cas d’altercation, les agents de sécurité entendent ce qui se passe dans le cabinet ou bien je peux leur demander directement d’appeler la police.”

De multiples agressions par le passé

Les patients et habitants du quartier s'arrêtent pour saluer le médecin / Crédit : Sylvain Labaume

Fort heureusement, le médecin généraliste n’a pas eu besoin pour l’instant d’appuyer sur le bouton. Le coût de fonctionnement de cet équipement est de 100 euros par mois. Une somme que le généraliste prend lui-même en charge et à laquelle il a fallu ajouter 500 euros de frais d’installation.

Ce n’est pas la première fois que le Dr Ouichou est confronté directement ou indirectement à une agression. Avant son installation fin 2022 à La Viste, il a exercé pendant seize années dans un autre quartier du 15e arrondissement de Marseille.

Mais, après de multiples agressions verbales et physiques, il avait dû quitter son cabinet. Parmi les nombreux incidents, l’agression par une patiente qui lui avait valu 5 jours d’ITT, des lunettes cassées ou encore des menaces de mort. “La goutte d’eau, ça a été en septembre 2022 lorsque deux gars ont tenté de me frapper. Heureusement, les patients présents dans la salle d’attente sont intervenus et le pire a été évité. C’est à ce moment que j’ai dit stop, ça suffit, et je me suis installé à La Viste”, se souvient-il. 

Cherche deuxième médecin, désespérément

Le Dr Ouichou cherche aujourd’hui désespérément à trouver un deuxième médecin pour son centre de La Viste. Mais travailler dans les quartiers nord peut faire peur et le généraliste ne parvient pas à trouver ne serait-ce qu’un remplaçant, malgré de multiples annonces postées.

Après le départ de sa collaboratrice en août, il a dû œuvrer d’arrache-pied pour éviter que les habitants du quartier se retrouvent sans médecins. “J’ai dû travailler tous les jours, y compris les samedis et dimanches, pendant plusieurs semaines d’affilée, alors qu’auparavant on se partageait les week-ends à deux”, précise-t-il. Il n’y a que très peu de médecins dans le secteur et la fermeture du centre, initialement ouvert 7 jours sur 7, aurait eu des conséquences graves sur la santé des habitants.

“Il fait un travail formidable, il faut absolument qu’il reste”

Le Dr Ouïchou prend actuellement en charge 2 000 patients alors que la moyenne est d’environ 1 000 patients par médecin traitant. Il a toutefois arrêté de travailler les week-ends depuis le 22 décembre et l’entrée en vigueur de la nouvelle convention avec l’Assurance maladie. Les nouveaux tarifs de consultations le soir et le dimanche ont été revus à la baisse, sous réserve de prouver le caractère urgent de la consultation. “Quel médecin voudrait travailler le week-end pour des consultations désormais fixées à 35 euros, soit une majoration de seulement 5 euros ?”, déplore-t-il.

Malgré les risques, le Dr Ouïchou a choisi de rester à La Viste. “Je reste pour la grande majorité des patients qui sont respectueux. Ils ont besoin d’être soignés et pris en charge. Je ne peux pas les abandonner.” “Je reste également parce que j’aime les gens et ils ne méritent pas cela. Je n’ai pas peur”, ajoute-t-il.

Un lien presque intime semble unir le Dr Ouichou aux habitants du quartier. Dès qu’il pose un pied sur le perron du centre, les regards se tournent vers lui. Les patients et les habitants s’arrêtent pour le saluer ou lui adresser des mots d’encouragement. “Il fait un travail formidable, il faut absolument qu’il reste”, lance l’un d’eux avec le pouce levé. 

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Claire FAUCHERY

Claire FAUCHERY

Oui

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2,6 k points
Débatteur Passionné
Autre spécialité médicale
il y a 11 mois
Pas de miracle à attendre. Il n'y a aucune chance que ces quartiers marseillais -très moches- connaissent un jour une "gentrification" ; comprendre que des bobos y trouvent du charme (et des prix) et viennent s'y installer... Il y a plus de 50 ans, je me suis installé -pas très loin- dans un quartier ouvrier comportant des maisons individuelles de retraités des chantiers et quelques HLM. Peu à peu , les maisons des retraités ont été rachetées par des jeunes cadres et les appartements HLM ont été mis en accession à la proprièté. C'est devenu bien beau, bien propre , bien sûr (merci verisur!) , tout le monde a sa piscine, des portails électriques, des murs tout autour, mais tous les petits commerces alimentaires ont disparu, le bar tabac PMU a été racheté par des asiatiques et s'en tient au cbd
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232 points
Incontournable
Psychiatrie
il y a 11 mois
J'ai quand même du mal à comprendre un tel discours, régulièrement mis en avant par les médecins et les journaux, à la gloire de la médecine et de l'abnégation de certains confrères. C'est juste une question de temps avant qu'un autre décérébré ne l'agresse, d'autant qu'il est de moins en moins disponible depuis le départ de sa consœur. Il en a déjà fait l'expérience mais il est prêt à recommencer ? Et pourquoi ses patients ne feraient pas 10km en voiture ou en bus pour aller le voir dans un quartier plus sûr ? Et pourquoi ces mêmes patients, au lieu de chanter ses louanges et de rentrer tranquillement chez eux ne s'organisent pas pour lutter contre les incivilités ?
Photo de profil de Otton Lisa
19 points
Médecine générale
il y a 11 mois
Bonjour. J'invite notre confrère à travailler en équipe et pour cela à se faire accompagner par la fédération locale des MSP et surtout les habitants de son quartier. Bravo à vous mais ne soyez pas seul !
 
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