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“Je cesse mon activité libérale au 31 décembre” : le déremboursement des prescriptions bouleverse l'avenir des médecins de secteur 3

Adoptée définitivement le 16 décembre, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 prévoit le déremboursement des prescriptions émises par les médecins déconventionnés à compter du 1er janvier 2027. Une mesure "injuste" qui suscite de la colère et de l’incompréhension chez bon nombre de praticiens concernés et les contraint à repenser leur avenir professionnel. Témoignages.

22/12/2025 Par Isabelle Veloso Vieira
Témoignage
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En ce vendredi 5 décembre, la Dre Caroline Leroux retient son souffle face à son écran. Le vote pour rétablir l’article 26 bis au PLFSS 2026 débute à l’Assemblée nationale. Il prévoit le déremboursement des prescriptions en secteur 3. A minuit passé, le couperet tombe : une majorité de députés vote pour. La mesure est définitivement adoptée, mardi 16 décembre. "Ma réaction a été au-delà de la colère. Ça a été un écœurement, un dégoût profond, une incompréhension. Je le vis comme une injustice", s’émeut la gynécologue, installée à L’Isle-Adam (Ile-de-France).

Cette annonce a aussi fait l’effet d’un coup de massue pour Sophie*, généraliste installée près de Toulon. "Je n’ai pas arrêté de pleurer, au point où je ne peux pas travailler car je suis incapable de voir des gens et de les écouter", se confie la médecin de 54 ans. Dès octobre, elle pressentait que la mesure allait passer. "Les députés en parlaient déjà l’année dernière."

C’est donc sans surprise, mais avec tristesse, que la Dre Céline Del Olmo, médecin généraliste à Seyssuel (Isère), a encaissé la nouvelle.  "C’est une façon de dissuader les professionnels en secteur 1 et 2 de se déconventionner pour continuer à leur fixer des règles." Mais aussi, inciter les médecins actuellement en secteur 3 à se reconventionner. Médecin généraliste spécialisé dans la médecine du sport près de Bordeaux, le Dr Jérémy Volante, médecin généraliste pense à retourner en secteur 1, en espérant garder le même temps et la même qualité de soins. "Je respecterai la cotation de la sécurité sociale mais tout ce qui ne sera pas remboursable sera certainement un peu plus cher pour éviter d’avoir un volume de patients trop élevé", détaille-t-il.

Se reconventionner ? C'est "non" pour 95% des médecins

Contrairement à Jérémy Volante, les médecins de secteur 3 seraient 95% à ne pas vouloir se conventionner, selon un sondage réalisé par leur syndicat. "J’aurais l’impression de retourner en arrière", évoque Sophie. En secteur 1 durant sept ans, l’ancienne médecin militaire a décidé de se déconventionner il y a deux ans et demi. "Je n’étais plus rentable car je prenais du temps avec mes patients."

Pour le Dr Caroline Leroux, le déconventionnement était vital. "C’était ça ou je déplaquais. J’étais au bord du burn-out. Je passais mon temps à courir pour essayer d’absorber le flux de patientes." Le secteur 3 lui a permis de retrouver une forme de liberté. Le conventionnement paraît donc inenvisageable : "Je ne peux pas rentrer dans une convention qui relève de la maltraitance institutionnelle et qui m’oblige, pour survivre, à faire de l’abattage." Ce rythme éreintant, le Dr Nadège Rosenberg l’a aussi vécu. Généraliste à Gambsheim (Bas-Rhin), elle a travaillé pendant 9 ans en secteur 1 avant de quitter la convention. "J’en ai bavé, lance-t-elle. Je voyais tellement de patients en une journée que je priais pour que les trois derniers n’aient rien de grave car mon cerveau était grillé.”

"Je l’ai pris violemment mais aujourd’hui j’ai pris une décision. Je fais mon deuil."

Ce regard critique sur la convention, Cécile Del Olmo le partage. "Je ne voulais plus dépendre financièrement de la Sécurité sociale. Pour moi, elle va au-delà de son rôle qui est de rembourser des prestations. Les médecins sont censés être indépendants dans leur façon de travailler." La Dre Virginie Marchal, cardiologue à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), abonde : "Je ne souhaite plus discuter avec l’Assurance maladie que je considère comme un organisme malhonnête".

Alors que la mesure n’est applicable qu’à partir de janvier 2027, les médecins interrogés qui ne souhaitent pas se reconventionner pensent déjà à l’après. Si leurs prescriptions ne sont plus remboursées, pourront-ils encore exercer en libéral ?

Généraliste près de Toulon, Sophie n’a pas attendu de le savoir. Elle déplaque. "J’ai vu avec mon comptable et je cesse mon activité libérale au 31 décembre pour devenir salariée dans une structure d’hospitalisation à domicile dès janvier", souffle-t-elle. Les propos tenus lors des débats sur les médecins exerçant en secteur 3 l’ont beaucoup attristée. "Je l’ai pris violemment mais aujourd’hui j’ai pris une décision. Je fais mon deuil."

À l’inverse, pour la cardiologue Virginie Marchal, rien ne changera. "Si mes patients souhaitent se faire rembourser leur prescription, ils pourront voir un médecin généraliste après ma consultation, qui acceptera ou non de leur prescrire mes préconisations. C’est l’un des principes de l’Avis ponctuel de consultant (APC), lorsqu’un patient nous est envoyé par un généraliste. Ça ne changera rien pour moi mais ça rajoute une contrainte aux patients."

"Je ne suis pas sûre d’avoir assez de patients qui pourront se permettre de payer leurs médicaments et examens complémentaires"

Une méthode à laquelle peuvent recourir les spécialistes mais les généralistes, en première ligne comme Céline Del Olmo, restent coincés. "Je ne suis pas sûre d’avoir assez de patients qui pourront se permettre de payer leurs médicaments et examens complémentaires", s’inquiète-t-elle. Une réalité dont est également persuadée Caroline Leroux. La gynécologue suit principalement des patientes avec des pathologies lourdes à qui elle prescrit des traitements et examens coûteux. "C’est un coût qu’un patient lambda ne pourra pas payer."

La médecin de 56 ans ne voit alors qu’une solution pour continuer à exercer la médecine comme elle le souhaite : partir à l’étranger. "Un centre de santé en Suisse m’a contacté pour venir chez eux. Les démarches sont en cours pour faire reconnaître mon diplôme." Cette option, Céline Del Olmo l’envisage également. La professionnelle a déjà fait reconnaître son diplôme en Suisse et se forme à la physio-nutrition. "Je verrai si un poste salarié peut me convenir mais j’en doute car ça voudrait dire avoir un patron et des contraintes", confie la généraliste. Jérémy Volante n’exclut pas, non plus, de redevenir médecin dans un club sportif  si "la charge mentale du libéral en secteur 1 devient trop lourde".

Le Conseil constitutionnel, le dernier espoir

Nadège Rosenberg envisage également le salariat si sa patientèle se révèle insuffisante suite au déremboursement des prescriptions. "Sinon pourquoi ne pas m’installer ailleurs, en Allemagne ou à Singapour", se projette-t-elle.

Avant de sauter le pas, ils attendront janvier 2027. L’espoir persiste. Le syndicat Médecins secteur 3 souhaite convaincre 60 parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel ou via une question prioritaire de constitutionnalité. "Cette mesure implique une inégalité de prise en charge entre des personnes qui cotisent obligatoirement à la même assurance. Pour que ça soit juste, il faudrait que les cotisations ne soient plus obligatoires et que chacun puisse choisir son assurance", s’insurge Nadège Rosenberg, secrétaire du syndicat. Pour ces raisons, "je continuerai à me battre jusqu’en 2027", s’exclame Céline Del Olmo. 

 

*Le prénom a été changé pour conserver l'anonymat.

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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 4 minutes
D’ici là, peut être qu‘une grande majorité de libéraux passeront en secteur trois pour échapper à la « convention » qui nous détruit à petit feu…
 
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