Accueil glacial, équipe sexiste et découvertes "extraordinaires" : ces stages qui vous ont le plus marqués
Cet été, Egora publie vos témoignages de stages les plus marquants. Ceux qui ont joué un rôle clé sur le médecin que vous êtes devenu, qui vous ont le plus appris, ou au contraire ont failli vous faire tout arrêter. Après le Dr Michel Cymes et le récit de la première garde aux urgences d'un jeune lecteur, nous publions une nouvelle série de témoignages*.
Celui qui m'a fait changer d'avis
"Je commence médecine en 1972 pour devenir psychiatre, et je n'en démords pas tout du long : sur les huit stages d'externat, j'en fais trois dans le même service de psychiatrie. En 1977, je suis en sixième année et je dois faire un stage dans un service de chirurgie. J'ai déjà séché mon premier stage de l'année en obstétrique - je le referai un an plus tard -, et je travaille en journée comme "médecin" du don du sang et de nuit à mi-temps comme infirmière en psychiatrie. Je me demande comment faire, et je me rapproche d'un chef de service que je connais fortuitement de l'extérieur (événementiel). Il m'accepte avec empressement à mes conditions, qui sont de ne pas venir en stage chaque matin, mais un peu... quand je peux. Je suis une fille et j'arrive dans le service précédée de ma réputation, comme une touriste "copine du patron" bénéficiant de privilèges indus : chaque interne est un ennemi potentiel et me regarde d'avance de travers.
Mon stage se passe super bien, je raffole du bloc. Les internes me demandent de revenir comme une des leurs : ce que je fais en octobre 1979. Je rencontre mon mari au bloc moins de deux ans plus tard, nous faisons plein d'enfants et nous sommes toujours ensemble. J'ai fait toute ma carrière avec jubilation comme PH en chirurgie viscérale, et ma deuxième fille fait le même métier !"
Celui où le sexisme régnait
"J'ai aimé tous mes stages, sauf la gynécologie. Les sages-femmes nous parlaient mal, elles ne nous apprenaient rien. Je me souviens d'un staff où on manquait de places, plusieurs sont arrivées en retard, elles nous ont dit de nous lever et d'aller chercher une chaise pour qu'elles prennent notre place. On a dit "non", et elles nous ont regardé de travers. Et les conjoints qui demandaient après l'épisiotomie de leurs femmes si on pouvait "les resserrer"... Tout le monde parlait mal des femmes : l'une parce qu'elle a une fibrose sous-hépatique, donc infection à chlamydia ; "Oh ! La salope !". Une autre, parce qu'elle arrive pour accoucher ; "Elle aurait pu s'épiler avant de venir !". Ou encore, une femme de 38 ans en PMA et en staff une sage-femme qui sort : "Qu'est-ce qu'elle attendait ?"
Et ça tous les jours… Toutes les externes faisaient des cauchemars. On savait ce qu'il devait se dire de nous, des femmes, derrière notre dos. Je n'ai jamais été tellement féministe, mais là, c'était vraiment pénible."
Celui où j'ai découvert la réanimation
"J'ai choisi, en 1970, comme premier stage le service de neurochirurgie du Pr Lepoire, car je voulais être micro-neurochirurgien, technique balbutiante qui me fascinait. Nous nous sommes présentés à cinq étudiants devant le Pr Montaut et des assistants. Je ne savais pas que c'était un stage "bidon". Montaut a déclaré : "Nous vous avons vus, revenez dans six mois pour que l'on vous signe votre stage." Je fus le seul à rester planté au milieu du bureau. Un assistant s'écria : "Et en plus celui-ci est sourd !" Ils furent étonnés lorsque j'ai expliqué que je voulais être micro-neurochirugien.
"Ce fut extraordinaire"
Dès lors, ce fut extraordinaire : ils m'ont appris et laissé faire les PL postopératoires, les dénudations de crosse de saphène, les trachéotomies… Ils m'ont rémunéré des gardes pour la réception des urgences, car les accidentés arrivaient dans des ambulances simples et mourraient souvent pendant le transport. Et surtout, j'ai fait de l'aide opératoire avec le Pr Lepoire, le plus grand neurochirurgien de l'époque. Mais aussi, j'ai fait beaucoup de réanimation avec les premières intubations nasales prolongées, les éveils de comateux, sans scanner et uniquement les artériographies cérébrales, les soins aux nouveaux nés et enfants du service du Pr Montaut. Aux consultations, j'ai découvert que la plupart des "survivants" avaient de lourds handicaps, que les tumeurs cérébrales même bénignes restaient d'un pronostic catastrophique…
Mais j'ai surtout découvert la réanimation chirurgicale et l'anesthésie, à l'époque, par de simples assistant(e)s des chirurgiens. Tous mes stages furent alors orientés vers la réanimation. Mon stage suivant fut les soins intensifs cardiologiques du Pr Faivre. Pendant les vacances, je travaillais comme infirmier en réanimation dans le service du Dr Condi à Metz, ma ville natale. J'ai exercé cette spécialité pendant 42 ans (CES d'anesthésie réanimation, Paris 1978). Très usé, mais heureux et fier de toutes les vies que nous avons sauvées en créant et développant les SMUR, SAMU, réanimation, anesthésies modernes et locorégionales, médecine de catastrophe, péridurales obstétricales, médecin capitaine bénévole des sapeurs-pompiers, hypnoanalgésie, hémodialyse…. Pendant ce temps, j'ai vu se développer la micro-neurochirurgie avec une pointe de regret !"
Celui où l'interne se croyait tout permis
"Pire souvenir, en tant qu’externe, quand l’interne du service d’ORL s’est allongé sur le lit de garde en prétextant qu’on avait encore un peu de temps avant d’aller au bloc et qu’il avait deux ou trois trucs à me montrer…"
Celui qui m'a fait aimer les samedis matin
"J'avais 21 ans, en 1977, lorsque j'ai effectué mon deuxième stage d'externat en gastroentérologie à l'hôpital Saint-Lazare à Paris. Heureusement, le responsable de mon étage était le Pr Modigliani, déjà de très grande réputation. Tous les samedis matin, de 9h (et il valait mieux ne pas être en retard) à 12h30, il faisait une visite "spéciale étudiants" des patients hospitalisés où la sémiologie (style comment palper un foie, une rate, des ganglions…), la réflexion sur la conduite à tenir devant la pathologie de tel ou tel patient, les diagnostics différentiels, et enfin la thérapeutique étaient passés en revue. Aucun jugement de valeur, juste le besoin d'enseigner "utile". Mais il ne supportait pas que nous ne connaissions pas les dossiers de nos patients.
Même si c'était le samedi, c'était ma journée préférée, et je n'avais aucune difficulté à me lever ce matin-là… pendant six mois. Et moi, bêtement, je trouvais cela normal et je n'ai même pas remercié cet homme qui consacrait la moitié de ses samedis à éduquer les bébés médecins que nous étions. Ce n'est que de longues années plus tard que j'ai réalisé la chance exceptionnelle que j'avais eue de croiser cet humaniste qui a profondément marqué ma future pratique médicale."
Celui qui m'a aidé à me forger
"Mon premier stage d'externe : une déception ! C'est un stage qui m'a particulièrement marqué - il y a plus de 30 ans de cela -, car il m'a conduit à me forger mon caractère et à me permettre de développer une carapace. J'ai effectué ce premier stage dans le service de cardiologie en n'ayant pas de réelle appréhension, mais une soif d'aller au contact des patients. J'ai été très heureux d'aller dans ce service, et ce même si j'ai toujours souhaité devenir généraliste. A cette époque devenir généraliste était très mal vu, mais c'était dans mon ADN car je n'ai jamais été ambitieux, cela d'autant plus que je n'appartenais pas à une classe favorisée.
A mon arrivée, j'ai été surpris par l'accueil glacial de l'équipe qui avait un certain mépris pour de petits étudiants ignares comme moi qu'ils ne voulaient pas vraiment épauler. Tout aussi déstabilisant étaient les collègues externes qui ne pensaient qu'à rapidement terminer leur travail pour aller bosser leur internat. Autrement dit, je me retrouvais souvent seul et je devais tenir le crachoir au chef de service - ce n'était pas un mauvais bougre -, mais les internes et chefs de cliniques étaient des pestes qui n'arrêtaient pas de m'humilier ou de me faire comprendre que je n'étais pas à la hauteur.
"Je ne lui ai fait aucun cadeau"
Au fil des semaines, j'ai bien vu qu'un des chefs de clinique n'était pas un très bon cardiologue, et le pire c'est celui-là qui était le plus arrogant et le plus méprisant à mon égard. Après avoir passé quelques semaines à avaler des couleuvres et me rendre compte que je n'aurai jamais de possibilité d'avoir une meilleure considération, j'ai changé de fusil d'épaule. Aussi après avoir été un externe docile, je suis devenu rebelle et je n'ai pas hésité à montrer que je refuserai de me faire marcher sur les pieds. Ce comportement a quelque peu surpris les petits chefs qui me dirigeaient, mais très rapidement j'ai affirmé mon caractère. Et durant les visites, je mettais un point d'honneur à distiller des informations sur les patients que ces supérieurs n'avaient pas en tête, et qui étaient pourtant très importantes aux yeux du grand boss. Bien entendu le chef de service très surpris par mes remarques que j'avais préparées m'a chaudement félicité. Bien entendu à la fin de la visite, j'ai été repris par les internes qui m'ont quelque peu critiqué car ils se sont fait remettre en boite par le chef de service. Et c'est là que je leur ai dit que je continuerai ainsi, et que je n'avais rien à faire de leurs propos ridicules et peu formateurs.
Le stage touchant à sa fin, j'ai expliqué lors de la "cérémonie des adieux" que je garderai une image très négative de personnes peu empathiques et qui n'avaient de sorte que de se montrer. Comble de l'ironie, le chef de clinique odieux s'est installé près de chez moi - ses compétences ne lui ont pas permis de rester au CHU - et a essayé de recoller les morceaux car c'est important en libéral d'avoir la faveur des petits généralistes. Sachez que je ne lui ai fait aucun cadeau, et j'ai été très méprisant à mon tour en lui expliquant que je ne comprenais pas comment il était encore dans le circuit.
Mon stage suivant en psychiatrie m'a donné le goût de mon métier, et l'équipe avec laquelle j'ai pu travailler était extraordinaire. J'ai pu comprendre qu'il était important d'écouter les patients, et de les examiner consciencieusement. Pour finir, les brimades subies à mon époque étaient fréquentes, et actuellement certains étudiants vivent dans ce monde infernal où ils sont méprisés. Je reste à leur disposition pour leur tendre la main, leur montrer que nous faisons un métier fantastique, et qu'il ne faut pas baisser les bras en cas de frustration et savoir donner le change. Il est certain qu'avoir une telle personnalité n'est pas donné à tout le monde, mais il faut que nous soyons corporatistes, et que certains d'entre nous aillent au conflit avec les collègues quelque peu imbus de leur personne."
Celui où j'ai trouvé ma voie
"En 1980, je suis en stage interné aux urgences et service de chirurgie générale dans un hôpital rural. Je constante l'absence de présence de médecin anesthésiste dans l'établissement : la chirurgie était réalisée sous anesthésie sous la responsabilité du chirurgien par un infirmier anesthésiste. Conscient que des progrès étaient possible, ma voie était trouvée !!"
*Ces témoignages sont anonymes.
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